Arrêt de la Cour du 13 mai 1997. – République fédérale d’Allemagne contre Parlement européen et Conseil de l’Union européenne. – Directive relative aux systèmes de garantie des dépôts – Base juridique – Obligation de motivation – Principe de subsidiarité – Proportionnalité – Protection du consommateur – Contrôle par l’Etat membre d’origine. – Affaire C-233/94.

Par un arrêt du 13 mai 1997, la Cour de justice des Communautés européennes a tranché un litige portant sur la validité d’une directive relative à l’harmonisation des systèmes de garantie des dépôts. Un État membre avait formé un recours en annulation à l’encontre de la directive 94/19/CE, estimant que cet acte avait été adopté sur une base juridique erronée et que plusieurs de ses dispositions violaient des principes fondamentaux du droit communautaire. La procédure opposait cet État membre au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne, la Commission des Communautés européennes intervenant au soutien des institutions défenderesses. Le requérant soutenait principalement que la directive, visant à la fois la liberté d’établissement et la protection des consommateurs, aurait dû se fonder non seulement sur l’article 57, paragraphe 2, du traité, mais également sur d’autres dispositions exigeant une procédure de vote différente. Subsidiairement, il contestait la légalité de dispositions spécifiques, notamment celles instaurant une interdiction d’exporter un niveau de garantie supérieur à celui de l’État d’accueil, une obligation pour l’État d’accueil de proposer une garantie complémentaire, et une adhésion obligatoire à un système de garantie. La question juridique centrale était de déterminer si le législateur communautaire, en poursuivant un objectif d’harmonisation du marché intérieur bancaire, pouvait légitimement adopter des mesures qui semblaient à la fois déroger à des principes directeurs comme le contrôle par l’État d’origine et imposer des contraintes nouvelles aux opérateurs économiques. En réponse, la Cour de justice a rejeté l’ensemble des moyens du recours, validant intégralement la directive. Elle a ainsi affirmé que l’harmonisation visant à supprimer les obstacles à la libre prestation de services constituait un objectif qui justifiait les choix opérés par le législateur. La portée de cet arrêt se mesure à la manière dont la Cour a consolidé le pouvoir d’harmonisation du législateur (I) tout en procédant à un arbitrage pragmatique entre les exigences du marché unique et les principes juridiques établis (II).

I. La consolidation du pouvoir d’harmonisation du législateur communautaire

La décision de la Cour renforce la légitimité des actions d’harmonisation en validant une approche fonctionnelle de la base juridique (A) et en faisant preuve de souplesse quant au respect du principe de subsidiarité (B).

A. La validation d’une base juridique axée sur la liberté d’établissement

La Cour de justice a confirmé que l’article 57, paragraphe 2, du traité constituait une base juridique suffisante pour l’adoption de la directive contestée. Le requérant estimait que la protection des déposants, objectif majeur de l’acte, aurait nécessité le recours à une base juridique additionnelle. La Cour a écarté cette argumentation en se concentrant sur la finalité première de la mesure, qui est de faciliter l’exercice des libertés économiques fondamentales. Elle a considéré que la directive visait avant tout à « promouvoir un développement harmonieux des activités des établissements de crédit dans l’ensemble de la Communauté en supprimant toute restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services ». En instaurant des règles communes pour la garantie des dépôts, le législateur a neutralisé la capacité des États membres à invoquer la protection des épargnants comme une raison impérieuse d’intérêt général pour entraver les activités des banques agréées dans d’autres États membres. La Cour affirme ainsi qu’il « apparaît clairement que la directive supprime des obstacles à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services ». L’harmonisation de la protection des consommateurs devient alors un instrument au service de la réalisation du marché intérieur, plutôt qu’une fin en soi qui exigerait une base juridique distincte. Cette approche fonctionnelle confère une portée étendue aux compétences d’harmonisation du législateur communautaire.

