Arrêt de la Cour du 11 octobre 1990. – République italienne contre Commission des Communautés européennes. – Agriculture – Apurement des comptes FEOGA – Exercice 1986 – Récupération d’aides indûment payées. – Affaire C-34/89.

Dans un arrêt rendu en 1990 dans l’affaire C-34/89, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions dans lesquelles un État membre peut se voir imputer la charge financière de montants indûment versés au titre de la politique agricole commune et non récupérés. En l’espèce, l’organisme d’intervention d’un État membre avait versé, pour plusieurs campagnes agricoles s’étalant de 1978 à 1984, des avances sur l’aide à la production d’huile d’olive. Ces avances se sont révélées supérieures aux montants effectivement dus aux producteurs. La Commission des Communautés européennes, après avoir constaté en 1985 des lacunes dans la récupération de ces sommes, a informé les autorités nationales de son intention de ne pas prendre en charge les montants non recouvrés. Celles-ci n’ont initié les procédures de recouvrement qu’en 1988. Par une décision du 29 novembre 1988, la Commission a formellement exclu du financement communautaire les sommes litigieuses, invoquant les retards inacceptables dans la procédure de récupération.

L’État membre a alors introduit un recours en annulation partielle de cette décision devant la Cour de justice. Il soutenait n’avoir commis aucune faute, arguant qu’aucune disposition du droit communautaire ne fixait un délai pour engager la répétition de l’indu, et que le délai de prescription de dix ans prévu par son droit national n’était pas expiré au moment où les actions en recouvrement avaient été lancées. La Commission, pour sa part, estimait que des retards de quatre à dix ans pour engager de telles procédures constituaient une négligence au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 729/70, justifiant que la charge financière soit supportée par l’État défaillant. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si l’appréciation de la négligence d’un État membre dans la récupération de sommes indûment versées devait se faire au regard du droit national ou du droit communautaire, et quelles étaient les exigences applicables en la matière.

La Cour rejette le recours de l’État membre. Elle juge que la responsabilité financière entre les États membres et la Communauté doit être déterminée exclusivement par le droit communautaire afin de garantir l’uniformité de la politique agricole commune. Elle affirme que le droit communautaire impose aux États une obligation de diligence qui implique d’agir avec promptitude pour recouvrer les sommes indûment payées. La Cour précise toutefois que la Commission, avant de refuser la prise en charge des dépenses, doit clairement indiquer ses griefs à l’État membre et lui accorder un délai raisonnable pour régulariser la situation.

L’arrêt établit ainsi un critère de diligence autonome en droit communautaire (I), tout en encadrant les modalités de sa sanction par la Commission (II).

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**I. L’autonomie de la notion de négligence en droit communautaire**

La Cour de justice consacre une interprétation de la négligence indépendante des droits nationaux, fondée sur les exigences propres à l’ordre juridique communautaire. Elle écarte ainsi la pertinence des délais de prescription nationaux pour évaluer la diligence de l’État (A) et définit une obligation de célérité qui lui est propre (B).

**A. Le rejet de la référence au droit national pour l’apurement des comptes**

La Cour opère une distinction fondamentale entre les rapports des organismes nationaux avec les opérateurs économiques, régis par le droit national, et ceux qui lient les États membres à la Commission. Dans le cadre de l’apurement des comptes du FEOGA, c’est cette seconde relation qui prévaut. La solution ne peut dépendre des particularités des législations nationales, car « il serait, en effet, contraire au caractère uniforme de la politique agricole commune et au budget communautaire que les États membres puissent faire varier les conséquences financières de cette politique en fonction de leurs règles nationales ». En soumettant la question de l’imputation des charges financières au seul droit communautaire, la Cour garantit une application uniforme des règles de financement et préserve l’intégrité du budget communautaire. Cette approche confirme une jurisprudence constante visant à prévenir que la diversité des systèmes juridiques nationaux ne crée des distorsions dans la mise en œuvre des politiques communes. L’argument de l’État membre, fondé sur le respect de son délai de prescription interne, est donc jugé inopérant pour déterminer s’il a fait preuve de la diligence requise vis-à-vis de ses obligations communautaires.

