Par un arrêt du 15 octobre 1987, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur l’articulation entre les traités CEE et CECA et a précisé les conditions d’obtention du remboursement de droits de douane. En l’espèce, une société important des produits sidérurgiques avait déclaré à l’administration douanière un prix supérieur à celui réellement acquitté. Cette déclaration inexacte résultait de l’omission de ristournes quantitatives accordées par le fournisseur, l’objectif étant de faire coïncider la déclaration en douane avec les termes d’une licence d’importation qui ne mentionnait pas ces rabais. Après avoir acquitté les droits de douane calculés sur ce prix brut plus élevé, la société importatrice en a sollicité le remboursement partiel auprès des autorités nationales, arguant que le montant perçu était supérieur à celui légalement dû. Face au refus de l’administration, un recours a été formé devant une juridiction nationale. Celle-ci, confrontée à une difficulté d’interprétation du droit communautaire, a saisi la Cour de justice à titre préjudiciel. La question de droit posée à la Cour était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si un règlement CEE relatif au remboursement des droits de douane pouvait s’appliquer à des marchandises relevant du champ matériel du traité CECA. D’autre part, il était demandé si le droit au remboursement pouvait être invoqué par un opérateur ayant délibérément fourni une déclaration de valeur inexacte, quand bien même cette manœuvre n’avait pas pour but d’éluder l’impôt. La Cour de justice a répondu que le règlement CEE était applicable, au motif que le traité CEE constitue le droit commun ayant vocation à s’appliquer en l’absence de disposition spécifique dans le traité CECA. Elle a cependant refusé d’étendre le bénéfice du remboursement à l’opérateur, jugeant que le mécanisme de restitution prévu par le règlement visait à corriger les erreurs et non à couvrir les conséquences de déclarations volontairement fausses.
L’analyse de la Cour clarifie ainsi la relation de subsidiarité entre les ordres juridiques CEE et CECA (I), avant de subordonner le droit au remboursement des droits de douane à la bonne foi de l’opérateur économique (II).
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I. L’application supplétive du droit CEE aux situations régies par le traité CECA
La Cour de justice consacre la portée générale du traité CEE, qui s’applique par défaut aux matières non expressément réglementées par le traité CECA (A), ce qui justifie en l’espèce l’extension du champ d’application d’un règlement CEE à des produits relevant du charbon et de l’acier (B).
A. La consécration du traité CEE comme droit commun
La juridiction communautaire devait d’abord résoudre une question de conflit de normes entre les deux traités fondateurs. Pour ce faire, elle s’est fondée sur l’article 232 du traité CEE, lequel dispose que ses propres stipulations ne modifient pas celles du traité CECA. La Cour en déduit une règle d’articulation claire et hiérarchisée entre les deux corpus de règles. Elle juge en effet que « dans la mesure où des questions ne font pas l’objet de dispositions du traité ceca ou des réglementations adoptées sur la base de ce dernier, le traité CEE et les dispositions prises pour son application peuvent s’appliquer à des produits relevant du traité ceca ». Cette interprétation établit le traité CEE comme un socle juridique général, un droit commun communautaire destiné à combler les silences et les lacunes des traités sectoriels. La solution retenue est pragmatique, car elle assure une couverture juridique complète et évite un vide normatif préjudiciable à l’uniformité du marché commun, y compris pour les secteurs initialement dotés d’un régime spécial.
Cette reconnaissance du caractère supplétif du traité CEE permet à la Cour d’examiner si la matière en cause, à savoir le remboursement des droits de douane, fait l’objet d’une réglementation spécifique au sein de l’ordre juridique CECA.
B. L’extension du champ d’application du règlement sur le remboursement des droits de douane
L’analyse de la Cour se déplace ensuite vers le droit dérivé pour vérifier si la matière du remboursement des droits de douane est spécifiquement traitée par le traité CECA ou ses textes d’application. Le constat est négatif. La Cour relève que le règlement n°1430/79 porte sur une matière qui « ne fait l’objet ni de dispositions du traité ceca lui-même ni de dispositions adoptées sur la base de ce traité ». Elle examine notamment l’article 72 du traité CECA, relatif aux droits de douane, pour souligner que celui-ci se limite à habiliter le Conseil à fixer des taux, mais laisse la procédure de perception et de remboursement à la compétence des États membres, selon leur droit douanier national. En l’absence de régime harmonisé CECA en la matière, le silence de ce traité ouvre la voie à l’application du règlement CEE. La solution garantit ainsi une application homogène des procédures douanières sur l’ensemble du territoire communautaire, indépendamment de la nature des marchandises, renforçant la cohérence du marché intérieur et de l’union douanière.
Une fois l’applicabilité du règlement confirmée, la Cour devait en interpréter les dispositions pour déterminer si elles autorisaient le remboursement dans les circonstances particulières de l’espèce.
II. Le refus du remboursement des droits en cas de déclaration délibérément inexacte
La Cour procède à une lecture finaliste du règlement pour en limiter le bénéfice aux seules erreurs matérielles (A), ce qui la conduit logiquement à exclure du dispositif de remboursement l’opérateur ayant sciemment altéré sa déclaration de valeur (B).
A. Une interprétation téléologique du droit au remboursement
La juridiction communautaire s’attache à définir le champ d’application de l’article 2 du règlement n°1430/79, qui prévoit un remboursement lorsque le montant des droits perçus est supérieur « pour un motif quelconque » à celui légalement dû. Plutôt que de s’en tenir à la littéralité de cette formule très large, la Cour se réfère aux considérants du règlement pour en dégager l’esprit. Il en ressort que le texte vise les situations où un montant excessif a été perçu « soit par suite d’une erreur de calcul ou de transcription, soit par suite de la prise en considération d’éléments de taxation inexacts ou incomplets ». La Cour en conclut que la disposition litigieuse « doit s’appliquer aux cas d’erreur ». Cette interprétation téléologique permet de circonscrire la finalité du mécanisme, qui est de rectifier des erreurs involontaires et de restaurer la légalité de la taxation, et non de créer un droit inconditionnel au remboursement. La solution est une manifestation classique de la méthode d’interprétation de la Cour, qui privilégie l’intention du législateur sur la seule lettre du texte.
Cette interprétation restrictive fonde l’exclusion du remboursement pour l’opérateur dont le comportement ne relève manifestement pas de l’erreur.
B. La sanction de la manœuvre de l’opérateur économique
Appliquant son interprétation aux faits de l’espèce, la Cour juge que le règlement « ne s’applique pas lorsque l’opérateur redevable des droits à l’importation a déclaré, au moment de la mise en libre pratique d’une marchandise, un prix plus élevé que celui qu’il a dû payer en réalité ». La Cour sanctionne ainsi la déclaration délibérément fausse de l’opérateur, qui avait pour but de se conformer à une licence d’importation inexacte. Peu importe que l’intention de frauder l’impôt ne soit pas établie ou que la licence eût pu être obtenue sur la base du prix réel ; le seul fait d’avoir sciemment présenté des informations incorrectes à l’administration suffit à priver l’opérateur du droit au remboursement. Cette décision introduit une exigence de bonne foi et de transparence dans les relations entre les opérateurs économiques et les autorités douanières. Elle rappelle le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour obtenir un avantage, même si cet avantage consiste simplement à corriger a posteriori les conséquences financières d’une manœuvre initiale. La portée de l’arrêt est donc considérable, car elle subordonne l’exercice d’un droit conféré par la réglementation communautaire au respect d’une obligation de loyauté procédurale.