Arrêt de la Cour du 13 décembre 1983. – Apple and Pear Development Council contre K.J. Lewis Ltd et autres. – Demande de décision préjudicielle: County Court, Tunbridge Wells – Royaume-Uni. – Mesures nationales visant au développement de la production et de la vente de pommes et de poires indigènes. – Affaire 222/82.

Dans un arrêt du 13 décembre 1983, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’un renvoi préjudiciel par la County Court de Tunbridge Wells, s’est prononcée sur la compatibilité d’un organisme national de développement agricole avec le droit communautaire. En l’espèce, un organisme public britannique, financé par une taxe obligatoire imposée aux producteurs de pommes et de poires, avait pour mission de promouvoir la production et la commercialisation des fruits nationaux. Des producteurs, poursuivis pour non-paiement de cette taxe, ont contesté la légalité de l’organisme et de son financement au regard des règles du traité CEE sur la libre circulation des marchandises et sur la politique agricole commune. Ils soutenaient que l’existence même de cet organisme, ses activités de promotion en faveur des produits nationaux et l’imposition de standards de qualité spécifiques constituaient des entraves contraires au droit communautaire. La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour sur la question de savoir si les dispositions du traité et de l’organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes s’opposent à l’existence d’un tel organisme et, le cas échéant, quelles en sont les conséquences sur la validité de la taxe et les droits des justiciables. La Cour de justice répond qu’un tel dispositif n’est pas en soi incompatible avec le droit communautaire, mais que ses activités doivent en respecter scrupuleusement les limites. La légalité de l’organisme et de son financement est ainsi subordonnée à la conformité de ses actions concrètes avec les principes du marché commun, notamment l’interdiction des mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives et le caractère exhaustif de la réglementation agricole commune.

La Cour de justice admet ainsi la compatibilité de principe d’une structure nationale de développement agricole (I), tout en encadrant strictement ses interventions sur le marché pour préserver l’intégrité de celui-ci (II).

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I. La validation de principe du cadre institutionnel national

La Cour reconnaît la possibilité pour un État membre de maintenir une structure de développement sectoriel, considérant que ni son statut (A) ni son mode de financement (B) ne sont, par nature, contraires au droit communautaire.

A. La compatibilité de la structure organique avec le marché commun

La Cour examine d’abord la nature même de l’organisme en cause et conclut que son existence n’est pas interdite par les textes communautaires. Elle relève que l’organisme « N ‘ est pas une organisation de producteurs , au sens du titre ii du reglement ( CEE ) no 1035/72 precite , qui participe a L ‘ administration du regime des prix et des interventions prevu par ce reglement ». Sa mission ne se confond pas avec les mécanismes de gestion du marché institués par la politique agricole commune. De ce fait, l’obligation faite aux producteurs de s’y affilier ne contrevient pas, en elle-même, au droit communautaire. La Cour adopte une approche fonctionnelle, dissociant l’existence de la structure de la nature de ses activités. Elle juge que l’affiliation obligatoire ne devient problématique que si les missions poursuivies par l’organisme sont elles-mêmes illicites. En affirmant que « L ‘ obligation de S ‘ affilier a un tel organisme ne saurait etre consideree comme incompatible avec les dispositions indiquees dans la question que si les activites de L ‘ organisme sont elles-meme contraires a ces dispositions », la Cour valide le contenant institutionnel, sous réserve de la licéité de son contenu.

B. La légalité conditionnelle du mécanisme de financement

La Cour se penche ensuite sur la taxe obligatoire qui finance l’organisme. Elle écarte son assimilation à une taxe d’effet équivalant à un droit de douane, car elle ne frappe pas les produits importés mais la production nationale. La question de sa compatibilité se pose alors au regard des règles de l’organisation commune des marchés. Une telle taxe serait illicite si elle entravait le fonctionnement des mécanismes de marché, par exemple en affectant la formation des prix. Toutefois, la Cour nuance aussitôt ce risque, en observant que « en regle generale , une taxe dont le produit est essentiellement utilise a des mesures de publicite qui autrement auraient du etre financees par les producteurs eux-memes , ne saurait avoir de tels effets ». L’élément décisif reste cependant la finalité du prélèvement. La légalité de la taxe est indissociablement liée à celle des activités qu’elle finance. La Cour souligne que « la perception D ‘ une taxe telle que celle de L ‘ espece serait contraire au droit communautaire , dans la mesure ou elle servirait a financer des activites qui sont incompatibles avec les dispositions indiquees dans la question prejudicielle ». L’analyse de la taxe est donc subordonnée à l’examen des missions de l’organisme.

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L’appréciation de la Cour ne se limite donc pas à la structure de l’organisme ; elle porte essentiellement sur la nature de ses activités, qui font l’objet d’un contrôle rigoureux pour garantir la fluidité des échanges.

II. L’encadrement strict des activités de l’organisme pour la protection du marché unique

La Cour établit une distinction claire entre les interventions de l’organisme qui sont conformes au droit de l’Union et celles qui ne le sont pas, en traçant une ligne de partage entre la promotion légitime et la préférence nationale prohibée (A) et en réaffirmant la primauté des normes communes sur les règles unilatérales (B).

A. La distinction entre promotion de la qualité et préférence nationale

Analysant les campagnes publicitaires de l’organisme, la Cour applique le raisonnement développé dans sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt « Commission c. Irlande ». Elle rappelle qu’un organisme institué par les pouvoirs publics « ne peut pas , par rapport au droit communautaire , jouir de la meme liberte , en ce qui concerne les moyens de publicite employes , que celle dont beneficient les producteurs eux-memes ou les associations de producteurs de caractere volontaire ». En conséquence, l’article 30 du traité CEE interdit à un tel organisme de mener une publicité qui viserait à « deconseiller L ‘ achat des produits des autres etats membres ou a deprecier ces produits aux yeux des consommateurs » ou qui conseillerait aux consommateurs d’acheter les produits nationaux « uniquement en raison de leur origine nationale ». Cependant, la Cour admet qu’il est licite pour cet organisme de mettre en valeur « les qualites specifiques des fruits produits a L ‘ interieur de L ‘ etat membre en cause » ou de promouvoir des variétés typiques de la production nationale en raison de leurs propriétés particulières. Cette distinction autorise ainsi une forme de marketing territorial fondé sur des critères objectifs de qualité, tout en prohibant fermement les campagnes à caractère protectionniste basées sur la seule origine.

B. La prééminence des normes de qualité communautaires

La Cour examine enfin les activités de l’organisme relatives à l’amélioration de la qualité des produits. Il ressortait du dossier que celui-ci formulait des recommandations plus exigeantes que les normes communautaires. La réponse de la Cour est sans équivoque : l’organisation commune des marchés dans ce secteur a mis en place un système de normes de qualité qui présente « un caractere exhaustif ». Par conséquent, les États membres et les organismes qu’ils créent sont empêchés d’imposer des dispositions unilatérales en la matière. La Cour distingue toutefois les simples recommandations des mesures contraignantes. Si l’organisme peut émettre des « pures recommandations concernant la qualite et la presentation des fruits commercialises », il lui est interdit de tenter d’imposer leur respect « en appliquant des sanctions quelconques ou en exploitant L ‘ autorite que lui confere sa constitution en vue D ‘ exercer une pression sur les producteurs ou sur les commercants ». Cette solution réaffirme le principe de la primauté et de l’effet direct de la réglementation communautaire, empêchant la création de barrières techniques au commerce déguisées en standards de qualité nationaux.

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