Arrêt de la Cour du 15 mars 1983. – République italienne contre Commission des Communautés européennes. – Apurement des comptes du FEOGA. – Affaire 61/82.

Dans un arrêt rendu dans l’affaire 61/82, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’application de la réglementation agricole commune et les exigences liées à l’octroi des aides financées par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole.

En l’espèce, un État membre a sollicité l’annulation partielle d’une décision d’une institution communautaire relative à l’apurement des comptes de l’exercice 1974. L’institution avait refusé de prendre en charge plusieurs dépenses engagées par l’organisme d’intervention national. Le litige portait sur quatre points distincts. Premièrement, l’organisme national avait vendu des céréales à un prix inférieur à celui du marché local, invoquant une politique nationale de blocage des prix. Deuxièmement, il avait inclus dans le calcul d’une aide au lait écrémé en poudre les pertes de matière survenues durant le processus de transformation. Troisièmement, des aides au stockage de vin avaient été versées dans des conditions que le juge communautaire avait déjà jugées irrégulières dans une affaire précédente. Enfin, des aides au stockage de fromage avaient été accordées avant la signature formelle des contrats de stockage.

L’État membre a introduit un recours en annulation contre la décision de l’institution, soutenant la conformité de ses pratiques avec le droit communautaire. Il faisait valoir, pour la vente des céréales, la nécessité de répondre à une situation conjoncturelle particulière et, pour les aides, une interprétation souple des conditions d’octroi. L’institution défenderesse maintenait que les règles communautaires devaient être appliquées strictement pour garantir leur uniformité et l’équilibre des marchés.

La question de droit soulevée par cet arrêt était double. D’une part, il s’agissait de savoir si un État membre pouvait se prévaloir de considérations de politique économique et sociale interne pour déroger aux règles de prix fixées par un règlement communautaire. D’autre part, la Cour était amenée à déterminer si l’octroi d’aides agricoles communautaires était subordonné au respect de conditions formelles strictes, notamment en ce qui concerne la définition du fait générateur de l’aide et la conclusion des contrats.

La Cour de justice rejette le recours dans son intégralité. Elle affirme que les préoccupations d’ordre social nationales, bien que légitimes, ne peuvent justifier une interprétation des règlements communautaires contraire à leurs termes et à leurs objectifs. Elle juge également que les aides ne peuvent être versées que pour les produits effectivement utilisés conformément à leur destination et que la conclusion d’un contrat de stockage, conditionnant l’aide, se matérialise par la signature d’un acte écrit et non par un simple accord de volontés ou un constat matériel.

L’arrêt réaffirme ainsi avec force le principe d’une application stricte et uniforme du droit communautaire, en particulier lorsque des intérêts financiers de la Communauté sont en jeu. Il met en lumière la prévalence des objectifs de la réglementation communautaire sur les circonstances nationales (I), tout en consacrant un formalisme rigoureux comme garantie de la bonne gestion des aides agricoles (II).

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I. La prééminence des finalités du droit communautaire sur les considérations nationales

La Cour de justice rappelle que l’intégrité du marché commun impose une application des règlements qui ne saurait être altérée par des politiques unilatérales. Elle rejette ainsi les justifications tirées d’un contexte national particulier (A) en se fondant sur une interprétation téléologique des textes en cause (B).

A. Le rejet des justifications d’ordre social et conjoncturel

L’État requérant soutenait que la vente de céréales à un prix inférieur au prix du marché était justifiée par un blocage temporaire des prix de denrées de grande consommation. Cette mesure visait à contrer des mouvements spéculatifs et à servir un objectif social. La Cour écarte fermement cette argumentation. Elle énonce que, si « des préoccupations d’ordre social peuvent justifier des initiatives appropriées en vue d’obtenir, dans un cadre communautaire, l’adaptation de la réglementation applicable », elles « ne sauraient cependant conduire a une interprétation des règlements communautaires contraire a leurs termes et a leurs objectifs ».

Ce faisant, le juge communautaire ne nie pas la légitimité des objectifs sociaux poursuivis par l’État membre. Il précise toutefois que la voie pour les faire valoir réside dans une démarche concertée au niveau communautaire, et non dans une application divergente des règles communes. Permettre à un État de fixer le prix des céréales d’intervention en fonction de ses propres impératifs économiques reviendrait à créer une rupture d’égalité entre les opérateurs et à compromettre le fonctionnement même des mécanismes d’intervention. La solution consacre donc la primauté de la discipline commune sur les aléas conjoncturels nationaux, réaffirmant que l’intérêt général communautaire l’emporte sur les intérêts particuliers d’un État.

