Par un arrêt du 2 décembre 1992, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les conséquences de l’inexécution par un État membre de décisions de justice le condamnant pour manquement à ses obligations découlant du droit communautaire. En l’espèce, cette juridiction avait constaté, par deux arrêts rendus le 24 novembre 1987, que l’État en cause n’avait pas transposé dans les délais impartis deux directives du 28 mars 1983, l’une relative aux franchises fiscales pour les importations de biens personnels, l’autre concernant l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée pour certaines importations définitives. Plusieurs années après ces décisions, constatant que l’État défendeur n’avait toujours pas pris les mesures nécessaires pour se conformer, la Commission a engagé une nouvelle procédure en manquement. Cette action ne visait plus la violation initiale du droit communautaire, mais le non-respect de l’obligation, énoncée à l’article 171 du traité CEE, de prendre les mesures que comporte l’exécution d’un arrêt de la Cour. L’État membre se défendait en indiquant qu’un projet de loi visant à assurer cette exécution était en cours d’approbation par son parlement national. Il était donc demandé à la Cour de déterminer si l’absence de mise en œuvre des arrêts de 1987 constituait un nouveau manquement distinct et, le cas échéant, de préciser les exigences temporelles qui pèsent sur un État membre pour l’exécution d’une décision de justice communautaire. La Cour a répondu par l’affirmative, jugeant que l’inexécution prolongée constituait bien une violation de l’article 171 du traité. Elle a surtout précisé que l’intérêt d’une application uniforme du droit communautaire « exige que cette exécution soit entamée immédiatement et aboutisse dans des délais aussi brefs que possible ». Cette décision, en définissant les contours de l’obligation d’exécuter les arrêts de la Cour (I), vient renforcer l’autorité même du droit communautaire et de ses gardiens (II).
I. La consécration d’une obligation d’exécution immédiate des arrêts en manquement
L’arrêt commenté établit clairement que le non-respect d’une décision de justice constitue une faute juridique autonome (A) et encadre cette obligation d’exécution dans des limites temporelles strictes (B).
A. L’autonomie du manquement tiré de l’inexécution d’un arrêt
La Cour de justice ne se prononce pas une seconde fois sur le fond de l’affaire, à savoir la non-transposition des directives de 1983. Le recours de la Commission porte sur un fondement juridique nouveau et distinct : la violation de l’article 171 du traité CEE. En considérant que l’absence de mesures d’exécution constitue en soi un manquement, la Cour confère à cette disposition une portée substantielle. L’obligation d’exécuter un arrêt n’est pas une simple suite procédurale, mais une obligation de plein droit dont la méconnaissance justifie une nouvelle procédure en manquement.
Cette approche, qualifiée de « manquement sur manquement », est essentielle à la structure de l’ordre juridique communautaire. Elle signifie qu’une fois la Cour a parlé, sa décision s’incorpore aux obligations de l’État membre au même titre que le traité ou le droit dérivé. Refuser de s’y conformer n’est plus seulement persister dans l’illégalité initiale, mais c’est aussi porter atteinte à l’autorité de la chose jugée par l’institution juridictionnelle garante de l’uniformité du droit. L’arrêt souligne ainsi que la force obligatoire des décisions de justice est une condition fondamentale de l’existence d’une communauté de droit.
B. La définition des exigences temporelles de l’exécution
Si l’article 171 du traité, dans sa version alors en vigueur, ne fixait aucun délai pour l’exécution des arrêts, la Cour comble cette lacune par une interprétation téléologique. Elle affirme que l’exécution « soit entamée immédiatement et aboutisse dans des délais aussi brefs que possible ». Cette formule est d’une importance capitale. Le terme « immédiatement » exclut toute période d’attente ou de latence après le prononcé de l’arrêt, tandis que la notion de « délais aussi brefs que possible » instaure un standard de diligence.
Ce standard, bien que flexible, impose à l’État une obligation de moyens renforcée. Il ne peut se contenter d’invoquer la lenteur de ses procédures internes pour justifier une inaction prolongée. La Cour appréciera au cas par cas si les délais pris sont objectivement justifiés, mais le principe est posé : l’exécution doit être une priorité pour l’État condamné. En précisant cette dimension temporelle, la Cour rend l’obligation d’exécution effective et contrôlable, transformant une obligation de principe en une contrainte concrète et vérifiable pour les États membres.
II. Le renforcement de l’autorité du droit communautaire par la sanction de l’inexécution
Cette décision réaffirme avec force l’inopposabilité des difficultés internes pour justifier un manquement (A) et préfigure l’évolution des mécanismes visant à assurer l’effectivité des arrêts de la Cour (B).
A. Le rejet des justifications tirées de l’ordre juridique interne
Face au recours de la Commission, l’État défendeur se borne à faire état de l’avancement d’une procédure législative interne. Cet argument est implicitement mais fermement rejeté par la Cour. En déclarant le manquement sans même discuter la pertinence de cette justification, elle rappelle une jurisprudence constante : un État membre ne saurait invoquer des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire.
La présente décision applique ce principe fondamental au stade ultime de la procédure de contrôle, celui de l’exécution des arrêts. La condamnation pour manquement à l’article 171 démontre que les contraintes du processus parlementaire, les difficultés politiques ou les lourdeurs administratives ne sont pas des excuses recevables pour différer l’application d’une décision de justice. Il appartient à chaque État membre d’adapter son organisation et ses procédures pour garantir en toutes circonstances le respect de ses engagements communautaires et l’autorité des arrêts de la Cour.
B. La portée de la décision pour l’effectivité du droit communautaire
En établissant qu’un État qui n’exécute pas un arrêt commet un nouveau manquement, la Cour renforce considérablement l’arsenal de la Commission en tant que gardienne des traités. Cette solution lui offre une base juridique solide pour poursuivre un État récalcitrant jusqu’à obtenir une mise en conformité complète. L’efficacité de la procédure en manquement s’en trouve accrue, car elle ne s’arrête pas à la simple déclaration de l’illégalité mais peut se prolonger pour en sanctionner la persistance.
De plus, la valeur de cet arrêt réside aussi dans sa portée prospective. En soulignant les limites d’un système où la seule sanction de l’inexécution est une nouvelle déclaration de manquement, il met en lumière la nécessité d’un mécanisme plus coercitif. Cette jurisprudence a ainsi préparé le terrain pour la réforme introduite par le traité de Maastricht, qui a permis à la Cour, au terme d’une seconde procédure, d’infliger des sanctions pécuniaires aux États membres ne respectant pas ses arrêts. L’arrêt commenté apparaît donc comme une étape décisive dans la construction d’un ordre juridique où l’exécution des décisions de justice est non seulement une obligation de principe, mais une réalité garantie par des instruments contraignants.