Arrêt de la Cour du 12 février 1992. – Royaume des Pays-Bas et Koninklijke PTT Nederland NV et PTT Post BV contre Commission des Communautés européennes. – Concurrence – Entreprise publique – PTT – Services de messagerie. – Affaires jointes C-48/90 et C-66/90

Par un arrêt du 12 février 1992, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié la portée des pouvoirs que la Commission détient au titre de l’article 90, paragraphe 3, du traité CEE. Cette décision intervient dans un contexte de libéralisation des services postaux, où une législation nationale avait institué une concession exclusive pour le transport de lettres jusqu’à un certain poids. Ladite législation soumettait les opérateurs concurrents, notamment les services de courrier rapide, à des conditions restrictives de prix et de qualité de service.

Estimant que cette réglementation étatique était contraire aux règles de concurrence du traité, la Commission a adopté, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 3, une décision déclarant ces dispositions incompatibles avec l’article 90, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’article 86. L’État membre concerné ainsi que l’entreprise publique titulaire de la concession ont alors formé un recours en annulation contre cette décision. La question posée à la Cour était double : d’une part, la Commission est-elle compétente pour constater, par la voie d’une décision individuelle, qu’une mesure étatique enfreint le traité, ou cette prérogative relève-t-elle exclusivement de la procédure en manquement de l’article 169 ? D’autre part, dans l’exercice de ce pouvoir, la Commission doit-elle respecter les droits de la défense de l’État membre et de l’entreprise visée ?

La Cour de justice a annulé la décision de la Commission. Elle a certes reconnu la compétence de cette dernière pour agir par voie de décision sur le fondement de l’article 90, paragraphe 3, mais elle a sanctionné l’inobservation des droits de la défense tant à l’égard de l’État membre que de l’entreprise bénéficiaire de la mesure. La solution retenue consacre ainsi la compétence de la Commission pour constater une infraction par voie de décision (I), tout en subordonnant l’exercice de cette prérogative au strict respect des droits de la défense (II).

I. La consécration d’une compétence décisionnelle de la Commission au titre de l’article 90, paragraphe 3

Les requérants contestaient la compétence de la Commission pour adopter une décision individuelle constatant une infraction, soutenant que l’article 90, paragraphe 3, ne l’autorisait qu’à édicter des directives de portée générale. La Cour rejette cette lecture restrictive en adoptant une interprétation fonctionnelle de la disposition (A), distinguant clairement ce pouvoir de la procédure en manquement (B).

A. Une interprétation fonctionnelle de l’article 90

La Cour ancre son raisonnement dans la nécessité de garantir l’effet utile de l’article 90, paragraphe 3. Elle relève que cette disposition confère expressément à la Commission le pouvoir d’adresser aux États membres tant des directives que des décisions. Or, limiter la portée des décisions à de simples mesures préparatoires ou non contraignantes viderait cette prérogative de sa substance. La Cour affirme que, « sous peine de priver de tout effet utile la compétence pour adopter des décisions que l’article 90, paragraphe 3, confère à la Commission, il faut, dès lors, reconnaître à celle-ci le pouvoir de constater qu’une mesure étatique déterminée est incompatible avec les règles du traité et d’indiquer les mesures que l’État destinataire doit adopter pour se conformer aux obligations découlant du droit communautaire ». Cette approche téléologique permet d’assurer que la Commission dispose des instruments nécessaires pour veiller à l’application des règles de concurrence aux entreprises publiques et à celles bénéficiant de droits spéciaux ou exclusifs. En effet, sa mission de surveillance serait entravée si elle ne pouvait s’adresser directement aux États membres responsables des distorsions de concurrence.

B. Une compétence distincte de la procédure en manquement

Les requérants voyaient dans l’usage de l’article 90, paragraphe 3, un détournement de la procédure en manquement prévue à l’article 169, qui offre des garanties procédurales spécifiques aux États membres. La Cour écarte cet argument en établissant un parallèle avec le contrôle des aides d’État prévu à l’article 93 du traité. Dans les deux cas, la Commission est investie du pouvoir d’agir directement contre une mesure étatique qui fausse la concurrence. Ce pouvoir d’appréciation spécifique n’empiète nullement sur les compétences de la Cour. La décision de la Commission, loin de clore le débat juridictionnel, peut elle-même faire l’objet d’un recours en annulation, comme en l’espèce. De plus, si l’État membre ne se conforme pas à la décision, celle-ci pourra fonder un recours en manquement ultérieur. La Cour établit ainsi que l’article 90, paragraphe 3, constitue une voie d’action autonome et complémentaire, spécifiquement adaptée à la surveillance des mesures étatiques relatives à certaines entreprises, sans priver l’État de ses garanties juridictionnelles.

II. L’assujettissement de la compétence décisionnelle au respect des droits de la défense

Si la Cour valide le principe du pouvoir décisionnel de la Commission, elle en conditionne la légalité au respect scrupuleux des garanties procédurales. C’est sur ce terrain que la décision attaquée est annulée. La Cour constate une violation des droits de la défense non seulement à l’encontre de l’État membre (A), mais aussi, et c’est un apport notable, à l’encontre de l’entreprise bénéficiaire de la mesure étatique (B).

A. La garantie des droits de la défense de l’État membre destinataire

La Cour rappelle avec force que le respect des droits de la défense est un principe fondamental du droit communautaire qui doit être assuré même en l’absence de réglementation spécifique. Selon elle, « ce principe requiert que l’État membre en cause se voie communiquer, avant l’adoption de la décision au titre de l’article 90, paragraphe 3, du traité, un exposé précis et complet des griefs que la Commission entend retenir à son encontre ». En l’espèce, la communication initiale de la Commission était formulée en des termes trop généraux et ne détaillait pas les éléments constitutifs de l’infraction à l’article 86 qui seraient finalement retenus. De surcroît, la Cour reproche à la Commission de ne pas avoir donné à l’État membre l’occasion de présenter son point de vue sur les observations recueillies auprès des entreprises de messagerie concurrentes. Cette double défaillance procédurale a privé l’État de la possibilité de se défendre utilement, viciant ainsi la légalité de la décision finale.

B. L’extension du droit d’être entendu à l’entreprise bénéficiaire

De manière significative, la Cour censure également la Commission pour ne pas avoir entendu l’entreprise postale elle-même. Elle juge que cette dernière, en tant que « bénéficiaire directe de la mesure étatique contestée », nommément désignée par la loi et supportant « directement les conséquences économiques » de la décision d’incompatibilité, disposait du droit d’être entendue. Les simples entretiens informels ayant eu lieu au début de la procédure ne sauraient satisfaire à cette exigence. La Commission aurait dû informer l’entreprise de ses objections concrètes et lui permettre de faire valoir son point de vue. En étendant ainsi la garantie des droits de la défense à l’entreprise directement affectée par une décision adressée à un État membre, la Cour renforce la protection des opérateurs économiques dans le cadre du contrôle exercé par la Commission et confirme que les exigences d’une bonne administration de la justice s’imposent à elle dans toutes ses procédures.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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