Arrêt de la Cour du 14 septembre 1999. – Frans Gschwind contre Finanzamt Aachen-Außenstadt. – Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Köln – Allemagne. – Article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE) – Égalité de traitement – Non-résidents – Impôt sur le revenu – Barème d’imposition pour les couples mariés. – Affaire C-391/97.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 14 septembre 1999 se prononce sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale avec le principe de libre circulation des travailleurs. En l’espèce, un ressortissant néerlandais résidant aux Pays-Bas exerçait une activité salariée en Allemagne, tandis que son épouse travaillait aux Pays-Bas. Les revenus perçus en Allemagne par le requérant représentaient environ 58 % des revenus cumulés du ménage. L’administration fiscale allemande lui a refusé le bénéfice d’un avantage fiscal consistant en une imposition conjointe des époux avec application d’un barème spécifique, au motif que les revenus du couple non soumis à l’impôt allemand dépassaient les seuils prévus par la loi nationale pour l’octroi de cet avantage aux non-résidents. Le contribuable a contesté cette décision devant le Finanzgericht Köln, qui a alors saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si l’article 48 du traité CE (devenu article 39 CE) s’oppose à une réglementation d’un État membre qui subordonne l’octroi d’un avantage fiscal aux couples mariés non-résidents à la condition qu’au moins 90 % de leur revenu mondial soit imposable dans cet État, ou que leurs revenus de source étrangère ne dépassent pas un plafond défini. La Cour de justice a répondu par la négative, considérant qu’une telle réglementation n’est pas discriminatoire. Elle juge que la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont généralement pas comparables en matière d’impôts directs. Dès lors qu’une part significative du revenu du ménage est perçue dans l’État de résidence, celui-ci est en mesure de prendre en compte la situation personnelle et familiale du contribuable, ce qui justifie une différence de traitement par l’État d’emploi.

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I. La confirmation d’une différence de traitement fiscal fondée sur la résidence

La Cour de justice fonde sa décision sur une distinction de principe entre contribuables résidents et non-résidents, tout en rappelant le critère exceptionnel permettant de les assimiler.

A. Le principe de non-comparabilité des situations fiscales

L’arrêt réaffirme avec force un principe fondamental du droit fiscal international, consacré par la jurisprudence communautaire, selon lequel les résidents et les non-résidents ne se trouvent pas dans des situations objectivement comparables. La Cour énonce que « en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents dans un État ne sont, en règle générale, pas comparables ». Cette distinction repose sur le fait que l’État de résidence est le lieu où se concentrent les intérêts personnels et patrimoniaux du contribuable. C’est donc cet État qui est le plus à même d’apprécier sa capacité contributive globale, en tenant compte de l’ensemble de ses revenus et de sa situation familiale. Le fait pour un État membre de ne pas accorder aux non-résidents les mêmes avantages fiscaux qu’aux résidents ne constitue donc pas, en principe, une discrimination. Cette approche légitime la répartition des compétences fiscales entre États membres, l’État de la source des revenus imposant ces derniers tandis que l’État de résidence se charge de personnaliser l’impôt.

B. L’exception tenant à la concentration des revenus dans l’État d’emploi

La Cour nuance ce principe en rappelant sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt Schumacker du 14 février 1995. Une discrimination peut être caractérisée lorsque le contribuable non-résident se trouve, de fait, dans une situation comparable à celle d’un résident. Tel est le cas lorsque le non-résident « ne perçoit pas de revenu significatif dans l’État de sa résidence et tire l’essentiel de ses ressources imposables d’une activité exercée dans l’État d’emploi ». Dans une telle hypothèse, l’État de résidence n’est pas en mesure de prendre en compte sa situation personnelle et familiale. Par conséquent, l’État d’emploi, où se concentre la quasi-totalité de sa capacité contributive, doit lui accorder les mêmes avantages fiscaux qu’à ses propres résidents. La législation allemande, en instaurant des seuils de revenus, visait précisément à transposer ce critère jurisprudentiel, en définissant les conditions dans lesquelles un non-résident devait être assimilé à un résident.

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II. La portée de la solution : une précision de la jurisprudence Schumacker

En validant le mécanisme de seuils, la Cour ne se contente pas d’appliquer sa jurisprudence antérieure ; elle en précise la portée et offre aux États membres un cadre pour l’application du principe de non-discrimination.

A. Le raffinement du critère de l’État le plus à même de personnaliser l’impôt

L’apport principal de cet arrêt réside dans la clarification qu’il apporte à la situation inverse de celle de l’affaire Schumacker. La Cour constate que « une situation telle que celle en cause au principal se distingue nettement de celle sur laquelle a porté l’arrêt Schumacker ». Alors que dans l’affaire précédente, le contribuable ne disposait d’aucune base imposable suffisante dans son État de résidence, la situation est ici différente : une part significative des revenus du foyer fiscal, soit près de 42 %, est perçue aux Pays-Bas. Dans ces conditions, la Cour estime que l’État de résidence est parfaitement en mesure de tenir compte de la situation personnelle et familiale du ménage, conformément à sa propre législation. L’obligation pour l’État d’emploi d’accorder les avantages fiscaux liés à cette situation disparaît donc, car le risque d’une double absence de prise en compte est écarté. La situation du couple non-résident n’est alors plus comparable à celle d’un couple résident.

B. La validation des seuils nationaux comme critère d’appréciation de la comparabilité

En jugeant la législation allemande conforme au droit communautaire, la Cour valide indirectement l’utilisation de seuils quantitatifs, qu’ils soient relatifs (90 % des revenus) ou absolus (24 000 DM), pour déterminer si un non-résident doit être traité comme un résident. Cette solution apporte une sécurité juridique considérable aux administrations fiscales nationales. Elle leur permet de s’appuyer sur des critères objectifs et prédéfinis pour appliquer le principe de non-discrimination, sans avoir à procéder à un examen au cas par cas de chaque situation individuelle. La Cour légitime ainsi une méthode qui, tout en créant une différence de traitement, vise à refléter la différence objective de situation entre les contribuables. Elle confirme également qu’il est cohérent de prendre en compte les revenus des deux conjoints pour apprécier ces seuils, dès lors que l’avantage fiscal en cause, le « splitting », est lui-même fondé sur la situation globale du couple.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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