Par un arrêt en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le régime applicable aux produits agricoles ne faisant pas l’objet d’une organisation commune de marché et se trouvant en libre pratique au sein de la Communauté.
Les faits à l’origine du litige concernent l’adoption par un État membre d’une réglementation soumettant à l’obtention d’une licence l’importation de pommes de terre produites dans des pays tiers. Cette mesure a été appliquée à des marchandises qui, après avoir été importées légalement dans un autre État membre, notamment dans le cadre d’un contingent tarifaire communautaire, se trouvaient en libre pratique sur le territoire de ce dernier. Un opérateur économique s’est ainsi vu refuser une licence pour l’importation de lots de pommes de terre dans ces conditions.
Suite à une plainte, l’institution requérante a engagé une procédure en manquement en vertu de l’article 169 du traité CEE. Après l’envoi d’une lettre de mise en demeure puis d’un avis motivé restés sans effet, elle a saisi la Cour de justice. L’État membre défendeur a soutenu que sa réglementation était justifiée, invoquant notamment le caractère spécifique des produits agricoles, les perturbations de son marché national, et le fait que les importations en cause provenaient d’un contingent destiné au marché d’un autre État membre. Il a également fait valoir des motifs d’ordre public et une prétendue approbation informelle de la part de l’institution requérante.
La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si un État membre peut, en violation de l’article 30 du traité CEE, imposer une restriction quantitative à l’importation, telle qu’un régime de licences, pour des produits originaires d’un pays tiers mais se trouvant en libre pratique dans un autre État membre, au motif qu’il s’agit de produits agricoles non couverts par une organisation commune de marché.
La Cour répond par la négative, en réaffirmant avec force le principe d’assimilation des produits en libre pratique aux produits originaires de la Communauté. Elle juge que de telles mesures unilatérales constituent une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises. Cette solution confirme l’unité du marché commun en rappelant la portée du principe de libre pratique (I), tout en invalidant les justifications avancées par l’État membre pour maintenir des mesures protectionnistes unilatérales (II).
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I. La portée réaffirmée du principe de libre circulation
La Cour fonde sa décision sur une interprétation stricte des règles relatives au marché commun, qu’elle applique avec rigueur aux produits agricoles non réglementés (A), consacrant ainsi une assimilation complète des marchandises en libre pratique aux produits communautaires (B).
A. L’application des règles générales du traité aux produits agricoles non réglementés
Dans son raisonnement, la Cour rappelle une jurisprudence constante selon laquelle les produits agricoles pour lesquels une organisation commune de marché n’a pas été établie demeurent soumis aux règles générales du traité. Ainsi, les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, et notamment l’interdiction des restrictions quantitatives à l’importation posée par l’article 30 du traité, s’appliquent pleinement. L’État membre ne pouvait donc se prévaloir des articles 39 et suivants du traité, qui définissent les objectifs de la politique agricole commune, pour déroger aux principes fondamentaux du marché commun.
Cette solution souligne que la politique agricole commune, bien que spécifique, ne constitue pas un régime dérogatoire généralisé. En l’absence d’une organisation de marché spécifique, qui pourrait prévoir des mécanismes de régulation propres, c’est le droit commun du marché intérieur qui prévaut. Le juge communautaire refuse ainsi de créer une distinction fondée sur la nature agricole d’un produit pour justifier des entraves aux échanges intracommunautaires. L’arrêt confirme que l’union douanière et le principe de libre circulation forment le socle du système communautaire, auquel il ne peut être dérogé qu’en vertu de dispositions expresses.
B. L’assimilation totale et définitive des produits en libre pratique
L’apport essentiel de la décision réside dans la réaffirmation claire du principe d’assimilation. La Cour énonce que les produits en provenance de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans la Communauté doivent être traités de manière identique aux produits originaires des États membres. Elle précise qu’une fois que ces produits ont été « régulièrement importés dans la Communauté, dans le respect des dispositions tarifaires et commerciales en vigueur, ils sont définitivement et totalement assimilés aux produits originaires des États membres ».
Cette assimilation signifie que les marchandises, une fois dédouanées dans un État membre, se confondent avec l’ensemble des produits circulant sur le marché intérieur et doivent pouvoir être commercialisées sans obstacle dans tous les autres États membres. La Cour étend explicitement ce principe aux marchandises importées au titre d’un contingent communautaire, même si celui-ci est destiné plus particulièrement au marché d’un État membre déterminé. Dès leur importation régulière, ces marchandises perdent leur statut de produits tiers pour intégrer pleinement le régime de la libre circulation.
II. L’invalidité des justifications unilatérales à la restriction des échanges
Face aux arguments de l’État membre, la Cour oppose une fin de non-recevoir systématique, rejetant tant les justifications tirées de la politique commerciale (A) que celles fondées sur l’ordre public à des fins économiques (B).
A. L’inefficacité des justifications fondées sur la politique commerciale commune
L’État membre tentait de justifier sa mesure en arguant que le contingent tarifaire accordé au pays tiers d’origine était destiné à un autre marché national. Il reprochait également à l’institution requérante son inaction et invoquait la possibilité d’obtenir une autorisation au titre de l’article 115 du traité. La Cour écarte ces arguments en soulignant qu’un État membre ne peut agir de manière unilatérale. La politique commerciale relevant de la compétence exclusive de la Communauté, les États membres ne sauraient prendre des mesures de défense commerciale individuelles.
La Cour rappelle que la procédure de l’article 115, qui permet à la Commission d’autoriser un État membre à prendre des mesures de protection, constitue la seule voie légale pour faire face à d’éventuelles difficultés économiques liées à des détournements de trafic. En l’absence d’une demande introduite en temps utile, et a fortiori en l’absence d’une autorisation expresse, l’État membre n’était pas habilité à mettre en place sa propre barrière douanière. De même, l’éventuelle inaction ou approbation tacite de l’institution requérante ne saurait légaliser une mesure objectivement contraire au traité.
B. Le rejet de l’exception d’ordre public à des fins économiques
Enfin, la Cour examine l’argument fondé sur l’article 36 du traité, qui autorise des restrictions d’importation justifiées, notamment, par des raisons d’ordre public. L’État membre soutenait que les importations de pommes de terre avaient des conséquences désastreuses pour sa production nationale, faisant de la protection de son marché une question d’ordre public.
Conformément à une jurisprudence bien établie depuis l’arrêt du 19 décembre 1961, la Cour rappelle que l’exception d’ordre public ne saurait être invoquée pour protéger des intérêts purement économiques. Les dérogations prévues à l’article 36 sont d’interprétation stricte et ne peuvent viser à corriger des déséquilibres économiques ou à protéger un secteur de la production nationale de la concurrence intracommunautaire. En qualifiant la mesure de restriction à caractère économique, la Cour en conclut qu’elle ne peut bénéficier de la justification prévue par cette disposition. L’arrêt réaffirme ainsi avec force que la protection du marché national ne constitue pas un objectif légitime au regard du droit communautaire.