Par un arrêt du 6 juin 1995, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours du principe d’égalité de rémunération en matière de congé de maternité. En l’espèce, des travailleuses salariées du secteur de la santé en Irlande du Nord ont bénéficié d’un congé de maternité durant lequel leur rémunération a été calculée sur la base de leurs salaires antérieurs. Postérieurement à la détermination de cette base de calcul, une augmentation générale des salaires a été décidée avec effet rétroactif, mais elle n’a pas été répercutée sur les prestations de maternité versées aux intéressées. Celles-ci ont alors engagé une action en justice, arguant d’une discrimination fondée sur le sexe.
Saisi en première instance, l’Industrial Tribunal a rejeté leurs prétentions. Les travailleuses ont interjeté appel de cette décision devant la Court of Appeal in Northern Ireland. Cette dernière, estimant que le litige soulevait des questions d’interprétation du droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il était demandé en substance si l’article 119 du traité CEE et les directives relatives à l’égalité de rémunération et de traitement imposent le maintien du salaire intégral pendant le congé de maternité et, dans la négative, s’ils fixent des critères pour le calcul de la prestation. La question portait plus précisément sur l’obligation d’inclure dans le calcul de cette prestation une augmentation de salaire intervenue pendant la période de congé.
La Cour de justice devait donc déterminer si le principe d’égalité de rémunération exige non seulement que la prestation de maternité soit considérée comme une rémunération, mais également qu’elle suive l’évolution des salaires de l’entreprise durant l’absence de la travailleuse. À cette question, la Cour répond que si le droit communautaire n’impose pas le maintien d’une rémunération intégrale, il proscrit toute discrimination dans le calcul de la prestation versée. Elle affirme ainsi que les augmentations de salaire intervenues pendant le congé de maternité doivent être intégrées au montant des prestations, dès lors que celles-ci sont calculées sur la base d’un salaire antérieur.
La solution retenue par la Cour de justice conforte une conception extensive de la notion de rémunération tout en précisant les limites de l’obligation patronale (I), avant de consacrer une protection effective de la travailleuse contre les discriminations salariales pendant son congé de maternité (II).
I. La qualification de la prestation de maternité en rémunération et la marge d’appréciation des États membres
La Cour confirme d’abord que l’indemnité versée durant un congé de maternité relève bien de la notion de rémunération au sens du droit communautaire, ce qui la soumet au principe d’égalité (A). Elle précise toutefois que ce principe n’implique pas une obligation pour les États membres d’assurer le maintien intégral du salaire, leur laissant une marge d’appréciation quant au niveau de la prestation (B).
A. L’inclusion de l’indemnité de congé de maternité dans la notion de rémunération
La Cour rappelle avec constance sa jurisprudence selon laquelle la notion de « rémunération », au sens de l’article 119 du traité, doit être interprétée largement. Elle comprend tous les avantages payés directement ou indirectement par l’employeur au travailleur en raison de son emploi. Le lien avec la relation de travail est le critère déterminant, indépendamment de la nature juridique de la prestation ou du fait que le travailleur n’accomplit aucune activité effective.
Dans cette logique, la Cour énonce sans surprise que « la prestation que l’employeur verse, en vertu des dispositions législatives ou en raison des conventions collectives, à un travailleur féminin pendant son congé de maternité constitue, par conséquent, une rémunération au sens de l’article 119 du traité et de la directive 75/117 ». Cette qualification est fondamentale, car elle place la protection financière de la maternité sous l’empire du principe de non-discrimination salariale entre hommes et femmes. En rattachant la prestation au contrat de travail, la Cour la distingue nettement des prestations de sécurité sociale pure, qui n’obéiraient pas aux mêmes règles. Cette solution s’inscrit dans la continuité des arrêts précédents qui ont progressivement élargi le champ de l’article 119, consolidant ainsi la protection économique des travailleuses.
