Arrêt de la Cour du 16 février 1982. – SpA Metallurgica Rumi contre Commission des Communautés européennes. – Régime des quotas de production pour l’acier. – Affaire 258/80.

Par un arrêt rendu dans l’affaire 258/80, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les conditions de légalité d’une décision individuelle fixant des quotas de production d’acier, contestée par la voie d’une exception d’illégalité soulevée à l’encontre de la décision générale qui en constituait le fondement. En l’espèce, une entreprise sidérurgique s’est vu notifier une décision individuelle établissant ses quotas de production pour le quatrième trimestre de l’année 1980. Cette décision avait été prise en application d’une décision générale de la Commission instaurant un régime de quotas de production pour l’ensemble de l’industrie sidérurgique, dans un contexte de crise manifeste du secteur. L’entreprise destinataire a alors formé un recours en annulation contre la décision individuelle devant la Cour de justice. Elle ne contestait pas l’exactitude du calcul de ses quotas, mais soutenait que la décision individuelle était illégale en ce qu’elle appliquait une décision générale elle-même entachée de plusieurs illégalités. Les moyens soulevés par la requérante portaient notamment sur l’effet rétroactif de la décision générale, le non-respect par la Commission de son obligation de consultation des entreprises, et l’absence de mesures de protection contre les importations en provenance de pays tiers. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si une décision générale instaurant un régime de quotas pouvait légalement s’appliquer à une période antérieure à sa publication officielle et si, dans ce cadre, la Commission avait correctement exercé ses compétences en matière de consultation et de politique commerciale. La Cour de justice a rejeté le recours dans son intégralité. Elle a jugé que l’application de la décision générale au mois d’octobre 1980 ne constituait pas une rétroactivité illégale, dès lors que cette mesure était justifiée par l’objectif poursuivi et respectait la confiance légitime des entreprises. Elle a par ailleurs estimé que la Commission avait satisfait à son obligation de procéder à des études en liaison avec les entreprises et qu’elle disposait d’un pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de prendre des mesures restrictives à l’égard des importations. L’analyse de la Cour conforte ainsi la légalité du cadre réglementaire mis en place par la Commission pour gérer la crise (I), tout en réaffirmant l’étendue de son pouvoir d’appréciation dans la mise en œuvre des instruments du traité (II).

I. La légalité du cadre réglementaire de crise au regard des principes généraux du droit

La Cour examine la validité du régime de quotas en confrontant ses modalités d’édiction aux exigences de sécurité juridique. Elle admet ainsi une application temporelle dérogatoire de la décision générale (A) tout en validant la procédure de consultation menée par la Commission (B).

A. L’exception admise au principe de non-rétroactivité

La société requérante critiquait la décision générale 2794/80/CECA au motif qu’étant entrée en vigueur le 31 octobre 1980, elle fixait néanmoins des quotas de production pour un trimestre ayant débuté le 1er octobre 1980. Selon elle, cette application rétroactive portait atteinte au principe de sécurité juridique, en rendant potentiellement illicites des actions de production déjà réalisées. La Cour écarte cet argument en opérant une distinction subtile : elle considère que la décision n’a pas eu un « effet rétroactif véritable ». En effet, les entreprises conservaient la possibilité d’ajuster leur production durant les mois de novembre et décembre afin de respecter le quota trimestriel global, ce qui neutralisait le caractère prétendument illicite de la production d’octobre.

Au-delà de cette appréciation factuelle, la Cour pose un principe fondamental en matière d’application des actes dans le temps. Elle affirme que « si, en règle générale, le principe de la sécurité juridique s’oppose à ce que la portée dans le temps d’un acte communautaire voie son point de départ fixé à une date antérieure à la publication, il peut en être autrement, à titre exceptionnel, lorsque le but à atteindre l’exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée ». En l’espèce, ces deux conditions cumulatives étaient réunies. D’une part, la nécessité de la mesure était avérée, car il fallait empêcher que les entreprises n’augmentent artificiellement leur production en octobre en prévision des restrictions à venir. D’autre part, la confiance légitime des opérateurs économiques avait été préservée, la Commission ayant préalablement annoncé son intention d’inclure le mois d’octobre dans le système de quotas, notamment par une communication et une décision obligeant les entreprises à déclarer leur production pour cette période. Les entreprises étaient donc averties et ne pouvaient se prévaloir d’un effet de surprise.

