Arrêt de la Cour du 12 juin 1980. – Express Dairy Foods Limited contre Intervention Board for Agricultural Produce. – Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen’s Bench Division – Royaume-Uni. – Lactosérum – Répétition de l’indu. – Affaire 130/79.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 10 août 1979, dans l’affaire 130/79, offre un éclairage substantiel sur les conséquences d’une déclaration d’invalidité d’un règlement communautaire. Saisie à titre préjudiciel par une juridiction du Royaume-Uni, la Cour était invitée à se prononcer sur l’étendue de l’invalidité de plusieurs règlements de la Commission relatifs à l’instauration de montants compensatoires monétaires pour le lactosérum en poudre. Un opérateur économique avait exporté ce produit entre 1973 et 1977 et avait dû acquitter auprès de l’organisme d’intervention national des montants compensatoires monétaires. Par un arrêt antérieur du 13 mai 1978, la Cour avait déclaré invalide l’un des règlements fondant ces perceptions. L’opérateur a donc sollicité le remboursement intégral des sommes versées au titre de tous les règlements similaires appliqués sur la période, ainsi que le paiement d’intérêts. Face au refus de l’organisme national, qui estimait ne devoir appliquer l’invalidité qu’au seul règlement explicitement visé par la Cour, le litige fut porté devant la juridiction nationale. Celle-ci a alors posé à la Cour trois questions. Il s’agissait de déterminer si l’invalidité constatée dans l’arrêt de 1978 devait être étendue à l’ensemble des règlements de la même nature, puis de clarifier le régime juridique de la restitution des sommes indûment perçues et, enfin, de préciser les règles applicables au paiement d’éventuels intérêts. La Cour de justice répond que les règlements doivent tous être considérés comme invalides pour les mêmes motifs que ceux retenus dans son précédent arrêt. Elle juge ensuite qu’il appartient aux autorités nationales d’assurer la restitution des sommes, en appliquant leur droit national, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité du droit communautaire. Cette solution de renvoi au droit interne est également retenue pour la question accessoire des intérêts.

La décision de la Cour articule ainsi une solution en deux temps, qui consiste d’abord à consacrer l’effet étendu de l’invalidité (I), pour ensuite définir un renvoi encadré au droit national pour la gestion de ses conséquences financières (II).

I. L’extension de l’invalidité des règlements fixant des montants compensatoires monétaires

La Cour examine la première question en confirmant le fondement de l’illégalité de la réglementation (A) avant d’en tirer les conséquences logiques quant à l’invalidité de l’ensemble des textes concernés (B).

A. La confirmation du vice substantiel affectant la réglementation

La Cour de justice fonde sa réponse en rappelant les motifs de son arrêt antérieur du 13 mai 1978. Elle réaffirme que la légalité de l’instauration de montants compensatoires monétaires pour un produit agricole est conditionnée par la dépendance de son prix à celui d’un autre produit faisant l’objet de mesures d’intervention. Or, la Cour avait jugé que « le prix du lait écrémé en poudre n’exerçait aucune influence décisive sur le prix de marché du lactosérum en poudre ». Cette absence de lien économique direct entre les deux produits rendait l’application de montants compensatoires au lactosérum contraire aux dispositions du règlement de base du Conseil.

En reprenant ce raisonnement, la Cour souligne que le vice n’était pas propre au seul règlement examiné en 1978, mais qu’il affectait le principe même de l’imposition de ces montants au produit en cause. Le critère juridique posé par le droit primaire n’étant pas rempli, toute réglementation d’application qui méconnaît cette condition fondamentale est nécessairement illégale. La motivation de la Cour repose donc sur une analyse économique et juridique substantielle qui transcende le cadre d’un seul texte pour toucher à la logique même du système mis en place par la Commission pour le lactosérum.

B. La consécration d’une invalidité en série par identité de motifs

Fort de cette constatation, la Cour en déduit logiquement que l’ensemble de la réglementation partage le même vice. Elle observe qu’il « est constant que cette exigence a été méconnue par l’ensemble de la réglementation litigieuse ». Les différents règlements adoptés entre 1973 et 1977 n’étaient que des adaptations techniques des taux, sans jamais remettre en cause le principe erroné de leur application au lactosérum. Dès lors, l’identité de l’objet et du motif d’illégalité justifie une solution identique pour tous les textes.

La Cour conclut donc que les règlements de la Commission « doivent être considérés comme invalides dans la mesure où ils établissent des montants compensatoires monétaires applicables aux échanges de lactosérum en poudre ». Cette approche pragmatique évite de contraindre les justiciables à multiplier les recours préjudiciels pour chaque règlement d’une même série. Elle confère une portée générale à la constatation d’un vice de fond, simplifiant ainsi le contentieux de la légalité des actes de l’Union et renforçant la sécurité juridique pour les opérateurs économiques.

II. Le renvoi encadré au droit national pour la restitution de l’indu

Après avoir établi l’invalidité des prélèvements, la Cour se penche sur leurs conséquences pécuniaires. Elle établit le principe d’une restitution régie par les droits nationaux (A), une solution qu’elle étend aux questions accessoires comme le paiement d’intérêts (B).

A. Le principe de l’autonomie procédurale nationale et ses limites communautaires

La Cour énonce que la restitution des sommes indûment perçues au titre de la réglementation communautaire invalidée relève de la compétence des juridictions internes, qui doivent statuer « en application de leur droit national, en la forme et au fond ». Ce renvoi à l’autonomie procédurale et substantielle des États membres est justifié par l’absence d’harmonisation communautaire en la matière. Toutefois, ce renvoi n’est pas inconditionnel. La Cour l’assortit de deux limites fondamentales qui deviendront des piliers de sa jurisprudence.

Premièrement, « l’application de la legislation nationale doit se faire de facon non discriminatoire par rapport aux procedures visant a trancher des litiges du meme type, mais purement nationaux » (principe d’équivalence). Deuxièmement, « les modalites de procedure ne peuvent aboutir a rendre pratiquement impossible l’exercice des droits conferes par le droit communautaire » (principe d’effectivité). Par ailleurs, la Cour admet que le droit national puisse prendre en compte une éventuelle répercussion de la taxe sur les acheteurs pour refuser la restitution, afin d’éviter un « enrichissement injustifié » de l’opérateur.

B. L’application de l’autonomie nationale aux questions accessoires de la restitution

Concernant la troisième question relative au paiement d’intérêts sur les sommes à restituer, la Cour applique une logique identique à celle retenue pour la restitution du principal. Elle considère que cette question est accessoire à l’obligation de restitution et que, en l’absence de dispositions communautaires spécifiques, sa résolution appartient aux systèmes juridiques nationaux.

Il incombe donc aux autorités nationales, et notamment aux juridictions, de « régler toutes questions accessoires ayant trait à cette restitution, telles que le versement d’intérêts, en appliquant leurs règles internes ». Cela concerne tant le principe même du paiement d’intérêts que ses modalités de calcul, comme le taux applicable ou la date de départ. Cette solution confirme la ligne de partage tracée par la Cour : si le droit à restitution découle de l’ordre juridique communautaire du fait de l’invalidité du règlement, ses modalités d’exécution relèvent de l’autonomie nationale, pourvu que les droits conférés par l’Union soient effectivement et équitablement protégés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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