Par un arrêt du 9 octobre 1981, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par le Gerechtshof d’Amsterdam, a interprété les dispositions du traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises. En l’espèce, une société spécialisée dans l’édition d’encyclopédies et commercialisant ses produits dans plusieurs États membres, dont les Pays-Bas et la Belgique, a fait l’objet de poursuites sur le territoire néerlandais. La cause de ces poursuites était une campagne promotionnelle consistant à offrir un livre en prime pour tout achat d’une encyclopédie. Si cette pratique était conforme à la législation belge, elle se heurtait à une loi néerlandaise de 1977 portant restriction au système des primes en nature. Cette loi interdisait de telles offres, sauf à titre dérogatoire si la prime présentait un « rapport de consommation » avec le produit principal. Une juridiction de première instance néerlandaise a condamné la société d’édition, estimant qu’un tel rapport faisait défaut entre les encyclopédies vendues et les livres offerts. La société a interjeté appel de cette décision, soutenant que la législation nationale était incompatible avec les articles 30 et 34 du traité CEE. La juridiction d’appel a alors décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si le droit communautaire, et en particulier le principe de libre circulation des marchandises, s’opposait à une réglementation nationale qui, en imposant l’existence d’un rapport de consommation entre une prime et un produit, obligeait un opérateur à cesser une méthode de promotion des ventes autorisée dans un autre État membre. La Cour a estimé que les articles 30 et 34 du traité CEE ne faisaient pas obstacle à l’application d’une telle législation nationale, dès lors que celle-ci est justifiée par des objectifs de protection des consommateurs et de loyauté des transactions commerciales et que le critère utilisé n’est pas disproportionné.
L’appréciation par la Cour de la compatibilité de la réglementation litigieuse au regard des libertés de circulation a conduit à une application différenciée des dispositions du traité, confirmant la spécificité des entraves aux importations par rapport à celles visant les exportations (I). Cette analyse a ensuite permis de légitimer la mesure nationale au nom d’exigences impératives, consolidant ainsi une jurisprudence fondamentale en matière d’entraves non tarifaires (II).
I. Une compatibilité affirmée au regard des règles de libre circulation
La Cour a d’abord examiné la législation néerlandaise au prisme des articles 34 et 30 du traité. Elle a rapidement écarté l’applicabilité des règles relatives aux exportations (A), avant de qualifier plus longuement la mesure d’entrave potentielle aux importations (B).
A. L’exclusion de l’applicabilité du régime des exportations
La Cour a estimé que la législation en cause ne tombait pas sous le coup de l’article 34 du traité CEE. Cette disposition vise les mesures nationales « qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d’exportation et d’établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d’un État membre et son commerce d’exportation ». En l’espèce, la réglementation néerlandaise se bornait à encadrer les modalités de commercialisation des produits sur le territoire national. Elle ne créait aucune charge particulière pour les marchandises destinées à être vendues dans d’autres États membres. Son champ d’application était strictement interne aux Pays-Bas, sans affecter la capacité des producteurs nationaux à exporter leurs biens. Par conséquent, la Cour a logiquement conclu que la loi sur les primes en nature ne constituait pas une restriction aux exportations au sens du traité, son objet n’étant pas d’avantager la production nationale ou le marché intérieur.
B. La caractérisation de la mesure comme obstacle potentiel aux importations
À l’inverse, la Cour a reconnu que la réglementation pouvait relever de l’article 30 du traité. Bien que la loi s’applique indistinctement aux produits nationaux et importés, elle est susceptible de gêner le commerce intracommunautaire. La Cour rappelle en effet qu’une législation qui « limite ou interdit certaines formes de publicité et certains moyens de promotion des ventes » peut affecter les possibilités de commercialisation des produits importés et donc restreindre le volume des importations. Le fait pour un opérateur économique d’être contraint d’abandonner une stratégie promotionnelle unifiée au sein du marché commun, ou d’en adopter de nouvelles spécifiques à chaque État membre, représente un obstacle. Une telle fragmentation des stratégies de commercialisation engendre des coûts supplémentaires et des difficultés qui peuvent dissuader les importations, même en l’absence de toute discrimination formelle. La mesure était donc bien une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative.
II. Une justification de la restriction validée au nom d’exigences impératives
Après avoir qualifié la mesure d’entrave potentielle, la Cour a examiné si elle pouvait être justifiée. Elle a admis la légitimité des objectifs poursuivis (A), avant de contrôler la proportionnalité du moyen employé pour les atteindre (B), dans la droite ligne de sa jurisprudence antérieure.
A. La reconnaissance de la protection des consommateurs et de la loyauté commerciale
S’inscrivant dans le sillage de sa jurisprudence issue de l’arrêt du 20 février 1979 (Rewe-Zentral, aff. 120/78), la Cour rappelle que des obstacles à la circulation intracommunautaire peuvent être acceptés s’ils sont nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives. Parmi celles-ci figurent la défense des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales. En l’espèce, la Cour constate que la loi néerlandaise « poursuit un double objectif qui est, d’une part, d’éviter que les relations normales de concurrence ne soient perturbées […] et, d’autre part, d’assurer la protection des consommateurs par la réalisation d’une plus grande transparence du marché ». L’offre de primes peut en effet fausser la perception du consommateur sur le prix réel des produits et perturber une concurrence saine. Une législation restreignant de telles pratiques est donc apte à contribuer à la réalisation de ces objectifs légitimes reconnus par le droit communautaire.
B. La validation de la proportionnalité du critère contesté
L’analyse de la Cour ne s’arrête pas à la simple reconnaissance des objectifs ; elle en vérifie également la proportionnalité. La question portait spécifiquement sur la pertinence du critère du « rapport de consommation » pour délimiter le champ d’une exception à l’interdiction de principe. La Cour estime que ce critère, bien que non retenu par d’autres États membres, n’est pas sans lien avec les objectifs de transparence du marché et de loyauté commerciale. En exigeant une certaine cohérence entre le produit vendu et la prime offerte, le législateur néerlandais a adopté une mesure qui n’excède pas ce qui est nécessaire pour assurer la protection du consommateur. Le fait qu’une autre législation, comme celle de la Belgique, soit moins restrictive ne suffit pas à rendre la mesure néerlandaise disproportionnée. La Cour laisse ainsi une marge d’appréciation aux États membres dans le choix des modalités de protection, pourvu que celles-ci demeurent raisonnables et appropriées.