Arrêt de la Cour du 15 mars 1983. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement – Taxation des eaux-de-vie. – Affaire 319/81.

Par un arrêt en manquement rendu le 15 décembre 1982, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours de l’interdiction des impositions intérieures discriminatoires, en particulier s’agissant des systèmes de taxation différenciée fondés sur des critères de provenance. En l’espèce, la législation d’un État membre prévoyait un régime de taxe sur la valeur ajoutée à taux majoré pour les eaux-de-vie bénéficiant d’une appellation d’origine ou de provenance protégée, tandis que les autres eaux-de-vie étaient soumises à un taux inférieur. Or, cet État membre ne disposait d’aucune réglementation protégeant l’appellation de ses propres productions nationales, principalement une eau-de-vie dénommée « grappa ». Saisie par la Commission, la Cour a été amenée à examiner la compatibilité de ce dispositif avec les dispositions de l’article 95 du traité CEE. La Commission soutenait que ce système fiscal aboutissait à taxer plus lourdement la quasi-totalité des eaux-de-vie importées par rapport aux produits nationaux similaires ou concurrents, instaurant ainsi une protection déguisée. L’État membre arguait pour sa part que la différenciation fiscale reposait sur un critère objectif, celui du caractère luxueux des produits, lequel serait intrinsèquement lié à l’existence d’une appellation d’origine. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si un critère d’imposition, tel que l’existence d’une appellation d’origine, pouvait être considéré comme objectif et non discriminatoire au sens de l’article 95 du traité, alors même que, par l’effet de la législation nationale, il ne s’appliquait en pratique qu’aux produits importés et non aux productions domestiques concurrentes. La Cour de justice juge que ce régime fiscal est contraire à l’article 95 du traité, car le critère retenu, par sa nature même, exclut les produits nationaux du champ de l’imposition la plus lourde, créant ainsi une discrimination à l’égard des produits importés et une protection de la production nationale.

Il convient d’analyser la condamnation par la Cour d’une discrimination fiscale indirecte fondée sur un critère prétendument objectif (I), avant d’étudier la portée de cette décision quant au renforcement de la neutralité fiscale au sein du marché commun (II).

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I. La condamnation d’une discrimination fiscale indirecte

La Cour, tout en rappelant la liberté des États membres d’établir des taxations différenciées, a estimé que le critère de l’appellation d’origine constituait en l’espèce une discrimination prohibée. Elle a ainsi réaffirmé les limites de l’autonomie fiscale nationale (A) avant de disqualifier la nature prétendument objective du critère retenu par l’État membre (B).

A. Les limites de l’autonomie fiscale des États membres

La Cour commence son raisonnement en rappelant une jurisprudence établie selon laquelle « le droit communautaire ne restreint pas, en l’état actuel de son évolution, la liberté de chaque État membre d’établir un système de taxation différenciée pour certains produits, en fonction de critères objectifs ». Cette faculté est cependant conditionnée au respect de plusieurs exigences. Les différenciations doivent non seulement poursuivre des objectifs de politique économique compatibles avec le traité, mais leurs modalités doivent surtout « éviter toute forme de discrimination, directe ou indirecte, à l’égard des importations en provenance des autres États membres, ou de protection en faveur de productions nationales concurrentes ». La Cour admet donc la légitimité pour un État de moduler sa fiscalité, y compris pour des raisons de justice distributive visant à imposer plus lourdement des produits de luxe. Toutefois, cette liberté ne saurait justifier une dérogation au principe fondamental de non-discrimination énoncé à l’article 95. Toute différenciation fiscale, même poursuivant un but légitime, doit se conformer aux interdictions posées par cette disposition, qui vise à garantir une parfaite neutralité des impositions intérieures entre les produits nationaux et les produits importés.

B. La disqualification du critère de l’appellation d’origine

La Cour considère que le critère retenu par l’État membre, à savoir l’appellation d’origine ou de provenance, ne remplit pas les conditions d’objectivité et de neutralité requises. Elle juge qu’« on ne saurait, dès lors, considérer comme compatible avec l’interdiction de discrimination inscrite dans cette disposition, un critère d’imposition majorée, telle l’appellation d’origine ou de provenance qui, par définition, ne saurait, en aucun cas, être applicable aux produits nationaux ». Le caractère discriminatoire du système réside dans le fait qu’il exclut par avance les produits nationaux du régime de taxation le plus élevé. Cette situation résulte de la seule volonté du législateur national, qui, en s’abstenant de créer un régime de protection pour ses propres eaux-de-vie, les met à l’abri de la taxe majorée. Une telle construction législative crée une rupture d’égalité flagrante qui ne saurait être justifiée par la prétendue nature luxueuse des produits importés, d’autant que la Cour note qu’une appellation d’origine ne confère pas automatiquement à un produit un caractère de luxe.

La démonstration du caractère discriminatoire et protecteur de la mesure est ainsi établie, ce qui amène la Cour à en examiner les conséquences sur le fonctionnement du marché commun.

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II. Le renforcement de la neutralité fiscale dans le marché commun

La décision de la Cour dépasse la simple analyse juridique formelle pour s’attacher aux effets concrets de la mesure sur la concurrence (A) et clarifier la portée de son contrôle sur les choix fiscaux nationaux (B).

A. L’appréciation de l’effet protecteur au regard du marché potentiel

L’État membre tentait de démontrer l’absence d’effet protecteur en se fondant sur l’augmentation des importations des produits surtaxés. La Cour écarte cet argument en soulignant qu’il importe de « prendre en considération le marché potentiel des produits en cause en l’absence des mesures protectionnistes ». Ce faisant, elle adopte une approche économique réaliste qui reconnaît que des mesures fiscales discriminatoires peuvent fausser la concurrence même si elles n’empêchent pas toute importation. Elles peuvent notamment freiner le développement des produits importés et consolider les habitudes de consommation nationales autour de produits artificiellement moins chers. L’objectif du marché commun est précisément d’« éliminer ces cristallisations des habitudes de consommation en assurant, dans toute la mesure du possible, à l’ensemble des consommateurs un accès égal à l’ensemble des produits communautaires ». La neutralité fiscale est donc une condition essentielle pour que la concurrence puisse s’exercer de manière non faussée et que les produits puissent rivaliser sur la base de leurs qualités intrinsèques et de leur prix, et non en fonction de leur origine.

B. La portée de la décision sur l’autonomie fiscale nationale

En conclusion de son analyse, la Cour prend soin de préciser que sa décision « n’entrave nullement la faculté pour les États membres de prévoir, dans le respect des directives en la matière, un taux de TVA supérieur pour les produits de luxe ». Elle réaffirme ainsi que l’objectif de taxer davantage les produits de luxe demeure légitime. Cependant, elle en encadre strictement les modalités. La condition posée est que « les critères choisis pour déterminer la catégorie de produits plus lourdement frappés ne soient pas discriminatoires à l’égard des produits importés similaires ou se trouvant, à l’égard des produits nationaux, dans le rapport de concurrence envisagé par l’article 95, alinéa 2 ». La portée de cet arrêt est donc considérable : il ne condamne pas la taxation du luxe en soi, mais impose que les critères de définition du luxe soient appliqués de manière égale et non discriminatoire aux produits nationaux et importés. La liberté fiscale des États membres s’arrête là où commence la protection, même indirecte ou déguisée, des productions nationales.

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Hassan KOHEN
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