Arrêt de la Cour du 13 décembre 2001. – Parlement européen contre Conseil de l’Union européenne. – Règlement (CE) nº 2772/1999 – Système d’étiquetage de la viande bovine – Compétence du Conseil. – Affaire C-93/00.

Par un arrêt du 26 juin 2001, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les limites des compétences d’exécution des institutions de l’Union, en se prononçant sur la validité d’un règlement prolongeant un régime transitoire en matière d’étiquetage de la viande bovine. En l’espèce, un règlement de 1997 avait instauré un système d’étiquetage facultatif de la viande bovine, tout en prévoyant son remplacement par un système obligatoire à compter du 1er janvier 2000. Ce même règlement habilitait le Conseil à arrêter, avant cette date, les règles générales de ce futur système obligatoire. Constatant que les conditions techniques n’étaient pas réunies pour le passage au régime obligatoire, le Conseil a adopté, en décembre 1999 sur le fondement de cette habilitation, un nouveau règlement qui, au lieu de définir les règles du système obligatoire, prorogeait pour une durée de huit mois l’application du système facultatif.

Saisi d’un recours en annulation par le Parlement européen, qui estimait que cette action empiétait sur ses prérogatives de colégislateur, le Conseil, soutenu par la Commission et un État membre, a défendu sa compétence en invoquant l’existence d’une base juridique dérivée l’autorisant à prendre les mesures nécessaires pour assurer la transition entre les deux régimes. Le Parlement soutenait pour sa part que la prorogation du système facultatif constituait une modification d’un élément essentiel du règlement de 1997, laquelle ne pouvait être décidée que selon la même procédure législative que celle ayant présidé à son adoption. La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si une institution peut modifier le champ d’application temporel d’un acte législatif en se fondant sur une disposition d’habilitation contenue dans ce même acte.

La Cour de justice répond par la négative, annulant le règlement litigieux. Elle juge que la prorogation du système facultatif « a, en réalité, modifié le champ d’application dans le temps du règlement n° 820/97 », et qu’une telle modification ne pouvait intervenir que sur une base juridique de nature équivalente, c’est-à-dire une disposition du traité lui-même. Le Conseil était par conséquent incompétent pour adopter l’acte sur le fondement utilisé. Toutefois, usant de la faculté que lui confère l’article 231, second alinéa, du traité CE, la Cour décide de maintenir les effets du règlement annulé afin de préserver la sécurité juridique. La solution retenue concilie ainsi une stricte application du principe de légalité institutionnelle (I) avec une gestion pragmatique de ses conséquences dans le temps (II).

I. La consécration d’une conception stricte de la hiérarchie des normes

La Cour de justice annule le règlement litigieux en s’appuyant sur une interprétation rigoureuse des compétences d’exécution, qui réaffirme le principe du parallélisme des formes. Cette décision vient ainsi sanctionner une confusion entre pouvoir d’exécution et pouvoir de modification de l’acte de base (A), tout en confortant l’équilibre des pouvoirs institutionnels (B).

A. Le rejet de la modification de l’acte de base par une mesure d’exécution

Le raisonnement de la Cour repose sur une distinction fondamentale entre l’édiction de mesures d’application et la modification d’éléments essentiels d’un règlement. En l’espèce, le règlement de 1997 fixait une échéance précise, le 31 décembre 1999, pour la fin du système d’étiquetage facultatif. En adoptant un acte prolongeant ce système, le Conseil n’a pas arrêté les « règles générales d’un système d’étiquetage obligatoire » comme l’y autorisait l’article 19 du règlement de base, mais il en a modifié l’économie générale en reportant l’entrée en vigueur du régime obligatoire.

La Cour constate que l’objet principal du règlement attaqué est bien de proroger la validité du système facultatif et non d’établir le nouveau système obligatoire. Elle relève que les seules obligations mentionnées se bornent à rappeler des règles déjà existantes en matière d’étiquetage. Par conséquent, l’acte ne relève pas de la compétence d’exécution déléguée, mais constitue une véritable modification de l’acte de base. En affirmant que « la modification de ce règlement ne pouvait intervenir que sur le fondement d’une base juridique de nature équivalente à celle sur le fondement de laquelle il avait été adopté », la Cour censure le recours à une base juridique dérivée pour altérer un élément considéré comme essentiel.