B. L’interprétation pragmatique de l’obligation de motivation relative à la subsidiarité

Le second apport majeur de l’arrêt réside dans l’appréciation que fait la Cour du respect de l’obligation de motivation au regard du principe de subsidiarité. Le gouvernement requérant reprochait au législateur de ne pas avoir explicitement justifié la conformité de son action avec ce principe. La Cour a estimé que l’exigence de motivation était satisfaite dès lors que les motifs de la directive permettaient de comprendre pourquoi une action au niveau communautaire était jugée plus appropriée. Elle relève que les considérants de la directive soulignent la dimension transfrontalière du problème et l’insuffisance des mesures nationales prises suite à une simple recommandation antérieure. Selon la Cour, en indiquant que « l’objectif de son action ne pouvait pas être réalisé de manière suffisante par les États membres », le législateur a apporté une justification adéquate. Il n’était donc pas nécessaire que le principe de subsidiarité soit formellement mentionné. Cette solution pragmatique évite un formalisme excessif qui paralyserait l’action législative, mais elle témoigne également d’un contrôle juridictionnel restreint sur l’opportunité de l’intervention communautaire. La Cour se limite à vérifier l’existence d’une motivation plausible, sans substituer son appréciation à celle du législateur quant à la nécessité de l’action.

Au-delà de ces questions relatives au processus normatif, la Cour a dû se prononcer sur la compatibilité de plusieurs dispositions de fond avec les principes directeurs du droit communautaire.

II. L’arbitrage pragmatique entre l’harmonisation et les principes juridiques

La Cour a validé les choix de fond du législateur en acceptant des exceptions à une harmonisation totale au nom d’une approche progressive (A) et en faisant primer la stabilité du marché sur une application rigide du principe de contrôle par l’État d’origine (B).

A. L’acceptation d’une harmonisation progressive au détriment d’une concurrence immédiate

L’un des points les plus débattus concernait l’article 4, paragraphe 1, de la directive, qui interdisait à une succursale d’offrir une garantie de dépôt supérieure à celle de l’État membre d’accueil, même si son État d’origine prévoyait une meilleure protection. Le requérant y voyait une restriction à la concurrence et une entrave à la liberté d’établissement. La Cour a cependant validé cette « interdiction d’exportation » en la présentant comme une mesure nécessaire pour éviter des perturbations de marché. Elle a jugé légitime la volonté du législateur d’empêcher que le niveau de garantie ne devienne un instrument de concurrence agressive entre les banques. La Cour reconnaît que cette disposition constitue une exception au principe de reconnaissance mutuelle. Elle justifie néanmoins cette dérogation en soulignant que « le Parlement et le Conseil étaient toutefois habilités, compte tenu de la complexité de la matière et des divergences qui subsistaient entre les législations des États membres, à procéder de manière progressive à l’harmonisation nécessaire ». Cet attendu confère au législateur une marge d’appréciation importante pour moduler le rythme de l’harmonisation, même si cela conduit temporairement à neutraliser certains avantages concurrentiels et à réduire le niveau de protection pour certains déposants. La Cour admet ainsi que l’établissement du marché intérieur n’est pas un processus linéaire et peut comporter des étapes intermédiaires restrictives.

B. La prévalence des objectifs d’harmonisation sur le principe du contrôle par l’État d’origine

Enfin, la Cour a rejeté les moyens dirigés contre l’obligation faite aux États d’accueil de proposer une garantie complémentaire et contre l’adhésion obligatoire à un système de garantie. Le requérant arguait que ces mécanismes violaient le principe du contrôle par l’État d’origine, pierre angulaire de la législation bancaire communautaire. La réponse de la Cour est particulièrement éclairante sur la hiérarchie des normes et principes. Elle précise que le contrôle par l’État d’origine « ne s’agissant pas d’un principe établi par le traité, le législateur communautaire pouvait s’en écarter ». De plus, elle constate que ce principe n’a pas été posé de manière si absolue que le législateur ne puisse y déroger pour atteindre un objectif légitime, surtout dans un domaine où il n’était pas encore intervenu. En l’espèce, l’objectif de garantir des conditions de concurrence équitables sur le territoire d’un État membre et d’assurer une protection minimale à tous les déposants justifiait cette entorse. De même, l’obligation d’adhésion pour tous les établissements a été jugée proportionnée à l’objectif d’assurer un niveau de garantie harmonisé dans toute la Communauté, une simple obligation d’information étant jugée insuffisante. La Cour consacre ainsi la primauté de l’objectif de stabilité et d’uniformité du marché bancaire sur un principe directeur qui, bien qu’important, n’a pas la valeur d’une norme de droit primaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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