Arrêt de la Cour du 12 février 1987. – Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. – Manquement d’État – Violation de l’article 52 – Droit d’établissement dans le secteur des laboratoires de biologie clinique. – Affaire 221/85.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 21 mai 1987 s’inscrit dans le cadre de la liberté d’établissement et interroge les limites de l’autonomie réglementaire des États membres en matière de santé publique. En l’espèce, une législation nationale subordonnait le remboursement par la sécurité sociale des prestations de biologie clinique à des conditions strictes relatives à la structure des laboratoires. Lorsque ces derniers étaient exploités par une personne morale à but lucratif, la loi exigeait que tous ses membres, associés et administrateurs soient des personnes physiques habilitées à effectuer des analyses médicales, telles que des médecins ou des pharmaciens. La Commission des Communautés européennes a engagé un recours en manquement contre l’État membre concerné, estimant que cette exigence était contraire à l’article 52 du traité CEE. Selon la Commission, bien qu’indistinctement applicable, cette mesure constituait une entrave injustifiée à la liberté d’établissement pour les sociétés d’autres États membres souhaitant créer des filiales ou des succursales. L’État membre défendeur a soutenu que la réglementation relevait de sa compétence, ne créait aucune discrimination fondée sur la nationalité et poursuivait un objectif légitime d’intérêt général, à savoir la prévention de la surconsommation des prestations médicales en garantissant l’indépendance professionnelle des laboratoires vis-à-vis d’intérêts purement commerciaux. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si une réglementation nationale, qui impose des conditions de qualification professionnelle à l’ensemble des associés d’une société exploitant un laboratoire d’analyses pour permettre le remboursement de ses prestations, constitue une restriction à la liberté d’établissement prohibée par le traité. La Cour de justice a rejeté le recours de la Commission, jugeant que la législation en cause n’était pas contraire à l’article 52 du traité. Elle a estimé qu’en l’absence d’harmonisation communautaire, les États membres sont libres de réglementer une activité sur leur territoire, à la condition de respecter le principe de l’égalité de traitement entre leurs nationaux et ceux des autres États membres.

La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation stricte de la liberté d’établissement, subordonnant sa mise en œuvre au respect de la compétence réglementaire des États membres (I), une approche dont la portée sera néanmoins considérablement nuancée par l’évolution ultérieure de la jurisprudence communautaire (II).

I. L’affirmation de la compétence réglementaire nationale en l’absence de discrimination

La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture littérale de l’article 52 du traité, en faisant du principe de non-discrimination le critère essentiel de la liberté d’établissement (A) et en écartant, par conséquent, l’idée qu’une mesure indistinctement applicable puisse constituer une restriction prohibée (B).

A. Le principe de l’égalité de traitement comme clé de voûte de la liberté d’établissement

La Cour rappelle avec force le contenu de l’obligation qui pèse sur les États membres en matière de liberté d’établissement. Elle énonce que « la liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice dans les conditions définies par la legislation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants ». De cette disposition, elle déduit une conséquence fondamentale quant à la répartition des compétences entre la Communauté et ses membres. En l’absence de règles communes, la réglementation des activités économiques demeure une prérogative nationale. La seule limite imposée par le droit communautaire est celle de l’égalité de traitement. L’État d’accueil doit garantir aux ressortissants des autres États membres les mêmes conditions d’accès et d’exercice d’une activité que celles qu’il réserve à ses propres nationaux. L’analyse de la Cour se concentre donc exclusivement sur la recherche d’une éventuelle discrimination, qu’elle soit directe ou déguisée. Cette approche confirme que la liberté d’établissement est avant tout conçue comme un instrument d’intégration par l’ouverture des marchés nationaux, en interdisant aux États de protéger leurs opérateurs économiques par des mesures fondées sur la nationalité.

