Arrêt de la Cour du 14 juin 1990. – Michel Weiser contre Caisse nationale des barreaux français. – Demande de décision préjudicielle: Tribunal d’instance de Paris – France. – Fonctionnaires – Transfert de droits à pension. – Affaire C-37/89.

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle le 13 février 1990, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’application du mécanisme de transfert des droits à pension nationaux vers le régime communautaire.

En l’espèce, un ancien avocat inscrit à un barreau français entre 1967 et 1984 avait, durant cette période, cotisé au régime de retraite de sa profession. Devenu par la suite fonctionnaire titulaire au sein d’une institution communautaire, il a sollicité le transfert de ses droits à pension acquis en France vers le régime de prévoyance des Communautés européennes. Face au refus de la caisse de retraite compétente, l’intéressé a saisi le tribunal d’instance de Paris, lequel a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice. La juridiction de renvoi demandait en substance si un ancien avocat exerçant une profession non salariée pouvait bénéficier des dispositions de l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut des fonctionnaires, qui organise le transfert des droits à pension acquis antérieurement à l’entrée en service. La question posée à la Cour revenait à déterminer si l’exclusion des professions non salariées du bénéfice de ce transfert, si elle était avérée, était compatible avec le droit communautaire.

À cette question, la Cour répond en deux temps. Elle constate d’abord que le texte du statut, interprété littéralement, ne vise que les activités salariées et exclut donc les professions indépendantes. Cependant, elle juge que cette disposition « est cependant invalide dans la mesure où elle prévoit une différence de traitement, pour le transfert des droits à pension d’un système national au régime des Communautés, entre les fonctionnaires qui ont acquis ces droits en tant que salariés et ceux qui les ont acquis à titre de non-salariés ».

Cette décision est remarquable en ce qu’elle combine une lecture stricte du texte statutaire (I) avec une sanction audacieuse de celui-ci sur le fondement d’un principe général du droit (II).

I. L’interprétation littérale restrictive du champ d’application du droit au transfert

La Cour commence son analyse par une exégèse rigoureuse de la disposition litigieuse, aboutissant à une conclusion défavorable à l’application du texte aux professions libérales.

A. Une lecture littérale du statut excluant les activités non salariées

Pour déterminer le champ d’application de l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, la Cour s’attache à la lettre même de la disposition. Celle-ci permet le transfert des droits à pension pour le fonctionnaire ayant cessé ses fonctions « auprès d’une administration, d’une organisation nationale ou internationale ou d’une entreprise ». La Cour en déduit que l’emploi de la préposition « auprès de » implique nécessairement l’existence d’un lien de subordination caractéristique d’une relation de travail salarié. Elle énonce ainsi que cela « ne peut s’entendre que de fonctions exercées, en vertu d’un statut ou en exécution d’un contrat, à titre salarié et non indépendant ».

Ce raisonnement purement sémantique conduit à une délimitation claire du bénéfice du transfert. Les activités professionnelles qui, comme celle d’un avocat, « sont caractérisées par une autonomie économique et personnelle » se trouvent de fait exclues du mécanisme. La Cour valide ainsi la position de la caisse de retraite nationale qui refusait le transfert, en fondant sa décision sur une interprétation stricte et textuelle de la règle communautaire.

B. L’inapplicabilité directe de la disposition au requérant

La conséquence directe de cette interprétation est l’impossibilité pour un ancien professionnel non salarié de se prévaloir du droit au transfert. La Cour est donc contrainte de constater, dans un premier temps, que la demande de l’ancien avocat ne peut aboutir sur la base du texte en vigueur. Elle formule cette conclusion sans ambiguïté en affirmant que « en l’état actuel du droit communautaire une personne exerçant une activité non salariée, comme celle d’un avocat, qui quitte ses fonctions pour devenir fonctionnaire des Communautés européennes, n’est pas en droit de solliciter à son profit l’application de l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut ».

Cette première partie de la réponse au juge national clôt l’analyse du droit positif tel qu’il est écrit, mais elle ouvre la voie à une appréciation de la validité même de ce droit, la Cour ne pouvant ignorer les critiques formulées par plusieurs intervenants quant à une possible rupture d’égalité.

II. La censure de la disposition au nom du principe d’égalité de traitement

Après avoir établi le sens de la norme, la Cour en examine la valeur au regard des principes supérieurs du droit communautaire, ce qui la conduit à déclarer la disposition partiellement invalide.

A. L’application du principe d’égalité comme droit fondamental

La Cour ne s’arrête pas à sa conclusion littérale et examine la compatibilité de la disposition avec le principe d’égalité de traitement. Elle rappelle avec force que ce principe « constitue un droit fondamental qui s’impose aussi aux autorités communautaires lorsqu’elles édictent des règles destinées à régir la fonction publique communautaire ». Par cette affirmation, la Cour se positionne non plus seulement comme interprète, mais comme gardienne des droits fondamentaux face au législateur communautaire lui-même.

En appliquant ce principe à la matière statutaire, elle souligne que le législateur ne peut créer des distinctions entre fonctionnaires sans justification objective. Le droit au transfert des droits à pension, bien que prévu par le statut, doit se conformer à cette exigence supérieure. La Cour étend ainsi son contrôle au-delà de la simple application de la loi pour en vérifier la conformité à des principes non écrits mais impératifs.

B. La caractérisation d’une discrimination injustifiée entre fonctionnaires

La Cour recherche alors si la différence de traitement entre fonctionnaires selon leur passé professionnel de salarié ou de non-salarié repose sur une différence de situation objective. Elle juge que tel n’est pas le cas au regard de la finalité de la disposition, qui est de garantir la continuité des droits à pension. Le fait d’avoir acquis ces droits dans un cadre salarié ou indépendant ne constitue pas un critère pertinent. La Cour estime en effet que « le seul fait qu’avant leur entrée au service des Communautés certains des fonctionnaires ont acquis des droits à pension en qualité de salariés alors que d’autres les ont acquis comme non-salariés ne constitue pas… une différence de situation de nature à justifier l’octroi aux uns et le refus aux autres de la possibilité de transférer leurs droits ».

Dès lors que la distinction opérée par le texte n’est pas justifiée par une différence de situation pertinente, elle devient discriminatoire. En conséquence, la Cour déclare l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII invalide en ce qu’il instaure cette différence. Par cette déclaration d’invalidité, elle ne crée pas un droit direct pour le requérant, mais impose au législateur communautaire de « tirer les conséquences nécessaires » et de modifier le statut pour mettre fin à la discrimination constatée. La portée de l’arrêt est donc considérable, car elle contraint à une réforme garantissant l’égalité de traitement pour tous les fonctionnaires, quelle que soit la nature de leur activité professionnelle antérieure.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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