B. L’interprétation téléologique au service de l’intégrité du marché

Pour asseoir sa décision, la Cour ne se contente pas d’une lecture littérale des règlements, mais en recherche la finalité. S’agissant des céréales, elle rappelle que l’obligation de vendre au moins au prix du marché local « a pour but d’éviter une détérioration du marché et de garantir ainsi le bon fonctionnement des mesures d’intervention communautaires ». L’objectif est de stabiliser les cours et non de subventionner indirectement une politique nationale, aussi louable soit-elle.

La même logique prévaut dans l’analyse des conditions d’aide au lait écrémé en poudre. L’État membre prétendait que les déchets de transformation, inhérents au processus de fabrication, devaient être couverts par l’aide. La Cour rejette cette thèse en soulignant que le but de la réglementation est d’assurer « que le lait écrémé et le lait écrémé en poudre auxquels sont accordées des aides sont effectivement utilisés pour l’alimentation des animaux ». Seul le produit effectivement incorporé dans la denrée finale peut donc bénéficier du soutien communautaire. L’aide est attachée à une destination précise et non à une simple mise en production. Cette interprétation finaliste garantit l’efficacité des fonds engagés et prévient les détournements potentiels de l’aide de son objectif.

II. Le formalisme contractuel comme condition de l’aide communautaire

La Cour de justice ne se limite pas à une analyse substantielle du respect des objectifs communautaires. Elle fait également preuve d’une grande rigueur quant aux conditions de forme qui encadrent l’octroi des aides, considérant le formalisme comme un instrument de sécurité juridique et de contrôle. Cette exigence se manifeste par la nécessité d’un contrat écrit (A), dont la portée dépasse le cas d’espèce pour devenir une garantie pour le budget communautaire (B).

A. L’exigence d’un contrat écrit pour l’aide au stockage

Le litige relatif à l’aide au stockage de fromage portait sur la détermination du moment de la conclusion du contrat. L’organisme national assimilait la conclusion du contrat à l’établissement du procès-verbal d’entrée en stock. La Cour censure cette pratique, affirmant que le contrat de stockage ne peut résulter d’un simple échange de consentements ou d’une opération matérielle. Elle déduit l’exigence d’un support formel des dispositions du règlement, qui prévoient que le contrat doit comporter des clauses obligatoires relatives à la quantité, au montant de l’aide et aux dates d’exécution.

La Cour en conclut que l’ensemble de ces dispositions fonde « l’hypothèse que toute opération de stockage doit, pour bénéficier de l’aide communautaire […], être précédée de la passation d’un contrat écrit ». Par conséquent, « au sens du règlement n° 971/68, un contrat de stockage n’est conclu qu’au moment de la signature de l’acte ecrit ». Cette solution, qui avait déjà été esquissée pour le stockage du vin, est ici transposée et renforcée pour celui du fromage. Le contrat n’est pas un simple récapitulatif comptable, mais l’acte juridique qui conditionne l’entrée dans le régime d’aide.

B. La portée de la solution : une garantie pour la gestion des fonds communautaires

En imposant un formalisme strict, la Cour ne cède pas à un juridisme excessif ; elle poursuit un objectif de bonne administration des deniers communautaires. La signature d’un contrat écrit offre une date certaine et un contenu vérifiable, qui sont indispensables au contrôle de la régularité des opérations financées par le Fonds européen. Elle permet de s’assurer que les quantités de produits déclarées sont effectivement retirées du marché pour la durée prévue, contribuant ainsi à la stabilisation des marchés visée par le régime d’intervention.

Cette exigence de formalisme a une portée considérable. Elle signifie que les opérateurs économiques et les administrations nationales ne peuvent se prévaloir de pratiques nationales ou de la souplesse du droit civil interne pour s’affranchir des exigences du droit communautaire. La sécurité juridique et la nécessité d’un contrôle efficace imposent une standardisation des procédures. Ainsi, le formalisme contractuel devient un pilier de la protection du budget communautaire, garantissant que les aides ne sont versées qu’à bon droit, dans le respect scrupuleux de conditions uniformes sur tout le territoire de la Communauté.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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