Arrêt de la Cour du 10 novembre 1992. – Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. – Libre circulation des travailleurs – Sécurité sociale – Condition de résidence. – Affaire C-326/90.

Par un arrêt en date du 7 octobre 1992, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la compatibilité d’une condition de résidence préalable imposée par un État membre pour l’octroi de certaines prestations sociales aux travailleurs issus d’autres États membres. En l’espèce, la législation d’un État membre subordonnait le bénéfice d’allocations pour handicapés, d’un revenu garanti aux personnes âgées et d’un minimum de moyens d’existence à une exigence de durée de résidence sur son territoire. Cette condition s’appliquait également aux travailleurs ressortissants d’autres États membres, pourtant soumis à la législation de sécurité sociale de l’État d’accueil du fait de leur activité professionnelle.

Saisie par la Commission des Communautés européennes dans le cadre d’une procédure en manquement, la Cour a été amenée à examiner cette situation. La Commission soutenait que cette exigence de résidence constituait une discrimination contraire au droit communautaire, notamment aux dispositions garantissant l’égalité de traitement en matière d’avantages sociaux et de sécurité sociale. L’État membre mis en cause n’a pas contesté les faits, reconnaissant ne pas avoir mis sa législation en conformité avec les règlements communautaires pertinents dans le délai imparti. Le débat juridique portait donc moins sur les faits que sur leur qualification au regard des principes fondamentaux du droit communautaire.

La question de droit soumise à la Cour était de savoir si un État membre manque aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire en maintenant une condition de durée de résidence pour l’octroi de certaines prestations sociales à des travailleurs ressortissants d’autres États membres.

La Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que le maintien d’une telle exigence constitue un manquement au principe d’égalité de traitement posé par les règlements relatifs à la libre circulation des travailleurs et à l’application des régimes de sécurité sociale. La solution, rendue dans des termes particulièrement clairs, vient réaffirmer avec force l’illicéité des discriminations fondées sur la résidence (I), consacrant par là même une protection étendue des droits sociaux attachés au statut de travailleur migrant (II).

I. La sanction d’une discrimination indirecte fondée sur la résidence

La Cour, en constatant le manquement de l’État membre, met en lumière le caractère discriminatoire de la condition de résidence (A) et confirme la qualification large des prestations concernées au regard du droit communautaire (B).

**A. L’incompatibilité de la condition de résidence avec l’égalité de traitement**

L’arrêt censure une mesure qui, bien que potentiellement applicable à tous les résidents, affecte de manière intrinsèque et plus significative les ressortissants d’autres États membres. Une condition de durée de résidence est en effet plus facilement remplie par les nationaux que par les travailleurs migrants, qui par définition viennent de s’établir sur le territoire. En posant qu’un tel critère constitue un manquement, la Cour rappelle qu’une discrimination indirecte est tout aussi prohibée qu’une discrimination directement fondée sur la nationalité. Elle affirme que le fait « pour un État membre de poser l’exigence d’une durée préalable de résidence sur son territoire […] constitue un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE ».

Cette solution trouve son fondement dans l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68, qui garantit au travailleur d’un État membre l’accès, sur le territoire des autres États membres, aux mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. Le bénéfice de ces avantages ne saurait être subordonné à des conditions qui entraveraient la mobilité des travailleurs, finalité essentielle du traité. L’exigence d’une période de résidence constitue précisément l’une de ces entraves, en créant une inégalité de traitement entre le travailleur national et le travailleur migrant dès l’instant où ce dernier commence à participer à la vie économique et sociale de l’État d’accueil.

**B. La qualification des prestations au regard du droit communautaire**

La Cour vise cumulativement l’article 7 du règlement n° 1612/68, relatif aux avantages sociaux, et l’article 3 du règlement n° 1408/71, qui pose le principe d’égalité de traitement pour les prestations de sécurité sociale. Les trois allocations en cause, à savoir les allocations pour handicapés, le revenu garanti aux personnes âgées et le minimum de moyens d’existence, relèvent de ces deux champs d’application. L’arrêt ne s’attarde pas sur une ventilation précise de chaque prestation entre les deux catégories, car le résultat est identique : l’interdiction de toute discrimination.

Cette approche globale confirme une conception extensive des notions d’avantage social et de prestation de sécurité sociale. Sont considérés comme tels non seulement les avantages directement liés à l’exercice d’une activité salariée, mais également ceux qui, bien que non contributifs, sont accordés aux nationaux en raison de leur statut objectif de résident et de leur situation de besoin. Le fait que le travailleur migrant soit soumis à la législation de sécurité sociale de l’État d’accueil suffit à lui ouvrir le droit à l’ensemble de ces prestations, sans qu’une condition de résidence supplémentaire puisse lui être opposée.

La condamnation sans équivoque de la législation nationale par la Cour renforce la portée de la protection sociale accordée aux travailleurs qui exercent leur droit à la libre circulation.

II. La portée de la protection accordée au travailleur migrant

Cet arrêt, bien que rendu sur la base de faits non contestés, a une valeur et une portée significatives. Il consolide l’acquis jurisprudentiel en matière de droits sociaux des migrants (A) tout en délivrant un message clair aux États membres quant à l’intangibilité du principe de non-discrimination (B).

**A. La consolidation d’une conception large des droits sociaux**

En jugeant que les allocations pour handicapés, le revenu pour personnes âgées et le minimum de subsistance doivent être versés sans condition de durée de résidence, la Cour réaffirme que la protection sociale du travailleur migrant ne se limite pas aux seules prestations contributives. Elle englobe tous les dispositifs destinés à garantir un niveau de vie décent et à faire face aux aléas de l’existence, dès lors que ces dispositifs sont accessibles aux nationaux. Cette jurisprudence empêche les États membres de contourner le principe d’égalité de traitement en créant des catégories de prestations sociales de caractère non contributif auxquelles seraient attachées des conditions spécifiques pénalisant les non-nationaux.

La valeur de la décision réside dans cette interprétation large, qui fait du statut de travailleur soumis à un régime de sécurité sociale la seule clef d’accès à l’ensemble du système de protection sociale de l’État d’accueil. La Cour assure ainsi une intégration plus complète du travailleur migrant et des membres de sa famille, conformément aux objectifs du traité. Toute autre solution reviendrait à fragiliser leur situation et à décourager la mobilité au sein de l’espace communautaire, créant des citoyens européens de seconde zone en matière de droits sociaux fondamentaux.

**B. La confirmation d’une jurisprudence établie et sans ambiguïté**

La portée de cet arrêt s’apprécie également à l’aune de sa forme et de son contexte. La brièveté des motifs et le fait que l’État défendeur n’ait pas contesté le manquement témoignent du caractère bien établi du principe en cause. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence, mais de la confirmation constante d’une ligne jurisprudentielle déjà ancienne et solide. La Cour rappelle fermement à l’ordre un État membre qui tardait à se conformer à des obligations claires et impératives, ce qui explique le caractère lapidaire de la motivation.

Cet arrêt constitue donc une décision d’espèce par ses faits, mais une décision de principe par le rappel de la règle de droit qu’il opère. Il a une portée pédagogique et préventive, signifiant à l’ensemble des États membres que toute tentative d’introduire des conditions de résidence pour l’accès à des prestations sociales sera systématiquement sanctionnée. En ce sens, il contribue à l’uniformité de l’application du droit communautaire et à la pleine effectivité du principe de libre circulation des personnes, en garantissant que la mobilité professionnelle ne se traduise pas par une précarité sociale.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture