Arrêt de la Cour du 13 décembre 1991. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’Etat – Contrôles physiques et formalités administratives lors du transport de marchandises entre Etats membres – Directive 87/53/CEE. – Affaire C-69/90.

Par un arrêt en manquement du 17 octobre 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’étendue de l’obligation d’information qui pèse sur les États membres dans le cadre de la transposition des directives. En l’espèce, la Commission des Communautés européennes avait engagé une procédure en manquement contre la République italienne. Elle lui reprochait de ne pas avoir communiqué les dispositions nationales adoptées pour se conformer à la directive 87/53/CEE du Conseil, ou subsidiairement, de ne pas avoir pris les mesures nécessaires à cette fin. Cette directive visait à faciliter les contrôles physiques et les formalités administratives lors du transport de marchandises entre États membres.

La République italienne ne contestait pas ne pas avoir transposé l’une des dispositions de la directive dans le délai imparti, qui expirait le 1er juillet 1987. Concernant les autres dispositions, le gouvernement italien soutenait qu’elles n’exigeaient pas l’adoption de mesures de mise en œuvre spécifiques. Il affirmait qu’elles se bornaient à prescrire des « comportements matériels » pour les autorités nationales, dont le respect ne pouvait être contrôlé par la Commission que dans des situations concrètes. La Commission, privée de toute information sur la manière dont l’Italie assurait l’application de ces dispositions, a saisi la Cour de justice sur le fondement de l’article 169 du traité CEE.

La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si un État membre manque à ses obligations lorsque, estimant que certaines dispositions d’une directive ne nécessitent pas de mesures de transposition, il s’abstient de communiquer à la Commission les raisons justifiant cette position.

La Cour de justice constate le manquement de la République italienne. Elle juge que l’obligation de communication, prévue par la directive, implique pour un État membre qui estime ne pas avoir à prendre de mesures d’exécution, le devoir d’en informer la Commission en exposant les motifs de son analyse avant l’expiration du délai de transposition. La Cour fonde cette solution sur le devoir de coopération loyale découlant de l’article 5 du traité CEE, qui impose aux États de faciliter à la Communauté l’accomplissement de sa mission de surveillance de l’application du droit communautaire.

Cet arrêt rappelle ainsi l’obligation fondamentale de transposition des directives (I), avant de consacrer une conception extensive du devoir d’information des États membres, corollaire du principe de coopération loyale (II).

I. La double obligation étatique de transposition et d’information

La solution de la Cour s’inscrit dans une logique établie, en rappelant d’abord le caractère impératif de la transposition des directives (A), puis en soulignant l’importance de l’obligation de notifier les mesures nationales correspondantes (B).

A. Le manquement caractérisé par l’absence de transposition

Le premier chef de manquement retenu à l’encontre de la République italienne est des plus classiques. L’État défendeur a reconnu ne pas avoir pris, dans le délai prescrit, les mesures nécessaires pour se conformer à l’article 7 bis nouveau de la directive. Face à cet aveu, la Cour ne pouvait que constater la violation des obligations découlant du traité. Ce faisant, elle applique une jurisprudence constante en matière de recours en manquement pour non-transposition d’une directive.

La condamnation sur ce point illustre la fonction première du contrôle exercé par la Commission en sa qualité de gardienne des traités. La directive, en vertu de l’article 189 du traité CEE, lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. L’absence de toute mesure d’exécution constitue la forme la plus évidente de manquement, privant la directive de son effet utile sur le territoire de l’État défaillant.

B. L’obligation essentielle de communication des mesures de mise en œuvre

Au-delà de l’obligation de résultat qu’est la transposition, la directive 87/53/CEE contenait une obligation procédurale claire. Son article 2 imposait aux États membres de communiquer à la Commission le texte des dispositions adoptées pour son application. La Cour rappelle que cette obligation d’information est un élément crucial du mécanisme de la directive. Elle permet à la Commission de vérifier si les États membres se sont correctement et complètement acquittés de leur devoir de transposition.

La Cour énonce ainsi que « Cet article oblige les États membres à fournir à la Commission, dans le délai imparti, toutes les informations sur les mesures qu’ils ont adoptées pour se conformer à la directive 87/53 ou, le cas échéant, sur les dispositions existant dans leur ordre juridique interne qui assurent déjà la pleine application de cette directive ». Cette exigence de transparence est indispensable à l’exercice par la Commission de sa mission de surveillance, prévue à l’article 155 du traité. Sans cette communication, la Commission se trouverait dans l’impossibilité pratique d’évaluer la conformité du droit national au droit communautaire.

La Cour refuse cependant de s’en tenir à cette lecture littérale de la directive. Elle va enrichir la portée de cette obligation d’information en la combinant avec le principe général de coopération loyale.

II. L’extension de l’obligation d’information par le prisme de la coopération loyale

L’apport principal de l’arrêt réside dans le rejet de l’argumentation italienne (A) qui conduit la Cour à consacrer une obligation positive de justification en cas d’inaction de la part d’un État membre (B).

A. Le rejet de la défense fondée sur l’inutilité de mesures d’exécution

Face au reproche de la Commission, le gouvernement italien avait avancé un argument subtil pour justifier son silence. Il soutenait que, hormis l’article 7 bis, les dispositions de la directive prescrivaient de simples « comportements matériels » et n’appelaient donc aucune mesure normative interne. La Cour choisit de ne pas se prononcer sur le fond de cet argument. Elle estime qu’il n’est pas nécessaire « d’examiner si la mise en œuvre de la directive 87/53 exigeait de la part du gouvernement italien l’adoption de mesures nationales spécifiques ».

Cette approche permet à la Cour de déplacer le cœur du débat. La question n’est plus de savoir si des mesures étaient objectivement nécessaires, mais si l’État pouvait rester silencieux en présumant de leur inutilité. En se dispensant d’analyser le contenu matériel de la directive, la Cour se concentre sur la seule obligation procédurale de communication. Elle considère que le manquement est constitué par l’absence totale de dialogue avec la Commission, indépendamment du bien-fondé de la position de l’État membre sur la nécessité de légiférer.

B. La consécration d’un devoir de justification de l’inaction

C’est en se fondant sur le devoir de coopération loyale de l’article 5 du traité CEE que la Cour donne toute sa portée à l’obligation d’information. Elle juge que cette obligation « implique, en outre, que, au cas où un État membre estime que certaines dispositions de la directive 87/53 ne nécessitent pas, de sa part, l’adoption de mesures de mise en œuvre sur le plan interne, cet État est tenu d’en communiquer les motifs à la Commission avant l’expiration du délai imparti ». Cette solution transforme une obligation de communiquer des actes positifs en une obligation de justifier une inaction.

L’arrêt établit ainsi qu’un État membre ne peut unilatéralement décider que son droit interne est déjà conforme ou que la directive n’appelle pas d’action de sa part, puis garder le silence. Il doit au contraire engager un dialogue préventif avec la Commission, en lui fournissant une explication circonstanciée. Cette exigence permet à la Commission d’apprécier la pertinence des motifs invoqués et, le cas échéant, de faire valoir son point de vue avant l’engagement d’une procédure contentieuse. Cette jurisprudence renforce considérablement les prérogatives de la Commission et assure une plus grande effectivité au contrôle de l’application du droit de l’Union.

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