Par un arrêt rendu en chambres jointes, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur le manquement d’un État membre à ses obligations découlant de l’article 171 du traité CEE. En l’espèce, un État membre n’avait pas transposé dans les délais impartis plusieurs directives du Conseil relatives à la gestion des déchets. Saisie par la Commission, la Cour avait constaté ce manquement par une série d’arrêts en date du 2 février 1982. Plus de trois ans après le prononcé de ces décisions, constatant que l’État membre n’avait toujours pas pris les mesures nécessaires pour s’y conformer, la Commission a engagé une nouvelle procédure en manquement, estimant que l’inexécution des arrêts précités constituait une violation de l’article 171 du traité. Pour justifier ce retard, l’État membre a invoqué des difficultés institutionnelles internes, liées au transfert de compétences législatives du pouvoir central vers des entités régionales. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si un État membre peut se prévaloir de son organisation constitutionnelle interne et des difficultés qui en découlent pour justifier son manquement à l’obligation d’exécuter sans délai un arrêt de la Cour de justice. La Cour répond par la négative, en affirmant qu’un État membre ne peut invoquer des dispositions de son ordre juridique interne pour justifier l’inexécution de ses obligations et que l’exécution d’un arrêt doit être engagée immédiatement et aboutir dans les plus brefs délais.
I. La réaffirmation de la responsabilité unitaire de l’État membre face au droit communautaire
La solution retenue par la Cour s’articule autour de deux axes complémentaires. Elle rappelle d’abord l’indifférence du droit communautaire à l’organisation interne des États membres (A), avant de rejeter catégoriquement toute justification tirée de l’ordre juridique national pour excuser un manquement (B).
A. L’indifférence de la répartition interne des compétences
L’argument principal de l’État défendeur reposait sur une réorganisation de ses structures étatiques ayant transféré aux régions une part importante des compétences normatives nécessaires à la transposition des directives. Cette situation aurait privé l’autorité centrale des moyens juridiques pour assurer l’exécution des arrêts de 1982. La Cour écarte cette défense en s’appuyant sur une jurisprudence bien établie. Elle énonce que « chaque État membre est libre de répartir, comme il le juge opportun, les compétences sur le plan interne et de mettre en œuvre une directive au moyen de mesures prises par les autorités régionales ou locales ». Cette liberté d’auto-organisation, principe fondamental de la souveraineté étatique, trouve cependant sa limite dans le respect des engagements communautaires. La Cour ajoute en effet que « cette répartition de compétences ne saurait cependant le dispenser de l’obligation d’assurer que les dispositions de la directive soient traduites fidèlement en droit interne ». Ainsi, quel que soit le niveau de décentralisation ou de fédéralisme, l’État membre demeure le seul interlocuteur de l’Union et l’unique responsable de l’application du droit communautaire sur son territoire.
B. Le rejet des justifications tirées de l’ordre juridique national
Prolongeant ce raisonnement, la Cour rappelle un principe cardinal de l’ordre juridique communautaire. Elle souligne qu’« un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire ». Cette formule consacre l’autonomie et la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. Admettre une telle justification reviendrait à permettre à chaque État membre de se soustraire à ses obligations en modifiant sa propre constitution ou sa législation. La cohérence et l’uniformité du droit communautaire seraient alors irrémédiablement compromises. La Cour fait ainsi prévaloir la nécessité de garantir l’effectivité du traité sur les contingences de l’organisation politique et administrative d’un État. La responsabilité de ce dernier est objective : le simple fait que le résultat prescrit par le droit communautaire n’est pas atteint suffit à caractériser le manquement, sans qu’il soit nécessaire de rechercher une faute ou d’examiner les causes de la défaillance.
Après avoir solidement ancré le principe de la responsabilité de l’État, la Cour se penche sur la dimension temporelle de l’obligation qui pèse sur lui suite à un arrêt en manquement.
II. L’exigence d’une exécution prompte et effective des arrêts en manquement
La Cour ne se contente pas de sanctionner l’inexécution, elle en précise les contours temporels (A), conférant ainsi à sa décision une portée considérable pour garantir l’autorité de ses propres arrêts (B).
A. La définition des modalités temporelles de l’obligation d’exécution
L’article 171 du traité CEE, dans sa version alors en vigueur, ne fixait aucun délai précis pour l’exécution d’un arrêt en manquement. Face à ce silence du texte, la Cour dégage une obligation de célérité inhérente à la nature même de l’exécution d’une décision de justice. Elle juge que « la mise en œuvre de l’exécution d’un arrêt doit être engagée immédiatement et doit aboutir dans les délais les plus brefs ». Par cette interprétation constructive, la Cour comble une lacune du traité et se dote d’un critère d’appréciation concret. L’immédiateté de l’engagement des mesures et la brièveté du délai d’aboutissement deviennent les deux conditions d’une exécution correcte. En l’espèce, le fait que plusieurs années se soient écoulées depuis les arrêts de 1982 suffisait amplement à démontrer que ces exigences n’avaient pas été respectées, transformant le retard en un nouveau manquement autonome.
B. La portée de la solution : une garantie de l’effectivité du droit communautaire
En définissant un standard temporel pour l’exécution de ses décisions, la Cour renforce considérablement l’autorité de la chose jugée en droit communautaire. Cette décision est un arrêt de principe qui transcende le cas d’espèce. Elle a pour portée de dissuader les États membres de toute forme d’inertie ou de résistance passive suite à une condamnation pour manquement. La solution garantit l’effet utile de la procédure prévue à l’article 169 du traité, qui serait vidée de sa substance si les arrêts qui en découlent pouvaient rester lettre morte. En considérant l’inexécution prolongée comme un manquement distinct, la Cour a ouvert la voie à une nouvelle condamnation, consolidant ainsi le caractère contraignant de ses décisions. Cette jurisprudence est une pièce maîtresse dans l’édifice d’une Communauté de droit, où les États membres sont soumis au respect de règles communes et au contrôle d’une juridiction dont les arrêts s’imposent à tous.