Arrêt de la Cour du 13 décembre 1990. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’État – Non-transposition d’une directive. – Affaire C-240/89.

Par un arrêt rendu en 1990 dans l’affaire C-240/89, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur le manquement d’un État membre à ses obligations découlant du traité instituant la Communauté économique européenne. En l’espèce, une directive du Conseil du 19 septembre 1983, relative à la protection des travailleurs contre les risques liés à une exposition à l’amiante, imposait aux États membres de prendre les dispositions nationales de transposition nécessaires avant le 1er janvier 1987. Constatant qu’un État membre n’avait pas communiqué les mesures adoptées dans le délai imparti, la Commission a engagé une procédure en manquement. Après une lettre de mise en demeure restée sans suite satisfaisante et un avis motivé demeuré sans réponse, la Commission a saisi la Cour de justice afin qu’elle reconnaisse le manquement de l’État défendeur. Devant la Cour, l’État membre a admis ne pas avoir encore achevé la transposition, tout en faisant valoir l’existence d’une législation nationale générale sur la santé des travailleurs ainsi que l’engagement d’une procédure parlementaire visant à habiliter son gouvernement à transposer par décret plusieurs directives, dont celle en cause. Il se posait donc à la Cour la question de savoir si un État membre peut se prévaloir de considérations propres à son ordre juridique interne pour justifier un retard dans l’exécution d’une obligation de transposition. La Cour de justice répond par la négative, en déclarant que l’État membre a manqué à ses obligations. Elle rappelle à cet effet sa jurisprudence constante selon laquelle des difficultés d’ordre interne ne sauraient justifier le non-respect des délais prescrits par une directive.

La solution adoptée par la Cour, bien que classique, réaffirme avec fermeté le caractère absolu de l’obligation de transposition des directives dans les délais prescrits (I), garantissant ainsi la primauté et l’effectivité du droit communautaire contre toute entrave tirée des particularités nationales (II).

I. Le caractère inconditionnel de l’obligation de transposition

La Cour rappelle que l’obligation de transposer une directive constitue une exigence de résultat dont les modalités ne sauraient être remises en cause (A), rendant ainsi inopérantes les justifications fondées sur l’existence de mesures internes partielles ou en cours d’élaboration (B).

A. Une obligation de résultat à échéance fixe

La directive, en vertu du traité CEE, lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Le délai de transposition constitue un élément essentiel de cette obligation. Son non-respect prive la directive de son effet utile en retardant l’harmonisation recherchée et en créant une application inégale du droit communautaire sur le territoire de la Communauté. Dans son arrêt, la Cour se limite à un constat objectif du manquement. Elle relève simplement que l’État mis en cause n’a pas adopté les mesures nécessaires dans le délai prescrit. La constatation « qu’en ne prenant pas dans le délai prescrit les mesures nécessaires […] la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent » suffit à caractériser la défaillance. Le manquement est donc constitué par le seul fait matériel de l’expiration du délai sans que la transposition ne soit complète et correcte, indépendamment de toute intention ou faute de l’État membre.

B. L’indifférence des mesures nationales incomplètes

Face à l’accusation de manquement, l’État défendeur invoquait l’existence de dispositions générales visant à protéger la santé des travailleurs et le lancement d’une procédure législative spécifique. La Cour écarte implicitement mais nécessairement ces arguments. Une jurisprudence bien établie exige que la transposition soit assurée par des actes nationaux créant une situation juridique suffisamment claire, précise et contraignante. L’existence d’une législation générale ou de pratiques administratives conformes aux objectifs d’une directive ne saurait suffire. De même, un projet de loi ou une loi d’habilitation parlementaire, comme celle présentée par l’État membre en l’espèce, ne constituent que des étapes préparatoires. Ces mesures ne sauraient être assimilées à une transposition effective tant que les normes spécifiques, détaillées et juridiquement obligatoires ne sont pas formellement entrées en vigueur dans l’ordre juridique interne.

La rigueur de cette position s’explique par la nécessité de garantir la pleine application du droit communautaire. Admettre le contraire reviendrait à laisser aux États membres la possibilité de se soustraire à leurs obligations en invoquant des processus internes dont la durée et l’issue sont par nature incertaines.

II. Le rejet systématique des justifications tirées de l’ordre interne

La Cour de justice profite de cette affaire pour réitérer un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire (A), lequel conditionne directement l’effectivité et la primauté du droit communautaire (B).

A. La réaffirmation d’une jurisprudence fondamentale

Le motif central de la décision de la Cour réside dans le rappel de sa jurisprudence constante. Elle énonce de manière lapidaire qu’« un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations et délais prescrits par les directives ». Ce principe, maintes fois affirmé, constitue une pierre angulaire de l’édifice communautaire. Il interdit à un État de se réfugier derrière ses propres défaillances, qu’elles soient d’ordre constitutionnel, administratif ou politique. La lenteur des procédures parlementaires, l’opposition politique, une crise gouvernementale ou encore la complexité de la répartition des compétences internes sont autant de circonstances que la Cour a systématiquement jugées inopposables à la Communauté. La solution assure ainsi une application uniforme et simultanée du droit communautaire, prévenant toute rupture d’égalité entre les États membres.

B. La garantie de l’effectivité du droit communautaire

En refusant toute excuse fondée sur l’organisation interne de l’État, la Cour assure la pleine portée de ses obligations. Le jugement en manquement ne vise pas seulement à sanctionner un État défaillant, mais également à le contraindre à se mettre en conformité. La position de la Cour oblige les États membres à anticiper et à adapter leurs structures et procédures internes pour être en mesure de respecter leurs engagements communautaires. Il leur appartient de prendre toutes les dispositions utiles pour garantir que les délais de transposition, qu’ils ont eux-mêmes acceptés au sein du Conseil, seront respectés. Cet arrêt, bien qu’il ne constitue pas un revirement de jurisprudence, revêt une portée pédagogique importante. Il rappelle à l’ensemble des États membres que l’appartenance à la Communauté implique des contraintes fortes et que l’efficacité de l’ordre juridique commun dépend de la discipline et de la loyauté de chacun.

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Hassan KOHEN
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