Arrêt de la Cour du 15 octobre 1987. – Union nationale des entraîneurs et cadres techniques professionnels du football (Unectef) contre Georges Heylens et autres. – Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Lille – France. – Libre circulation des travailleurs – Équivalence des diplômes – Entraîneur sportif. – Affaire 222/86.

Par un arrêt du 15 octobre 1987, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie sur renvoi préjudiciel par le tribunal de grande instance de Lille, a précisé l’étendue des obligations incombant aux États membres en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles au regard du principe de libre circulation des travailleurs. En l’espèce, un ressortissant d’un État membre, titulaire d’un diplôme d’entraîneur sportif délivré dans son pays d’origine, avait été engagé par un club français. L’exercice de cette profession en France était cependant conditionné par la possession d’un diplôme national ou d’un titre étranger reconnu comme équivalent par l’autorité administrative. La demande de reconnaissance formée par l’entraîneur s’était heurtée à une décision de rejet non motivée, fondée sur l’avis également non motivé d’une commission spécialisée. Saisi d’une action pénale par un syndicat professionnel à l’encontre de l’entraîneur et des dirigeants de son club pour exercice illégal de la profession, le juge national a décidé de surseoir à statuer. Il a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle procédure de reconnaissance, caractérisée par une absence de motivation et de recours spécifique, avec l’article 48 du traité CEE garantissant la libre circulation des travailleurs. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le principe de libre circulation des travailleurs impose aux autorités nationales de motiver leurs décisions de refus d’équivalence de diplôme et de prévoir une voie de recours juridictionnelle contre celles-ci. La Cour y a répondu par l’affirmative, jugeant que le droit communautaire exige qu’une telle décision de refus puisse faire l’objet d’un recours de nature juridictionnelle permettant de vérifier sa légalité et que l’intéressé puisse obtenir connaissance des motifs qui la fondent.

Il convient d’analyser comment la Cour a déduit de la liberté de circulation une obligation de contrôle objectif de l’équivalence des diplômes (I), avant d’étudier la portée de cet arrêt qui consacre un véritable droit à une protection juridictionnelle effective pour le travailleur migrant (II).

I. L’assujettissement de la reconnaissance des diplômes aux garanties procédurales du droit communautaire

La Cour de justice rappelle d’abord que la libre circulation des travailleurs constitue une liberté fondamentale qui doit être assurée même en l’absence de mesures d’harmonisation (A), ce qui implique que la procédure nationale de reconnaissance d’équivalence soit soumise à un contrôle objectif (B).

A. La réaffirmation de l’effet de la libre circulation en l’absence d’harmonisation

La Cour souligne que l’article 48 du traité met en œuvre un principe fondamental du droit communautaire. En l’absence d’harmonisation des conditions d’accès à une profession, les États membres demeurent compétents pour définir les connaissances et qualifications nécessaires et pour exiger la possession d’un diplôme les attestant. Cependant, cette compétence doit s’exercer dans le respect des libertés garanties par le traité. L’exigence de diplômes nationaux constitue une entrave potentielle à la libre circulation des travailleurs, dont l’élimination doit être facilitée.

La Cour précise que « la circonstance que de telles directives n’ont pas encore été arrêtées n’autorise pas un État membre a refuser le bénéfice effectif de cette liberté a une personne relevant du droit communautaire, lorsque cette liberté peut être assurée dans cet État membre ». Ainsi, lorsqu’une législation nationale prévoit une procédure de reconnaissance d’équivalence, elle doit être mise en œuvre conformément aux exigences du droit communautaire. Cette obligation découle de l’article 5 du traité, qui impose aux États de prendre toute mesure propre à assurer l’exécution des obligations découlant du traité. La solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure, qui avait déjà affirmé la nécessité pour les autorités nationales de ne pas vider de sa substance la liberté d’établissement.

B. La consécration d’une exigence de contrôle objectif de l’équivalence

L’apport essentiel de la décision réside dans la manière dont la Cour encadre la procédure de reconnaissance d’équivalence. Pour concilier les exigences de qualification et les impératifs de la libre circulation, la Cour impose que l’examen d’une demande d’équivalence soit mené sur une base objective. Les autorités nationales doivent pouvoir s’assurer que le diplôme étranger atteste de connaissances et qualifications au moins équivalentes à celles certifiées par le diplôme national.

À cette fin, la Cour énonce un critère précis : « Cette appréciation de l’équivalence du diplôme étranger doit se faire exclusivement en considération du degré des connaissances et qualifications que ce diplôme, compte tenu de la nature et de la durée des études et des formations pratiques dont il atteste l’accomplissement, permet de présumer dans le chef du titulaire ». Cette approche exclut toute décision arbitraire ou fondée sur des motifs discriminatoires déguisés. En imposant une méthode d’examen rigoureuse, la Cour s’assure que le pouvoir d’appréciation des États membres ne devienne pas un obstacle injustifié à la mobilité des travailleurs. Cette exigence de fondement objectif de la décision prépare logiquement l’affirmation de garanties procédurales, car seule la connaissance des motifs permet d’en vérifier l’objectivité.

II. La portée fondamentale de la décision : l’émergence d’un droit à un recours effectif pour le travailleur migrant

Cet arrêt se distingue par son apport majeur à la protection des droits des justiciables, en qualifiant l’accès à l’emploi de droit fondamental (A) et en en déduisant un double droit systématique à la motivation des décisions administratives et au contrôle juridictionnel (B).

A. L’élévation du droit d’accès à l’emploi au rang de droit fondamental

Pour justifier l’existence de garanties procédurales fortes, la Cour ne se contente pas de viser la liberté de circulation, mais qualifie expressément l’accès à l’emploi de « droit fondamental conféré par le traité individuellement a tout travailleur de la communauté ». Cette qualification est déterminante. Elle déplace l’enjeu d’une simple liberté économique vers le terrain de la protection des droits de la personne, ce qui justifie un niveau de protection plus élevé.

En affirmant ce caractère fondamental, la Cour renforce considérablement la position du travailleur migrant face aux administrations nationales. La décision de refus de reconnaissance n’est plus un simple acte administratif affectant une situation professionnelle, mais une atteinte potentielle à un droit subjectif que le traité garantit directement aux particuliers. Cette approche permet à la Cour de fonder son raisonnement sur des principes généraux du droit communautaire qui transcendent la seule lettre de l’article 48 du traité.

B. La systématisation du double droit à la motivation et au contrôle juridictionnel

De cette nature fondamentale du droit d’accès à l’emploi, la Cour déduit deux conséquences procédurales indissociables. D’une part, « l’existence d’une voie de recours de nature juridictionnelle contre toute décision d’une autorité nationale refusant le bénéfice de ce droit est essentielle pour assurer au particulier la protection effective de son droit ». La Cour érige cette exigence en principe général du droit communautaire, s’appuyant sur les traditions constitutionnelles communes aux États membres et les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.

D’autre part, pour que ce contrôle juridictionnel soit effectif, l’intéressé doit pouvoir connaître les raisons de la décision qui lui est défavorable. La Cour juge que le travailleur doit pouvoir « décider, en pleine connaissance de cause, s’il est utile pour eux de saisir la juridiction ». Il en résulte que l’autorité nationale compétente a l’obligation de communiquer les motifs de son refus. Cette double exigence de motivation et de recours juridictionnel constitue une avancée majeure, dont la portée dépasse largement le seul cadre de la reconnaissance des diplômes et s’étend à toute décision nationale faisant obstacle à l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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