B. L’absence d’obligation de maintien du salaire intégral
Si la prestation de maternité est une rémunération, la Cour tempère immédiatement la portée de cette qualification. Elle juge qu’une femme en congé de maternité se trouve dans une « situation spécifique qui exige qu’une protection spéciale lui soit accordée, mais qui ne peut pas être assimilée à celle d’un homme ni à celle d’une femme qui occupe effectivement son poste de travail ». Cette différence de situation justifie, selon la Cour, qu’une règle différente soit appliquée sans qu’il s’agisse d’une discrimination.
Par conséquent, au moment des faits, ni l’article 119 ni la directive 75/117 n’imposaient le maintien de la rémunération intégrale. Le droit communautaire n’établissait pas non plus de critères spécifiques pour déterminer le niveau de la prestation. La Cour reconnaît ainsi une large autonomie aux législateurs nationaux et aux partenaires sociaux pour fixer ce montant. Elle pose cependant une limite importante : le montant de la prestation ne saurait être fixé à un niveau si bas qu’il mettrait « en danger l’objectif du congé de maternité, qui est de protéger les travailleurs féminins avant et après l’accouchement ». Cette réserve, bien que non définie précisément, agit comme un garde-fou contre des prestations purement symboliques qui videraient le congé de maternité de sa substance.
II. La prohibition de la discrimination dans le calcul de la prestation de maternité
Après avoir posé le principe de l’autonomie des États membres sur le montant de la prestation, la Cour encadre strictement les modalités de son calcul pour garantir l’absence de discrimination (A). Cette solution renforce de manière significative la portée du principe d’égalité de traitement en neutralisant un effet préjudiciable du mode de calcul de la rémunération durant le congé de maternité (B).
A. L’exigence d’intégration des augmentations salariales postérieures
Le cœur de l’arrêt réside dans la réponse à la question relative aux augmentations de salaire intervenues pendant le congé de maternité. La Cour établit une distinction cruciale : si le montant de la prestation relève de la compétence nationale, son mode de calcul doit respecter le principe de non-discrimination. Dès lors que la prestation est indexée sur le salaire perçu avant le congé, elle doit nécessairement refléter l’évolution générale des rémunérations dans l’entreprise.
La Cour juge qu’« exclure le travailleur féminin d’une telle augmentation pendant son congé de maternité le discriminerait en sa seule qualité de travailleur puisque, si elle n’avait pas été enceinte, la femme aurait perçu le salaire augmenté ». Le raisonnement est fondé sur la permanence du lien contractuel. La travailleuse en congé de maternité demeure une salariée de l’entreprise et doit, à ce titre, bénéficier des avantages collectifs liés à ce statut. Refuser l’application d’une augmentation générale reviendrait à la pénaliser en raison de sa grossesse, ce qui constitue une discrimination directe fondée sur le sexe. La Cour impose donc une actualisation de la base de calcul de la prestation pour qu’elle intègre toute augmentation survenue entre le début de la période de référence et la fin du congé.
B. La portée de la solution : une protection renforcée de la travailleuse
Cette décision apporte une clarification essentielle et étend la protection des travailleuses au-delà de la seule interdiction des discriminations manifestes. En se penchant sur les modalités techniques de calcul de la paie, la Cour neutralise une forme de discrimination indirecte, souvent non intentionnelle, mais aux effets bien réels. Elle garantit que le congé de maternité ne se traduise pas par un décrochage salarial par rapport aux autres salariés de l’entreprise.
La portée de cet arrêt est considérable. Il affirme que la protection de la maternité ne saurait justifier une mise à l’écart de la vie économique de l’entreprise. La travailleuse, bien qu’absente, conserve ses droits en tant que membre de la collectivité de travail. Cette solution préfigure et renforce l’esprit de la directive 92/85/CEE, non applicable à l’époque des faits, qui viendra systématiser la protection des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes. En imposant la prise en compte des évolutions salariales, la Cour ancre solidement le droit à une prestation de maternité juste non seulement dans une logique de protection de la santé, mais aussi dans celle, fondamentale, de l’égalité professionnelle.