Par un arrêt du 12 décembre 1990, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée du principe de non-discrimination applicable aux ressortissants des États membres dans les pays et territoires d’outre-mer. En l’espèce, deux ressortissants d’États membres, un Allemand et un Italien, se trouvaient sur le territoire de la Polynésie française. Le premier s’est vu refuser un permis de séjour alors qu’il était entré comme touriste, tandis que le second a fait l’objet d’une mesure d’expulsion pour être resté sur le territoire après l’expiration de son visa touristique et pour y avoir exercé une activité rémunérée sans autorisation. Les deux individus ont contesté ces décisions administratives devant le tribunal administratif de Papeete, arguant qu’elles violaient le principe de non-discrimination en matière d’établissement et de prestation de services, tel que prévu par la décision du Conseil relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté. Face à cette argumentation, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et a posé une question préjudicielle à la Cour de justice. Elle cherchait à savoir, d’une part, si le champ d’application de la décision du Conseil s’étendait aux règles nationales relatives à l’entrée et au séjour des ressortissants communautaires, et d’autre part, si les dispositions en cause pouvaient être directement invoquées par les particuliers. La Cour de justice a répondu que le principe de non-discrimination ne couvre les décisions en matière d’entrée et de séjour que dans la mesure où elles concernent des ressortissants exerçant ou cherchant à exercer une activité non salariée. Elle a toutefois précisé que cette interdiction de discrimination, sous condition de réciprocité, est d’effet direct et peut être invoquée devant les juridictions nationales.
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I. La portée matérielle circonscrite du principe de non-discrimination
La Cour délimite avec soin le champ d’application de l’article 176 de la décision d’association, en le cantonnant strictement aux libertés économiques qu’il vise. Elle établit une distinction claire entre le séjour lié à une activité professionnelle et celui qui ne l’est pas, ce qui conduit à exclure les situations générales de séjour tout en reconnaissant la nécessité du droit d’entrée et de résidence pour l’exercice effectif des libertés d’établissement et de prestation de services.
A. L’exclusion du droit de séjour des ressortissants communautaires économiquement inactifs
La Cour de justice adopte une lecture restrictive des dispositions en cause, affirmant que le régime d’association ne vise pas à créer un espace de libre circulation générale pour les personnes. Le droit au traitement non discriminatoire ne concerne pas l’entrée ou le séjour des ressortissants des États membres à des fins touristiques ou de résidence privée. La Cour juge que le champ d’application de la décision « ne s’étend pas aux décisions prises par les autorités compétentes des États membres en matière d’entrée et de séjour des ressortissants des autres États membres dans un territoire d’outre-mer, sauf dans la mesure où ces décisions concernent les ressortissants des autres États membres qui exercent ou cherchent à exercer le droit d’établissement ou de libre prestation de services dans un tel territoire ». Cette interprétation préserve la compétence des autorités nationales en matière de contrôle de l’immigration pour les personnes qui ne participent pas à la vie économique du territoire. La décision ne confère donc aucun droit autonome de séjour, mais se limite à garantir que l’accès à une activité économique indépendante ne soit pas entravé par des mesures discriminatoires relatives au séjour.
B. L’inclusion nécessaire du droit d’entrée et de séjour comme corollaire des libertés économiques
Si le droit de séjour général est exclu, la Cour reconnaît logiquement que les libertés d’établissement et de prestation de services seraient privées de tout effet utile si elles n’emportaient pas le droit d’entrer et de résider sur le territoire concerné. Elle considère que « l’exercice du droit d’établissement et de prestation de services dans les pays et territoires d’outre-mer implique nécessairement le droit d’entrée et de séjour ». Ce droit n’est cependant pas absolu, il est un accessoire des libertés économiques. Il ne peut être revendiqué que par les ressortissants qui exercent ou cherchent à exercer effectivement une activité professionnelle indépendante. En outre, ce droit est soumis aux mêmes conditions que celles appliquées aux nationaux de l’État membre de tutelle qui ne sont pas originaires du territoire en question. Ainsi, si une autorisation préalable est requise pour ces derniers, elle le sera aussi pour les ressortissants des autres États membres, dans le respect du principe de non-discrimination.
II. La consécration de l’effet direct conditionnel du principe de non-discrimination
Après avoir défini la portée de la règle, la Cour en examine la valeur normative et affirme sa capacité à être invoquée directement par les justiciables. Elle écarte les arguments tirés du caractère spécifique du régime d’association pour confirmer la primauté du droit communautaire, tout en précisant que l’exercice de ce droit est subordonné à la vérification d’une condition de réciprocité par le juge national.
A. L’affirmation de l’invocabilité directe en dépit du régime d’association
Certains gouvernements soutenaient que le but du régime d’association, centré sur le développement et non sur l’intégration à un marché commun, faisait obstacle à l’effet direct de ses dispositions. La Cour rejette fermement cette thèse en s’appuyant sur sa jurisprudence bien établie. Elle rappelle que « les dispositions d’une décision du Conseil produisent un effet direct dans les relations entre les États membres et leurs justiciables […] dès lors que ces dispositions imposent aux États membres une obligation inconditionnelle et suffisamment nette et précise ». Le fait que l’article 176 de la décision figure dans un acte relatif à l’association des pays et territoires d’outre-mer est indifférent. Ce qui importe, c’est que la norme elle-même soit apte à conférer des droits aux particuliers. En qualifiant l’obligation de non-discrimination de suffisamment claire et précise, la Cour confirme que le régime d’association, bien que spécial, n’échappe pas aux principes fondamentaux de l’ordre juridique communautaire, notamment celui de l’effet direct.
B. La réciprocité comme condition de l’exercice du droit
L’argument selon lequel la clause de réciprocité contenue dans la disposition rendrait l’obligation conditionnelle, et donc dépourvue d’effet direct, est également écarté par la Cour. Elle opère une distinction subtile entre une obligation subordonnée à une marge d’appréciation discrétionnaire de l’État et une obligation dont l’application dépend d’une condition objective. La Cour juge que « dès lors que la condition de réciprocité est satisfaite, cette disposition oblige sans réserve les autorités compétentes à traiter sur une base non discriminatoire […] et elle ne laisse aux États membres aucune marge d’appréciation ». La vérification de la condition de réciprocité, c’est-à-dire s’assurer que l’État membre dont le ressortissant se prévaut du droit accorde un traitement similaire aux personnes originaires du territoire, ne relève pas d’un pouvoir discrétionnaire. Il s’agit d’une vérification de fait que le juge national a la compétence et le devoir d’effectuer. La portée de l’arrêt est ici significative : il confère aux ressortissants un droit directement invocable, dont l’effectivité est simplement suspendue à une condition dont la réalisation est objectivement vérifiable par une juridiction.