Par un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure en annulation, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur la définition de la notion de subvention au sens du règlement n° 2176/84, relatif à la défense contre les importations faisant l’objet de subventions de la part de pays non membres de la Communauté. En l’espèce, une fédération représentant l’industrie communautaire de l’huilerie avait déposé une plainte auprès de l’organe exécutif de la Communauté, alléguant que les importations de tourteaux de soja originaires d’un État tiers bénéficiaient de subventions illicites. Ces pratiques consistaient, d’une part, en l’application d’un régime de taxes à l’exportation plus faibles pour les produits transformés, comme les tourteaux, que pour la matière première, les fèves de soja, et d’autre part, en des obstacles réglementaires à l’exportation de cette même matière première.
L’institution saisie de la plainte, après enquête, a décidé de clore la procédure, estimant que les pratiques dénoncées ne constituaient pas des subventions au sens de la réglementation communautaire. Elle a considéré qu’une subvention impliquait nécessairement une contribution financière de la part des autorités publiques, c’est-à-dire une charge pour le trésor public, élément qui faisait défaut en l’occurrence. La fédération requérante a alors formé un recours en annulation contre cette décision devant la Cour de justice, soutenant que la notion de subvention devait être interprétée de manière plus large, comme visant tout avantage économique procuré à une industrie, indépendamment de l’existence d’une charge financière pour l’État.
Le problème de droit soulevé par cette affaire était donc de savoir si des mesures étatiques, telles qu’un système de taxation différentielle à l’exportation ou des restrictions quantitatives, qui procurent un avantage économique à une industrie nationale sans pour autant entraîner une dépense ou une perte de revenus pour les finances publiques, peuvent être qualifiées de subvention au sens du droit communautaire de la défense commerciale.
La Cour de justice rejette le recours. Elle confirme l’interprétation de l’institution défenderesse en jugeant que la notion de subvention, telle que définie par le règlement applicable, « implique nécessairement une charge financière supportée directement ou indirectement par des organismes publics ». La Cour précise que ce concept de charge couvre non seulement les versements de fonds, mais aussi la renonciation par l’État au recouvrement de créances fiscales normalement dues. Constatant que les mesures en cause ne créaient pas une telle charge, elle conclut qu’elles ne sauraient être considérées comme des subventions.
La solution retenue par la Cour repose sur une définition stricte de la notion de subvention, conditionnant son existence à une intervention financière de l’État (I). Cette approche, bien que conforme aux engagements internationaux de la Communauté, a pour effet de limiter considérablement le champ des mesures étatiques susceptibles d’être contrées par les instruments de défense commerciale (II).
I. La consécration d’une conception stricte de la notion de subvention
En validant l’interprétation de la Commission, la Cour de justice établit que la qualification de subvention repose sur un critère financier précis, celui de la charge pour le trésor public (A), écartant ainsi une approche purement économique fondée sur l’avantage concurrentiel procuré (B).
A. L’exigence d’une charge pour le trésor public
La Cour de justice fonde son raisonnement sur une analyse textuelle du règlement n° 2176/84. Elle relève que si le texte ne fournit pas de définition expresse de la subvention, son annexe contient une « liste exemplative » de subventions à l’exportation. Cette liste, en son dernier alinéa, mentionne « toute autre charge pour le trésor public », ce qui amène la Cour à considérer ce critère comme une condition générale et nécessaire. Elle en déduit que le législateur communautaire a entendu limiter la notion de subvention aux seules mesures impliquant un coût pour les finances publiques.
Le raisonnement est complété par une interprétation de l’article 3, paragraphe 3, du même règlement. Cette disposition exclut du champ des subventions l’exonération de certains impôts à l’exportation. Pour la Cour, cela démontre a contrario que le concept de « charge » doit être entendu de manière large, incluant non seulement un décaissement effectif, mais aussi « celle où il renonce au recouvrement des créances fiscales en introduisant ainsi une exception à une règle de taxation generalement applicable ». L’élément déterminant reste donc la perte d’une recette qui aurait dû être perçue par l’État. En l’espèce, le système de taxation différentielle ne constituait pas une renonciation à des recettes dues, mais un simple choix de politique fiscale.
