Arrêt de la Cour du 11 mars 1987. – Vandemoortele NV contre Commission des Communautés européennes. – Recours en responsabilité – « Beurre de Noël ». – Affaire 27/85.

Par un arrêt rendu en 1986, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une mesure communautaire organisant la vente de beurre de stock à prix réduit. Cette décision, rendue dans le cadre de la politique agricole commune, a permis de clarifier l’étendue des pouvoirs de la Commission ainsi que l’application de plusieurs principes fondamentaux du droit communautaire.

Une société spécialisée dans la production et la commercialisation de margarine avait subi une baisse de ses ventes, qu’elle attribuait à l’application d’un règlement de la Commission de 1984. Ce texte organisait une opération de grande ampleur, dite « beurre de Noël », consistant à écouler sur le marché deux cent mille tonnes de beurre de stock à un prix fortement subventionné à l’occasion des fêtes de fin d’année. Estimant que cette action constituait une perturbation brutale du marché des matières grasses alimentaires et lui causait un préjudice direct, la société a introduit un recours en indemnité devant la Cour de justice. Elle soutenait que le règlement était illégal, invoquant l’incompétence de la Commission, la méconnaissance du principe de stabilisation des marchés, la violation du principe de non-discrimination, la rupture du principe de proportionnalité ainsi qu’un détournement de pouvoir.

La question juridique posée à la Cour était donc de déterminer si la Commission, en adoptant un tel règlement, avait agi dans les limites de ses compétences d’exécution et dans le respect des principes directeurs de la politique agricole commune. Plus précisément, il s’agissait de savoir si une mesure destinée à résorber les excédents d’un marché pouvait légalement porter atteinte aux intérêts des producteurs d’un marché concurrent et substituable, et si les modalités de cette mesure étaient justifiées et proportionnées aux objectifs poursuivis.

La Cour de justice a rejeté l’ensemble des moyens soulevés par la société requérante et a validé l’action de la Commission. Elle a jugé que l’institution avait agi dans le cadre de ses compétences et que la mesure contestée, bien qu’ayant des répercussions sur le marché de la margarine, ne violait aucun principe supérieur du droit communautaire. La Cour a ainsi confirmé la légalité de l’opération « beurre de Noël ». L’analyse de cette décision révèle la confirmation par la Cour de la large marge d’appréciation dont disposent les institutions dans la conduite de la politique agricole commune (I), tout en soumettant leur action à un contrôle de la compatibilité avec les principes fondamentaux du traité, interprétés de manière spécifique (II).

***

I. La légitimité de l’intervention de la Commission dans la gestion des marchés agricoles

La Cour reconnaît à la Commission la compétence nécessaire pour adopter des mesures de gestion des excédents (A) et justifie l’opération au regard de la nécessaire conciliation entre les différents objectifs de la politique agricole commune (B).

A. La confirmation d’une compétence d’exécution étendue

La société requérante contestait la compétence de la Commission pour instituer l’action « beurre de Noël », au motif que le Conseil n’aurait pas préalablement arrêté les règles générales nécessaires à une telle mesure. La Cour écarte cet argument en procédant à une analyse détaillée des règlements existants. Elle constate que le Conseil avait bien adopté, par des règlements antérieurs, les cadres juridiques généraux autorisant des mesures particulières pour favoriser l’écoulement du beurre de stock, tant public que privé, ainsi que pour accroître la consommation par une baisse des prix. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « la notion d’exécution doit être interprétée largement », conférant ainsi à la Commission de larges pouvoirs d’appréciation et d’action pour suivre l’évolution des marchés agricoles et agir avec l’urgence requise. L’action litigieuse, visant à réduire des stocks excédentaires importants et à assurer leur rotation, répondait bien aux objectifs définis par le Conseil. Dès lors, la Commission était compétente pour en arrêter les modalités d’application, ce qu’elle a fait en respectant la procédure du comité de gestion.

B. La justification de la mesure par la hiérarchisation des objectifs de la politique agricole

La requérante soutenait également que l’action « beurre de Noël » avait provoqué une perturbation du marché des matières grasses, en violation de l’objectif de stabilisation des marchés inscrit à l’article 39 du traité. La Cour rejette cette argumentation en rappelant que les institutions communautaires doivent constamment chercher à concilier les différents objectifs de cet article, même lorsqu’ils apparaissent contradictoires. Elle précise que « si cette conciliation ne permet pas d’isoler l’un de ces objectifs au point de rendre impossible la réalisation des autres, les institutions communautaires peuvent néanmoins accorder à tel ou tel d’entre eux la prééminence temporaire qu’imposent les faits ou circonstances économiques ». En l’espèce, face aux excédents structurels du marché laitier, la Commission a pu légitimement donner la priorité à l’objectif de garantie d’un revenu équitable pour les producteurs de lait. L’écoulement des stocks de beurre, même à prix réduit, permettait de maintenir le système des prix à la production et donc de soutenir ce revenu, sans pour autant provoquer une « perturbation réelle et durable du marché de la margarine ».

Au-delà de la légitimité de son intervention, c’est sur les conséquences concrètes de celle-ci que la Cour était également attendue, notamment au regard des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité.

II. L’appréciation des effets de la mesure au regard des principes de non-discrimination et de proportionnalité

La Cour conclut à l’absence de discrimination en fondant son raisonnement sur la non-comparabilité des situations des producteurs concernés (A) et admet la conformité de l’action au principe de proportionnalité malgré son efficacité limitée et son coût élevé (B).

A. L’absence de discrimination en raison de la non-comparabilité des situations

L’argument central de la société requérante reposait sur la violation du principe de non-discrimination, affirmant que la mesure subventionnée créait une distorsion de concurrence au détriment des producteurs de margarine. La Cour, tout en reconnaissant que le beurre et la margarine sont des produits concurrents et que le principe de non-discrimination de l’article 40, paragraphe 3, du traité est applicable, rejette le moyen. Elle juge que l’interdiction de la discrimination « ne s’oppose pas à ce que des situations comparables soient traitées différemment lorsque la différenciation opérée est objectivement justifiée ». Or, en l’espèce, elle estime que « les producteurs de beurre et les producteurs de margarine ne sont pas placés dans des situations comparables ». Pour parvenir à cette conclusion, la Cour relève trois différences objectives majeures : les mécanismes de régulation des deux organisations communes de marché sont distincts, le beurre joue un rôle de soutien fondamental dans le secteur laitier que la margarine n’a pas dans celui des matières grasses, et le marché laitier souffre d’excédents structurels inconnus sur le marché des matières grasses végétales. Cette absence de comparabilité justifie donc un traitement différencié.

B. Le respect du principe de proportionnalité malgré une efficacité contestée

Enfin, la requérante soutenait que l’action était disproportionnée, car elle n’était ni nécessaire ni la plus appropriée pour atteindre les objectifs visés, et que d’autres solutions moins contraignantes existaient. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, en matière de politique agricole commune, les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation. Un contrôle juridictionnel ne peut censurer une mesure que si celle-ci apparaît « manifestement inadéquate » à l’objectif poursuivi. En l’espèce, la Cour constate que l’opération a bien permis une augmentation des ventes de beurre et une meilleure rotation des stocks, contribuant ainsi aux objectifs du régime d’intervention. Bien que reconnaissant « l’efficacité limitée » et le « coût pour les finances communautaires » de l’action, elle estime que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en la choisissant. La mesure n’allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre les objectifs visés, dans la mesure où d’autres moyens n’étaient pas disponibles dans des conditions « juridiquement, économiquement et psychologiquement admissibles ». Le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité est donc écarté.

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Hassan KOHEN
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