B. La réaffirmation du principe du parallélisme des formes et des procédures

En jugeant que le Conseil était incompétent, la Cour de justice applique avec rigueur le principe du parallélisme des formes, selon lequel une norme ne peut être modifiée que par une norme de rang égal ou supérieur, adoptée selon une procédure de même nature. Le règlement de 1997 ayant été adopté sur la base de l’article 43 du traité CE, sa modification, même temporelle, aurait dû suivre une procédure législative équivalente, impliquant les propositions et consultations prévues par le traité. Le Conseil ne pouvait donc s’auto-attribuer, par le biais d’une disposition du droit dérivé, un pouvoir de modification qui appartient au législateur de l’Union.

Cette solution a le mérite de préserver l’équilibre institutionnel et les prérogatives du Parlement européen. Admettre la thèse du Conseil aurait permis à une institution de contourner la procédure de codécision ou de consultation parlementaire en s’appuyant sur une habilitation large insérée dans un acte antérieur. La Cour réaffirme ainsi que les compétences d’exécution, aussi larges soient-elles, ne sauraient permettre de déroger aux règles de compétence et de procédure fixées par les traités, qui constituent la charte constitutionnelle de l’Union. La rigueur de cette annulation est cependant tempérée par la prise en compte de ses effets pratiques.

II. La modulation des effets de l’annulation au service de la sécurité juridique

Si l’annulation du règlement s’imposait au regard du principe de légalité, ses conséquences auraient pu créer une insécurité juridique préjudiciable. La Cour choisit donc de neutraliser les effets rétroactifs de son arrêt en maintenant les effets de l’acte annulé (A), démontrant ainsi le caractère pragmatique de son contrôle juridictionnel (B).

A. La neutralisation de la rétroactivité de l’annulation

L’annulation d’un acte par la Cour de justice a, en principe, un effet rétroactif. Appliqué en l’espèce, ce principe aurait entraîné la disparition de l’acte ayant prolongé le système d’étiquetage facultatif, créant un vide juridique pour la période allant du 1er janvier 2000 jusqu’à l’adoption du règlement définitif en juillet 2000. Une telle situation aurait pu remettre en cause la validité des décisions prises par les États membres et les opérateurs économiques sur le fondement du règlement annulé, générant une grande incertitude.

Consciente de ce risque, la Cour décide, sur le fondement de l’article 231, second alinéa, du traité CE, de moduler les effets de son arrêt dans le temps. Elle juge que « pour des motifs de sécurité juridique », il y a lieu de considérer comme définitifs les effets des dispositions du règlement annulé. Cette décision permet de valider a posteriori les situations juridiques nées durant la période de prorogation illégale, protégeant ainsi la confiance légitime des acteurs concernés. L’intérêt de la stabilité des relations juridiques l’emporte sur l’application mécanique des conséquences de l’annulation.

B. La portée d’un instrument de bonne gouvernance judiciaire

Le recours à la limitation des effets d’une annulation n’est pas exceptionnel dans la jurisprudence de la Cour. Il illustre sa volonté d’exercer un contrôle qui ne se limite pas à une simple censure, mais qui vise également à gérer les conséquences de ses décisions pour assurer le bon fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union. En l’espèce, la Cour opère un arbitrage délicat entre deux impératifs : la nécessité de sanctionner une violation des règles de compétence et celle de préserver la continuité et la stabilité du droit.

Cette approche pragmatique témoigne de la nature quasi constitutionnelle de la juridiction de l’Union, qui doit veiller à la fois au respect de la répartition des pouvoirs et à l’effectivité du droit applicable sur le territoire des États membres. En maintenant les effets d’un acte qu’elle déclare illégal, la Cour ne valide pas la procédure suivie par le Conseil, mais elle prévient un désordre juridique qui serait plus dommageable que l’irrégularité initiale. L’arrêt constitue ainsi une illustration exemplaire de l’équilibre que la Cour de justice s’efforce de maintenir entre la rigueur des principes et le réalisme de leurs applications.

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Hassan KOHEN
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