Par un arrêt en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur les conséquences du non-respect par un État membre du délai de transposition d’une directive. En l’espèce, une directive du 13 décembre 1976, visant à coordonner les garanties exigées des sociétés anonymes, imposait aux États membres de mettre en vigueur les dispositions nationales nécessaires à sa mise en œuvre dans un délai de deux ans à compter de sa notification. Ce délai, pour l’État membre mis en cause, était venu à échéance le 16 décembre 1978. Constatant l’absence de toute mesure de transposition à cette date, la Commission a engagé une procédure en manquement conformément à l’article 169 du traité CEE.
L’État membre ne contestait pas sa défaillance. Il soutenait toutefois que ce retard n’était pas le fruit d’une négligence mais résultait de la complexité de la matière et des difficultés à articuler cette réforme ponctuelle avec d’autres modifications législatives plus vastes envisagées pour l’avenir. La Commission, pour sa part, considérait que le manquement était constitué par la simple inobservation du délai, indépendamment des raisons invoquées.
Il revenait donc à la Cour de déterminer si des difficultés d’ordre interne pouvaient justifier le non-respect par un État membre des obligations qui lui incombent en vertu d’une directive. La Cour de justice a répondu par la négative, en jugeant que le manquement était établi. Elle a affirmé qu’un État ne pouvait se prévaloir de son ordre juridique interne pour se soustraire à ses obligations communautaires.
Dès lors, la solution retenue par la Cour réaffirme avec force le caractère impératif de l’obligation de transposition (I), consolidant ainsi l’efficacité du droit communautaire comme un instrument essentiel de l’intégration (II).
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I. La réaffirmation du caractère impératif de l’obligation de transposition
La Cour, en condamnant l’État défaillant, énonce une solution d’une grande fermeté en ce qu’elle rejette catégoriquement les justifications tirées de l’ordre interne (A) et rappelle la diligence attendue des autorités nationales dans le processus de mise en œuvre (B).
A. Le rejet constant des justifications tirées de l’ordre juridique interne
La Cour de justice rappelle un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire. Elle souligne qu’« un état membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations resultant des directives communautaires ». Cette formule, devenue classique, constitue la pierre angulaire de la primauté et de l’effet direct du droit de l’Union. En refusant de prendre en considération la complexité de la matière ou les difficultés du calendrier législatif national, la Cour confère à l’obligation de transposition un caractère absolu.
Le raisonnement est dénué de toute ambiguïté : la nature même du système communautaire impose que les normes adoptées conjointement soient appliquées de manière uniforme et simultanée. Admettre des dérogations fondées sur des particularités nationales reviendrait à vider de leur substance les délais fixés par les directives et à créer des distorsions entre les États membres. La sécurité juridique et l’égalité des sujets de droit devant la norme communautaire seraient alors compromises. La solution est donc logiquement et juridiquement implacable, garantissant que l’engagement d’un État au niveau communautaire ne puisse être neutralisé par des considérations purement domestiques.
B. L’exigence de diligence des autorités nationales
Au-delà du rappel de ce principe général, la Cour ajoute une considération pragmatique qui renforce la responsabilité des États. Elle observe que « les gouvernements des etats membres participent aux travaux preparatoires des directives et doivent, des lors, etre en mesure D ‘ elaborer , dans le delai fixe , le projet des dispositions legislatives necessaires a leur mise en oeuvre ». Cet argument prive par avance l’État de toute excuse tirée d’une prétendue impréparation ou d’une découverte tardive des difficultés techniques du texte.
La participation au processus décisionnel communautaire n’est pas seulement un droit, mais elle engendre également une obligation de prévoyance. Les États sont censés anticiper les défis de la transposition dès la phase d’élaboration de la directive. Le délai de deux ans, loin d’être une simple indication, est un temps octroyé pour mener à bien un travail législatif et réglementaire dont les contours sont déjà connus des administrations nationales. Le fait que, dans cette affaire, aucun projet de loi n’ait même été soumis au parlement national à l’expiration du délai met en lumière une carence manifeste, que les juges ne manquent pas de relever pour souligner le manque de diligence de l’État concerné.
II. La consolidation de l’efficacité du droit communautaire
Cette décision, par sa rigueur, illustre parfaitement la fonction du recours en manquement comme garantie de l’effectivité du droit communautaire (A) et affirme la portée normative des directives comme instrument d’harmonisation (B).
A. Le recours en manquement, garantie de l’effectivité du système juridique
L’arrêt commenté est une démonstration du rôle essentiel de la Commission en sa qualité de gardienne des traités. La procédure en manquement est l’outil par excellence qui lui permet de veiller au respect par les États de leurs engagements. La position de la Cour, en validant l’analyse de la Commission et en écartant les justifications de l’État, conforte ce mécanisme de contrôle. Sans un tel recours, les obligations découlant des directives risqueraient de demeurer lettre morte dans les ordres juridiques nationaux récalcitrants ou négligents.
La décision a une portée pédagogique et dissuasive. Elle envoie un signal clair à l’ensemble des États membres sur le sérieux avec lequel la Cour et la Commission considèrent les délais de transposition. En objectivant le manquement, qui est constitué par le seul dépassement du délai, la Cour simplifie la charge de la preuve pour la Commission et rend le contrôle plus efficace. La solution assure ainsi que l’ordre juridique communautaire ne soit pas une simple construction théorique, mais un système normatif doté de mécanismes contraignants assurant sa mise en œuvre concrète.
B. La portée normative de la directive comme instrument d’harmonisation
La directive en cause visait à coordonner les garanties exigées des sociétés pour protéger les intérêts des associés et des tiers. L’objectif était donc de créer des conditions équivalentes au sein du marché commun. Le respect scrupuleux des délais de transposition est la condition sine qua non de la réussite d’une telle harmonisation. Un décalage dans la mise en œuvre d’un État à l’autre créerait précisément l’insécurité et les inégalités que la directive entendait supprimer.
Cet arrêt doit donc être lu comme un arrêt de principe quant à la force obligatoire de la directive dans toutes ses composantes, y compris ses dispositions temporelles. Si le choix des moyens et de la forme de la transposition est laissé aux États, le respect du délai, lui, ne l’est pas. La Cour fait ainsi prévaloir l’objectif d’harmonisation sur les contingences administratives ou politiques nationales. Cette décision, bien que rendue dans un contexte spécifique, a une portée générale qui irrigue encore aujourd’hui toute la jurisprudence relative aux obligations des États membres et à la nécessité de garantir l’effet utile du droit de l’Union.