B. L’interprétation extensive de l’obligation de consultation

La requérante soutenait également que la Commission avait méconnu l’article 58 du traité CECA, qui impose d’établir les quotas sur la base d’études menées « en liaison avec les entreprises et les associations d’entreprises ». Elle estimait que la consultation avait été insuffisante, les propositions de la Commission ayant été imposées sans véritable dialogue. La Cour rejette cette vision restrictive de l’obligation de consultation. Elle rappelle que la Commission s’informe de manière permanente sur la situation de l’industrie sidérurgique grâce aux données que les entreprises sont tenues de lui communiquer régulièrement et aux études qu’elle mène.

La Cour précise surtout la portée de l’obligation de liaison. Elle juge que « si la commission est tenue de consulter les entreprises et les associations d’entreprises au moment de procéder à ces études, cette obligation n’implique pas qu’elle doive consulter chaque entreprise individuellement, ni qu’elle doive recueillir l’accord des entreprises siderurgiques quant aux mesures proposées ». L’essentiel est que la Commission ait informé le secteur des mesures envisagées et permis aux associations représentatives de faire valoir leur point de vue, ce qui fut le cas en l’espèce par le biais de plusieurs réunions. Cette interprétation confère à la Commission une marge de manœuvre procédurale indispensable à une action rapide et efficace en temps de crise, l’objectif étant l’information et non la codécision avec les acteurs du marché.

II. La confirmation du pouvoir d’appréciation de la Commission dans la gestion de la crise

Outre la validité intrinsèque de la décision générale, la Cour se prononce sur l’étendue des obligations pesant sur la Commission dans sa gestion globale de la crise. Elle reconnaît ainsi un large pouvoir discrétionnaire quant à l’adoption de mesures commerciales (A) et rappelle les conditions strictes de recevabilité de l’exception d’illégalité (B).

A. Le pouvoir discrétionnaire face aux importations de pays tiers

La société requérante reprochait à la Commission de ne pas avoir fait usage des pouvoirs que lui confère l’article 74 du traité CECA pour limiter les importations de produits sidérurgiques qui, selon elle, portaient préjudice à la production communautaire. La Cour répond à ce moyen en se fondant sur le texte de l’article 58 du traité, lequel prévoit que la Commission peut prendre des mesures sur la base de l’article 74 « en tant que de besoin ».

De cette formulation, la Cour déduit une conséquence juridique claire : « L’appréciation du besoin de prendre de telles mesures appartient à la commission sous réserve du contrôle par la cour de la légalité de l’exercice d’une telle compétence ». Ce faisant, elle confirme que la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour décider de l’opportunité de mettre en place des mesures de défense commerciale. Le contrôle du juge se limite alors à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation ou du détournement de pouvoir. Or, en l’espèce, la requérante n’apportait aucun élément probant en ce sens. Au contraire, la Cour relève que la Commission avait déjà mis en place des dispositifs de surveillance des importations et qu’elle devait tenir compte de la position de la Communauté en tant qu’exportatrice nette d’acier, afin d’éviter des mesures de rétorsion préjudiciables. L’absence de mesures plus restrictives relevait donc d’un choix de politique économique qui n’était pas manifestement erroné.

B. La condition d’application effective pour soulever l’exception d’illégalité

Dans un autre moyen, la requérante contestait la légalité de l’article 7, paragraphe 2, de la décision générale, qui encadrait le rapport entre les livraisons sur le marché commun et les livraisons totales. La Cour déclare ce moyen irrecevable en rappelant une condition essentielle à la mise en œuvre de l’exception d’illégalité. Elle énonce que si une partie requérante peut contester la légalité de dispositions d’une décision générale à l’occasion d’un recours contre une décision individuelle, « cette possibilité ne lui est ouverte que si la décision individuelle est basée sur les règles dont l’illégalité est alléguée ».

En l’espèce, la décision individuelle attaquée se limitait à fixer les quotas de production de la requérante. Elle ne faisait pas application de la disposition relative au rapport entre les différentes livraisons. Par conséquent, la légalité de la décision individuelle ne dépendait en rien de la légalité de cette disposition particulière de la décision générale. La Cour en conclut logiquement que le moyen est irrecevable, car il n’existe pas de lien de droit direct entre la norme générale contestée et l’acte individuel attaqué. Cette précision rigoureuse délimite le champ d’application de l’exception d’illégalité et empêche que le recours en annulation d’une décision individuelle ne se transforme en un contrôle abstrait et général de l’ensemble d’un acte réglementaire.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture