Par un arrêt du 1er décembre 1993, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée des règles relatives à la libre circulation des marchandises face à des réglementations nationales instaurant des contrôles sanitaires et des monopoles locaux. En l’espèce, des entreprises italiennes important des viandes fraîches depuis d’autres États membres se voyaient imposer par une législation nationale une inspection sanitaire systématique à l’arrivée sur le territoire d’une commune, alors même que ces marchandises étaient déjà accompagnées d’un certificat sanitaire délivré dans l’État membre d’expédition. En outre, une réglementation municipale spécifique obligeait les importateurs à recourir aux services d’une entreprise locale détenant une concession exclusive pour le transport et la livraison des viandes, ou à défaut, à verser à cette entreprise une somme équivalente au service non utilisé.
Les sociétés importatrices, après avoir acquitté les droits réclamés pour ces inspections et ces services de transport, ont saisi la juridiction nationale d’une demande en restitution, soutenant que ces charges étaient contraires au droit communautaire. Le juge italien, confronté à un doute sur la compatibilité de la réglementation nationale avec les dispositions des directives relatives aux contrôles sanitaires et avec les articles du traité prohibant les entraves aux échanges, a décidé de surseoir à statuer pour poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si un État membre peut soumettre des marchandises déjà contrôlées à une nouvelle inspection sanitaire systématique et payante, et si une concession exclusive locale pour le transport de marchandises importées constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative interdite par le traité. La Cour a répondu que le droit communautaire s’opposait à la fois aux contrôles sanitaires systématiques sur des marchandises déjà certifiées et au monopole local de transport qui renchérissait les importations.
La solution retenue par la Cour de justice clarifie l’articulation entre l’harmonisation communautaire et les prérogatives nationales en matière de contrôle sanitaire (I), tout en rappelant avec force l’étendue de l’interdiction des mesures d’effet équivalent dans le cadre de la libre circulation des marchandises (II).
I. La primauté du contrôle sanitaire harmonisé sur les réglementations nationales redondantes
L’arrêt affirme sans détour la prééminence du système de contrôle unifié par la directive communautaire, le rendant exclusif de toute autre formalité nationale systématique (A), et en déduit logiquement l’illégalité de la perception de toute charge pécuniaire en contrepartie de tels contrôles (B).
A. L’affirmation d’un système communautaire de contrôle exhaustif et exclusif
La Cour de justice constate que la directive applicable en matière d’échanges de viandes fraîches a pour objet de rapprocher les législations des États membres afin d’éliminer les disparités entravant le commerce. Pour ce faire, elle a mis en place un dispositif complet de prescriptions et de vérifications dans l’État d’expédition, dont le respect est attesté par la délivrance d’un certificat de salubrité. Ce mécanisme repose sur la confiance mutuelle entre les États membres et vise à déplacer l’essentiel des contrôles vers le pays d’origine, simplifiant ainsi le passage des frontières.
Dans ce contexte, la Cour juge qu’un régime national qui impose une seconde visite sanitaire de manière obligatoire et permanente pour les viandes importées est incompatible avec le droit communautaire. Elle énonce que la directive a instauré « un système complet, détaillé et harmonisé de contrôles sanitaires des viandes fraîches, fondé sur l’équivalence des garanties sanitaires au niveau communautaire, qui se substitue à tout autre système de contrôles existant à l’intérieur du pays destinataire ». Les contrôles dans l’État de destination ne sont donc autorisés que de manière exceptionnelle, en cas de présomption grave d’irrégularité, et ne doivent en aucun cas être systématiques ou constituer une condition préalable à la commercialisation.
B. Le rejet de toute contrepartie financière pour les contrôles sanitaires
Après avoir invalidé le principe même des inspections systématiques, la Cour se penche sur la légalité des droits perçus par l’administration nationale en contrepartie de ces contrôles. Elle conclut que de telles charges pécuniaires sont en tout état de cause prohibées. Cette interdiction s’applique non seulement aux contrôles systématiques jugés illégaux, mais également aux inspections sporadiques que la directive autorise dans certaines circonstances.
Pour justifier sa position, la Cour rappelle une jurisprudence bien établie selon laquelle de tels contrôles ne constituent pas un service rendu à l’opérateur économique. Elle précise en effet que « l’activité que déploie l’administration nationale pour ces contrôles est exercée dans l’intérêt général et non pas dans celui de l’importateur ». En conséquence, les frais occasionnés par ces vérifications sanitaires doivent être supportés par la collectivité publique, qui est la véritable bénéficiaire de la protection de la santé publique et de la libre circulation des marchandises. Imposer ces coûts à l’importateur revient à créer une taxe d’effet équivalent à un droit de douane, formellement interdite par le traité.
Au-delà de cette question des contrôles sanitaires régie par une législation d’harmonisation, l’arrêt se prononce également sur une entrave relevant directement de l’application des principes fondamentaux du traité.
II. L’application extensive de l’interdiction des mesures d’effet équivalent aux entraves locales
La Cour examine ensuite la réglementation municipale qui contraint les importateurs à utiliser les services d’une entreprise locale pour le transport de leurs marchandises. Elle qualifie cette obligation d’entrave prohibée par le traité (A) et écarte les arguments tirés du caractère local et indistinctement applicable de la mesure pour justifier une telle restriction (B).
A. La qualification d’entrave d’une concession de transport exclusive
La juridiction de renvoi demandait si l’article 30 du traité s’opposait à une réglementation communale qui oblige un importateur soit à confier le transport de ses marchandises à une entreprise bénéficiant d’une concession exclusive, soit à verser à cette dernière une compensation financière s’il effectue le transport par ses propres moyens. La Cour répond par l’affirmative, en s’appuyant sur sa définition classique de la mesure d’effet équivalent comme toute réglementation susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire.
En l’espèce, le fait d’imposer à un opérateur le recours à un prestataire désigné ou le paiement d’une redevance pour un service non utilisé a pour conséquence inévitable de grever le coût des produits importés. Une telle réglementation a donc « pour effet de rendre plus onéreuses et plus difficiles les importations de marchandises en provenance d’autres États membres ». Elle constitue une restriction quantitative à l’importation déguisée, qui décourage les opérateurs étrangers d’entrer sur le marché local ou réduit leur compétitivité par rapport aux produits qui ne subissent pas cette contrainte logistique et financière.
B. L’indifférence du caractère local et indistinctement applicable de la mesure
La Cour balaie ensuite les arguments qui pourraient être avancés pour tenter de soustraire la mesure au champ d’application de l’article 30. Premièrement, elle juge que le champ d’application territorialement limité de la réglementation, qui ne concerne qu’une seule commune, est sans pertinence. Une mesure étatique ne perd pas son caractère d’entrave au commerce intracommunautaire au prétexte qu’elle ne s’applique que sur une fraction du territoire national.
Deuxièmement, il est tout aussi indifférent que la mesure soit, en principe, indistinctement applicable aux produits nationaux et importés. Même si la contrainte pèse également sur les marchandises provenant d’autres régions italiennes, son effet protecteur au profit du marché local et son effet restrictif sur les importations suffisent à la faire tomber sous le coup de l’interdiction de l’article 30. En confirmant enfin que cette disposition du traité a un effet direct, la Cour rappelle qu’elle confère aux particuliers des droits que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder, leur permettant ainsi de contester directement toute réglementation nationale contraire.