**B. La consécration d’une obligation de promptitude à la charge des États membres**

Délaissant le cadre national, la Cour définit le contenu de l’obligation de diligence à l’aune de l’article 5 du traité CEE, relatif au devoir de coopération loyale. Appliquée au recouvrement des aides, cette obligation impose aux autorités nationales d’agir sans délai. La Cour justifie cette exigence par des considérations pragmatiques : « après l’écoulement d’un certain temps, la récupération des sommes indûment payées risque d’être compliquée ou de devenir impossible, en raison de certaines circonstances, telles que notamment la cessation d’activités ou la perte de documents comptables ». En l’espèce, le fait d’attendre entre quatre et dix ans avant d’engager les procédures en répétition de l’indu est considéré comme un manquement manifeste à cette obligation de promptitude. La négligence de l’État membre est donc caractérisée non pas par la violation d’un délai formel, mais par une inertie qui compromet l’efficacité du recouvrement et, par conséquent, la bonne gestion des deniers communautaires.

Si la Cour établit ainsi un standard de diligence strict pour les États membres, elle ne confère pas pour autant un pouvoir discrétionnaire illimité à la Commission pour en sanctionner les manquements.

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**II. L’encadrement des conséquences financières du manquement de l’État membre**

La décision de la Cour ne se limite pas à définir la faute de l’État ; elle précise également les devoirs qui incombent à la Commission avant de pouvoir imputer une charge financière. Ces devoirs découlent du principe de sécurité juridique (A), dont la Cour vérifie la correcte application en l’espèce (B).

**A. L’exigence de prévisibilité et de sécurité juridique dans les relations financières**

La Cour rappelle avec force un principe cardinal de sa jurisprudence : « le caractère certain et prévisible des relations financières entre la Commission et les États membres constitue … une deuxième exigence ». Ce principe de bonne administration impose à la Commission une obligation de transparence et de dialogue. Lorsqu’elle entend tirer les conséquences financières de la carence d’une administration nationale, elle ne peut le faire de manière abrupte. Elle doit au préalable « indiquer clairement ce qu’elle leur reproche » et leur laisser « l’expiration d’un délai raisonnable » pour remédier à la situation. Cette obligation de mise en demeure préalable constitue une garantie essentielle pour les États membres, leur permettant de comprendre la nature de leur manquement et de prendre les mesures correctrices nécessaires avant qu’une sanction financière irréversible ne soit prononcée. Le pouvoir de contrôle de la Commission est ainsi assorti d’une obligation procédurale qui protège les droits des États et favorise une coopération constructive.

**B. L’application en l’espèce : une mise en demeure préalable et un délai raisonnable**

Dans les faits de l’affaire, la Cour estime que la Commission a respecté ces exigences procédurales. Elle relève que les services de la Commission avaient signalé les retards dès 1985, puis adressé une communication formelle en 1986 et un avertissement explicite en avril 1988, soit plusieurs mois avant la décision litigieuse de novembre 1988. Par conséquent, « on ne saurait reprocher en l’espèce à la Commission d’avoir méconnu ces principes de bonne administration ». L’État membre avait été pleinement informé des griefs et a disposé d’un temps suffisant pour agir. Son inertie persistante malgré ces avertissements a rendu la décision de la Commission légitime. La Cour conclut que les autorités nationales « ne pouvaient raisonnablement pas ignorer que leur inertie était susceptible d’avoir des répercussions financières ». En validant la démarche de la Commission, la Cour confirme que la protection accordée aux États membres n’est pas absolue et cède lorsque leur propre inaction, après avertissement, est avérée.

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Hassan KOHEN
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