Arrêt de la Cour du 12 juillet 1988. – Commission des Communautés européennes contre Conseil des Communautés européennes. – Procédure budgétaire: respect du calendrier prévu par le traité. – Affaire 383/87.

Par un arrêt rendu en 1988, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conséquences de l’adoption d’un acte par une institution après l’introduction d’un recours en carence dirigé contre elle. En l’espèce, une institution communautaire avait manqué à son obligation de présenter un projet de budget dans le délai imparti par les traités. Saisie d’une invitation à agir par une autre institution, elle n’avait pas pris position dans le délai de deux mois. Un recours en carence fut alors introduit devant la Cour de justice. Cependant, après l’introduction de ce recours mais avant que la Cour ne rende son arrêt, l’institution défaillante a finalement établi et transmis le projet de budget en question. Se posait dès lors la question de savoir si un recours en carence conserve son objet lorsque l’abstention reprochée a pris fin en cours d’instance. La Cour de justice répond par la négative, en jugeant que l’adoption de l’acte litigieux après l’introduction du recours, mais avant le prononcé de l’arrêt, prive celui-ci de son objet. Il n’y a donc plus lieu pour la juridiction de statuer. Cette solution, fondée sur une interprétation finaliste du recours en carence, interroge sur l’effectivité de cette voie de droit (I), bien que la Cour tempère sa position par une condamnation symbolique aux dépens qui confère une portée pragmatique à sa décision (II).

I. L’extinction de l’objet du litige par l’action tardive de l’institution

La décision de la Cour repose sur une analyse téléologique du recours en carence, laquelle conduit à constater la disparition de l’objet du recours (A), non sans soulever la question de l’impunité de l’illégalité initiale (B).

A. Une interprétation finaliste du recours en carence

La Cour de justice fonde son raisonnement sur la finalité même du recours en carence tel que prévu par le traité. Cette voie de droit vise à obtenir une déclaration constatant qu’une abstention d’agir est contraire au droit communautaire. L’objectif ultime, en vertu de l’article 176 du traité, est d’obliger l’institution défenderesse à « prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la cour ». Le recours a donc une fonction comminatoire : il doit provoquer l’action de l’institution défaillante.

Dès lors que cette action intervient, même tardivement, le but principal du recours est atteint. La Cour souligne qu’une décision au fond constatant la carence initiale ne servirait plus à rien, car elle ne pourrait plus entraîner les conséquences prévues par le traité. En effet, l’institution a déjà agi et il n’y a plus de mesure à prendre pour exécuter un éventuel arrêt de condamnation. La Cour en déduit logiquement que « dans un tel cas, tout comme dans celui où l’institution défenderesse a réagi à l’invitation à agir dans le délai de deux mois, l’objet du recours a disparu ». La solution est donc purement procédurale et pragmatique, évitant un arrêt qui serait dépourvu de toute portée pratique.

B. La question de l’impunité de la carence initiale

Si cette approche pragmatique se comprend, elle n’est pas sans poser de difficultés au regard du principe de légalité. En déclarant qu’il n’y a plus lieu de statuer, la Cour s’interdit de constater formellement l’illégalité de l’abstention initiale de l’institution. Or, cette abstention a bien constitué une violation des obligations découlant du traité, notamment le non-respect d’un délai impératif pour la procédure budgétaire. La carence a existé et a produit des effets, ne serait-ce qu’en retardant le fonctionnement normal des institutions.

La solution retenue pourrait ainsi être perçue comme une forme d’incitation pour les institutions à ne régulariser leur situation qu’au dernier moment, une fois le recours introduit, évitant par là même une condamnation formelle pour manquement. Le non-lieu à statuer neutralise la sanction juridique principale attachée à la carence. La légalité de l’action administrative semble ainsi s’effacer devant une logique d’opportunité, ce qui pourrait affaiblir la force contraignante des délais et des procédures fixés par les traités.

II. La portée d’une décision procédurale au pragmatisme affirmé

La Cour, consciente de la portée de sa décision, ne laisse cependant pas la défaillance initiale de l’institution totalement impunie. Elle consacre un principe procédural clair (A) tout en utilisant le pouvoir que lui confère son règlement de procédure pour adresser un blâme indirect à l’institution défaillante (B).

A. La consécration d’un principe de non-lieu en cas d’action tardive

La portée de cet arrêt est avant tout de fixer une jurisprudence claire pour l’avenir. Il établit fermement que le recours en carence n’a pas pour objet de sanctionner une illégalité passée, mais bien de mettre fin à une abstention présente. L’objet du litige est l’inaction elle-même, et non ses causes ou ses conséquences. Dès lors que l’inaction cesse, le litige s’éteint.

Cette décision consolide la nature spécifique du recours en carence par rapport à d’autres voies de droit, comme le recours en annulation qui, lui, porte sur un acte existant dont les effets doivent être anéantis rétroactivement. La solution apporte une sécurité juridique certaine : les institutions savent désormais qu’en remédiant à leur carence avant le prononcé de l’arrêt, elles peuvent mettre un terme au contentieux. Cet arrêt s’inscrit ainsi comme une décision d’espèce dont la solution a vocation à devenir un principe directeur de la procédure contentieuse communautaire.

B. La condamnation aux dépens comme sanction palliative

La Cour module la rigueur de sa position procédurale par une utilisation significative de l’article 69, paragraphe 5, de son règlement de procédure. Celui-ci lui permet de régler librement les dépens en cas de non-lieu à statuer. En l’espèce, elle condamne l’institution défenderesse à supporter l’intégralité des dépens de l’instance. La motivation de cette condamnation est explicite et revêt une importance particulière.

La Cour relève que cette institution « n’a ni soumis le projet de budget […] avant la date limite prévue par le traité ni, pris contact avec cette institution à l’approche de cette échéance ». Par cette condamnation, la Cour adresse une critique directe et officielle du comportement de l’institution. Bien qu’elle ne puisse plus constater l’illégalité de la carence au fond, elle sanctionne sur le plan financier la négligence procédurale et le manque de coopération interinstitutionnelle. Cette solution, tout en maintenant la logique du non-lieu à statuer, permet de reconnaître la faute initiale et d’apporter une satisfaction, au moins symbolique, à la partie requérante.

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