B. Le rejet de la notion de restriction indistinctement applicable

Fort de ce postulat, le raisonnement de la Cour écarte logiquement l’argumentation de la Commission, qui invitait à un contrôle plus approfondi. La Commission soutenait que l’interdiction des restrictions au droit d’établissement ne se limitait pas aux seules mesures discriminatoires. Elle visait également les mesures qui, bien qu’applicables à tous, constituaient une entrave injustifiée pour les opérateurs des autres États membres. La Cour refuse de s’engager sur cette voie. Elle se borne à constater que la législation litigieuse ne contient aucune distinction fondée sur la nationalité. En effet, « il s’agit donc d’une législation indistinctement applicable aux ressortissants belges et à ceux des autres États membres, dont le contenu et les objectifs ne permettent pas de conclure qu’elle a été adoptée à des fins discriminatoires ou qu’elle produit des effets de cette nature ». Dès lors que le critère de non-discrimination est satisfait, la Cour estime que la mesure échappe au champ d’application de l’article 52 du traité. Elle valide ainsi une réglementation nationale qui, en pratique, rendait très difficile, voire impossible, pour une société de capitaux non entièrement détenue par des professionnels de santé de s’implanter sur le territoire de l’État concerné.

II. Une solution à la portée limitée par l’évolution jurisprudentielle

Bien que juridiquement fondée sur une lecture stricte des textes en vigueur à l’époque, cette décision révèle une conception restrictive de la liberté d’établissement (A), qui sera par la suite largement dépassée par une jurisprudence plus audacieuse visant à démanteler toutes les entraves au marché intérieur (B).

A. Une appréciation discutable des effets restrictifs de la mesure

En se focalisant uniquement sur l’absence de discrimination formelle, la Cour occulte les effets concrets de la législation nationale sur l’exercice de la liberté d’établissement. L’exigence selon laquelle tous les associés et administrateurs d’une société exploitant un laboratoire doivent être des médecins ou des pharmaciens constitue un obstacle considérable pour les entreprises d’autres États membres. Celles-ci peuvent être structurées différemment, avec des investisseurs non-professionnels ou faisant partie de groupes de sociétés plus larges. En pratique, la norme nationale impose un modèle d’entreprise spécifique, celui de la société de professionnels libéraux, fermant de fait le marché à d’autres formes d’organisation sociétaire. En ne prenant pas en compte cet effet d’entrave, la Cour adopte une position formaliste. Elle refuse d’examiner si l’objectif d’intérêt général invoqué par l’État membre, à savoir la lutte contre la surconsommation de soins et la garantie de l’indépendance professionnelle, ne pouvait être atteint par des mesures moins restrictives pour les libertés communautaires. Cette retenue contraste avec le contrôle de proportionnalité que la Cour développera par la suite pour évaluer les réglementations nationales.

B. Une jurisprudence rendue obsolète par le développement du marché intérieur

Cet arrêt doit être lu comme le témoin d’une étape dans la construction du droit communautaire. La solution qu’il consacre sera rapidement dépassée. La jurisprudence ultérieure, notamment à partir de l’arrêt *Gebhard* du 30 novembre 1995, a en effet considérablement élargi le champ de la liberté d’établissement. La Cour de justice a jugé que les mesures nationales indistinctement applicables sont également contraires aux libertés de circulation dès lors qu’elles sont « de nature à gêner ou à rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants communautaires, des libertés fondamentales garanties par le traité ». De telles mesures ne sont admissibles qu’à quatre conditions cumulatives : elles doivent s’appliquer de manière non discriminatoire, se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général, être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Appliqué à l’affaire d’espèce, ce raisonnement aurait conduit la Cour à un examen de proportionnalité de la mesure nationale, et non plus à un simple constat d’absence de discrimination. Cet arrêt apparaît donc comme une décision d’espèce, dont la portée a été neutralisée par l’approfondissement du marché intérieur et la volonté de la Cour de supprimer tous les obstacles, même indirects, aux libertés fondamentales.

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Hassan KOHEN
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