Par un arrêt du 26 novembre 1987, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’assimilation d’un groupement sans personnalité juridique à une société de capitaux au sens de la directive 69/335 du 17 juillet 1969. En l’espèce, un fonds commun de placement, constitué aux Pays-Bas sous la forme d’un patrimoine d’affectation dépourvu de personnalité juridique, s’est vu réclamer par l’administration fiscale le paiement d’un impôt sur le capital à la suite de la remise de parts sociales à ses participants. L’administrateur du fonds a contesté cette imposition et a sollicité le remboursement des sommes acquittées. Le litige a été porté devant le Gerechtshof d’Amsterdam, lequel a décidé de surseoir à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la compatibilité de la législation nationale, qui soumettait de telles opérations à l’impôt, avec la directive relative aux impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux. La question posée à la Cour visait à déterminer les exigences, outre la poursuite d’un but lucratif, qu’un groupement de personnes sans personnalité juridique devait satisfaire pour être qualifié de société au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive. En réponse, la Cour énonce qu’« un groupement de personnes, n’ayant pas la personnalité juridique, dont les membres apportent des capitaux à un patrimoine séparé en vue d’atteindre un but lucratif est assimilé à une société de capitaux en vertu de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 69/335 sans aucune exigence supplémentaire ». Elle ajoute cependant qu’« il appartient toutefois au législateur national, en vertu de la même disposition, de déterminer si un tel groupement doit ou non être considéré comme une société de capitaux pour la perception du droit d’apport ». La solution retenue par la Cour repose ainsi sur une interprétation finaliste de la directive, consacrant une définition large de la notion de société de capitaux (I), tout en préservant une marge d’appréciation significative pour les États membres (II).
I. La consécration d’une conception extensive de l’assimilation à une société de capitaux
L’arrêt clarifie le champ d’application de la directive en se fondant sur l’objectif poursuivi par le législateur communautaire (A), ce qui la conduit à retenir une définition matérielle de la société de capitaux reposant sur des critères minimaux (B).
A. Une interprétation finaliste de la règle d’assimilation
La Cour de justice fonde son raisonnement sur la finalité de la disposition dont l’interprétation lui est demandée. Elle souligne que l’article 3, paragraphe 2, de la directive « a pour but d’éviter que le choix d’une certaine forme juridique puisse avoir pour conséquence un traitement fiscal différent d’activités qui, du point de vue économique, sont équivalentes ». Cette approche téléologique permet de dépasser les qualifications formelles du droit national pour appréhender la substance économique des opérations de rassemblement de capitaux. L’objectif est d’assurer une application harmonisée du droit d’apport en neutralisant les stratégies d’optimisation fiscale fondées sur le choix d’une structure juridique plutôt qu’une autre. En se concentrant sur la fonction économique de l’entité, la Cour privilégie une lecture assurant l’effet utile de la directive, à savoir la suppression des entraves à la libre circulation des capitaux qui pourraient résulter de divergences fiscales.
B. La définition de critères d’assimilation minimaux
En conséquence de cette approche, la Cour dégage des critères d’assimilation qui se veulent purement fonctionnels et détachés de toute exigence structurelle additionnelle. Pour qu’un groupement soit assimilé à une société de capitaux, deux conditions sont nécessaires et suffisantes : l’apport de capitaux par ses membres à un patrimoine séparé et la poursuite d’un but lucratif commun. La Cour précise que cette assimilation s’opère « sans aucune exigence supplémentaire ». Elle répond ainsi directement et de manière restrictive à la question du juge national. La personnalité juridique n’est pas un critère pertinent, pas plus que d’autres caractéristiques telles que la cessibilité des parts ou la limitation de la responsabilité des membres, qui sont propres aux sociétés de capitaux visées au paragraphe 1 de l’article 3. Cette interprétation garantit que des entités fonctionnellement similaires à des sociétés de capitaux, comme les fonds communs de placement, entrent bien dans le champ d’application potentiel de la directive.
Cette conception large de l’assimilation est cependant immédiatement tempérée par la reconnaissance de la faculté laissée aux législateurs nationaux.
II. La préservation de la souveraineté fiscale des États membres
Si la Cour définit largement les entités potentiellement soumises à l’impôt, elle rappelle aussitôt que l’assujettissement effectif demeure une prérogative nationale (A), ce qui a pour effet de valider la diversité des régimes fiscaux applicables aux fonds de placement au sein de la Communauté (B).
A. L’affirmation du caractère optionnel de l’imposition
La seconde partie du raisonnement de la Cour s’appuie sur la dernière phrase de l’article 3, paragraphe 2, qui dispose que « toutefois, un État membre peut ne pas la considérer comme telle pour la perception du droit d’apport ». Cette disposition confère aux États membres un pouvoir discrétionnaire explicite. La directive harmonise donc la base d’imposition potentielle en définissant de manière extensive les entités assimilées, mais elle n’impose pas leur taxation effective. L’assimilation opérée par la directive a pour seul effet de permettre aux États membres qui le souhaitent d’assujettir ces groupements au droit d’apport. Elle ne crée aucune obligation d’imposition à leur charge, ni aucun droit à l’exonération pour les entités concernées. La Cour confirme ainsi que l’harmonisation fiscale visée par la directive est partielle et qu’elle laisse subsister une compétence nationale déterminante.
B. La portée de la solution pour les fonds communs de placement
En pratique, cet arrêt signifie que le traitement fiscal des fonds communs de placement au regard du droit d’apport dépend entièrement du choix opéré par chaque législateur national. Un État membre est libre de soumettre ces fonds à l’impôt, comme en l’espèce, ou de les en exonérer, sans pour autant violer la directive. La solution de la Cour a pour conséquence de légitimer les différences de traitement fiscal entre États membres pour les structures d’investissement qui ne sont pas des sociétés de capitaux au sens strict. Si le but de la directive est de promouvoir la libre circulation des capitaux, la faculté laissée aux États crée une hétérogénéité qui peut influencer les décisions d’investissement. L’arrêt confirme que la directive n’a pas entendu réaliser une harmonisation totale, mais a seulement fixé un cadre commun à l’intérieur duquel les États conservent une latitude fiscale importante.