Par un arrêt du 11 juillet 1987, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur la légalité d’un règlement de la Commission instaurant une mesure de vente de beurre de stock à prix réduit. En l’espèce, la Commission avait adopté, par un règlement du 18 octobre 1984, une action dite « beurre de Noël » visant à écouler une quantité de deux cent mille tonnes de beurre stocké en offrant une réduction de prix significative aux consommateurs. Deux sociétés productrices de margarine, considérant cette mesure comme une source de distorsion de concurrence préjudiciable à leurs activités, ont engagé une action en réparation.
Saisies sur le fondement de l’article 215 du traité CEE, les requérantes soutenaient que le règlement était illégal à plusieurs titres. Elles invoquaient notamment l’incompétence de la Commission, la méconnaissance du principe de stabilisation des marchés, la violation du principe de non-discrimination, la disproportion de la mesure et l’atteinte au principe de confiance légitime. La question de droit soumise à la Cour consistait donc à déterminer si la Commission, en prenant une telle mesure de gestion des excédents laitiers, avait agi dans les limites de ses pouvoirs et dans le respect des principes fondamentaux du droit communautaire, de manière à ne pas engager la responsabilité de la Communauté. La Cour de justice a rejeté l’ensemble des moyens soulevés et, par conséquent, a jugé le recours non fondé.
La solution retenue par la Cour repose sur une double validation : celle de la légitimité de l’action au regard des mécanismes de la politique agricole commune (I), puis celle de sa conformité aux principes généraux de l’ordre juridique communautaire (II).
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I. La légitimité de l’action « beurre de Noël » au regard des objectifs de la politique agricole commune
La Cour justifie la légalité du règlement contesté en confirmant d’abord la compétence de la Commission pour instituer une telle mesure, avant d’en valider la finalité au regard des objectifs du traité.
A. La confirmation d’une compétence d’exécution étendue de la Commission
Les sociétés requérantes contestaient la compétence de la Commission pour arrêter une mesure de cette nature en l’absence de règles générales préalablement définies par le Conseil. La Cour écarte cet argument en procédant à une analyse détaillée de la répartition des pouvoirs entre les deux institutions dans le cadre de l’organisation commune des marchés du secteur laitier. Elle constate que le Conseil avait effectivement arrêté les règlements généraux nécessaires, notamment pour favoriser l’écoulement des stocks de beurre et pour accroître la consommation par une baisse des prix. La Commission n’a donc agi que dans le cadre des modalités d’application qui relèvent de sa compétence, conformément à la procédure du comité de gestion.
Pour justifier cette approche, la Cour rappelle que « la notion d’exécution doit être interprétée largement ». Elle souligne que seule la Commission dispose de la capacité à suivre en permanence l’évolution des marchés agricoles et à réagir avec la célérité requise. Dans ce contexte, l’action « beurre de Noël » est analysée comme une mesure particulière destinée à réduire les excédents laitiers, à assurer une rotation des stocks et à stimuler la consommation. Une telle opération répondait parfaitement aux objectifs fixés par les règlements de base du Conseil, conférant ainsi à la Commission la légitimité nécessaire pour agir.
B. La conciliation des objectifs de la politique agricole commune au profit de la stabilisation du marché laitier
Les requérantes arguaient que l’opération litigieuse perturbait l’équilibre du marché des matières grasses, en violation de l’objectif de stabilisation des marchés énoncé à l’article 39 du traité CEE. La Cour rejette également ce moyen en s’appuyant sur sa jurisprudence constante relative à la conciliation des objectifs de la politique agricole commune. Elle rappelle que les institutions communautaires doivent en permanence arbitrer entre des objectifs qui peuvent s’avérer contradictoires, tels que la garantie des revenus agricoles, la stabilisation des marchés et la sécurité des approvisionnements.
Dans ce cadre, la Cour admet que les institutions peuvent « accorder à tel ou tel d’entre eux la prééminence temporaire qu’imposent les faits ou circonstances économiques ». En l’espèce, la mesure visait à garantir un revenu équitable aux producteurs de lait, objectif jugé essentiel dans ce secteur. En facilitant l’écoulement des excédents, elle permettait de maintenir le système des prix à la production. De plus, la Cour estime que l’impact sur le marché de la margarine n’a pas été de nature à provoquer une « perturbation réelle et durable », relativisant ainsi le préjudice allégué par les requérantes.
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II. Le rejet des arguments fondés sur la violation des principes fondamentaux du droit communautaire
Après avoir justifié l’action de la Commission au regard de ses fondements réglementaires, la Cour examine sa compatibilité avec les principes de non-discrimination, de proportionnalité et de confiance légitime.
A. L’absence de discrimination et le respect du principe de proportionnalité
Les sociétés productrices de margarine se prétendaient victimes d’une discrimination par rapport aux producteurs de beurre. La Cour écarte cette allégation en jugeant que les deux catégories de producteurs ne se trouvent pas dans des situations comparables. Elle fonde son raisonnement sur trois différences objectives majeures : les mécanismes de régulation propres à chaque organisation commune de marché, le rôle structurel fondamental du beurre dans le secteur laitier, et l’existence d’excédents structurels propres à ce dernier secteur uniquement. La Cour en conclut que « les producteurs de beurre et les producteurs de margarine ne sont pas placés dans des situations comparables », ce qui justifie un traitement différencié.
Quant au principe de proportionnalité, les requérantes soutenaient que la mesure était inappropriée et excessive au regard de son coût et de son efficacité limitée. La Cour reconnaît aux institutions un large pouvoir d’appréciation en matière de politique agricole. Elle constate que l’opération a bien permis de réaliser les objectifs visés, à savoir une augmentation des ventes et une meilleure rotation des stocks. Bien que son efficacité fût limitée et son coût élevé, la mesure n’était pas manifestement inapte à atteindre ses buts et n’allait pas au-delà de ce qui était nécessaire, la Commission n’ayant pas commis d’erreur manifeste d’appréciation quant aux autres options disponibles.
B. Le rejet d’une violation du principe de confiance légitime
Enfin, les requérantes invoquaient le principe de confiance légitime, arguant que des déclarations antérieures de la Commission les avaient conduites à croire que de telles actions ne seraient plus menées. La Cour rejette fermement ce moyen. Elle relève d’une part que la Commission s’était bornée à indiquer qu’il convenait d’user de ces programmes avec modération, sans s’engager à y renoncer. D’autre part, la répétition de telles actions dans le passé, combinée à l’augmentation continue des stocks de beurre, rendait prévisible une nouvelle intervention.
Selon la Cour, un « opérateur économique prudent et avisé » aurait dû envisager la possibilité d’une nouvelle opération de ce type. Par conséquent, les requérantes ne pouvaient se prévaloir d’aucune espérance fondée née du comportement de l’institution. L’absence de violation de la confiance légitime achève de démontrer la légalité du règlement contesté et justifie le rejet du recours en indemnité dans son intégralité.