B. Le rejet de l’analyse fondée sur l’avantage économique
La fédération requérante proposait une définition fonctionnelle de la subvention, axée sur son effet. Selon elle, dès lors qu’une mesure étatique procure un avantage économique à une entreprise ou un secteur, faussant la concurrence, elle devrait être qualifiée de subvention. Cette approche aurait permis d’inclure les pratiques argentines, qui, en abaissant le coût de la matière première pour les transformateurs locaux, leur conféraient un avantage certain sur le marché international. La Cour écarte cette thèse de manière catégorique.
En exigeant une charge pour le trésor public, la Cour refuse de considérer le seul avantage concurrentiel comme un critère suffisant. La distorsion de concurrence, bien que reconnue par la Commission elle-même, n’est pas l’élément constitutif de la subvention mais plutôt sa conséquence potentielle. L’arrêt établit ainsi une hiérarchie claire entre la nature de la mesure (la charge financière) et ses effets (l’avantage économique). Une mesure ne devient pas une subvention du seul fait qu’elle bénéficie à un exportateur ; elle doit d’abord coûter à l’État qui la met en œuvre. Cette distinction est fondamentale et structure toute la logique du droit anti-subventions communautaire.
En validant l’interprétation restrictive de la Commission, la Cour ancre sa décision dans un cadre juridique précis tout en en délimitant clairement les effets.
II. La portée et les limites de la définition retenue
La définition de la subvention adoptée par la Cour s’inscrit en cohérence avec le cadre juridique international (A), mais elle a pour corollaire d’exclure du champ des mesures de défense commerciale certaines pratiques étatiques qui n’en sont pas moins préjudiciables pour l’industrie communautaire (B).
A. La conformité de la solution au droit international
La Cour prend soin de souligner que sa lecture du droit communautaire n’est pas en contradiction avec les obligations internationales de la Communauté, notamment celles découlant du GATT. Elle observe que ni le GATT ni l’Accord relatif à l’interprétation et à l’application de ses articles ne contiennent de définition expresse du terme « subvention ». De plus, la liste exemplative annexée au règlement communautaire est une « reproduction littérale » de celle annexée à l’accord international.
Cette référence au droit international confère une valeur et une portée significatives à l’arrêt. En alignant l’interprétation du droit communautaire sur celle des accords multilatéraux, la Cour assure une sécurité juridique et une prévisibilité pour les opérateurs économiques. Elle évite ainsi que la Communauté n’adopte une définition unilatérale et extensive qui pourrait être contestée par ses partenaires commerciaux. La solution retenue est donc empreinte de réalisme et de prudence, visant à garantir la compatibilité du système de défense commerciale communautaire avec le cadre normatif mondial qu’il est censé appliquer.
B. L’exclusion des subventions implicites du champ d’application
Si la solution est juridiquement fondée, elle n’est pas sans conséquences pratiques. En conditionnant la qualification de subvention à une charge pour le trésor public, la Cour exclut de facto tout un éventail de mesures que l’on pourrait qualifier de subventions implicites ou structurelles. Les pratiques telles que les restrictions à l’exportation d’une matière première, l’instauration de prix intérieurs administrés ou encore les systèmes de double prix, qui peuvent procurer des avantages considérables aux industries locales, échappent ainsi au champ d’application des mesures anti-subventions.
La portée de la décision est donc restrictive. Elle limite la capacité de l’industrie communautaire à se défendre contre des formes de concurrence déloyale qui, bien que ne résultant pas d’une dépense publique directe, n’en sont pas moins le fruit d’une intervention étatique créant une distorsion significative sur les marchés. L’arrêt illustre ainsi la tension inhérente au droit de la défense commerciale, entre la nécessité de protéger l’industrie contre les pratiques déloyales et l’impératif de n’agir que dans les strictes limites définies par le droit positif. En l’espèce, la Cour a fait prévaloir une lecture littérale et prudente de la norme, laissant sans réponse les distorsions de concurrence qui ne correspondent pas au moule financier de la subvention.