Arrêt de la Cour du 16 novembre 1989. – Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. – Manquement – Transposition d’une directive. – Affaire C-360/88.

Par l’arrêt commenté, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur les conséquences du non-respect par un État membre du délai imparti pour la transposition d’une directive. Cette décision, bien que concise dans son dispositif, est fondamentale quant aux obligations qui incombent aux États membres dans l’ordre juridique communautaire.

En l’espèce, une directive du Conseil du 10 septembre 1984 visait à rapprocher les législations nationales en matière de publicité trompeuse. Ce texte imposait aux États membres de prendre les mesures nécessaires à sa mise en œuvre dans un délai prescrit. Ayant constaté qu’un État membre n’avait pas adopté l’ensemble des dispositions requises à l’échéance de ce délai, la Commission a engagé une procédure à son encontre. Saisie par la Commission, la Cour de justice a été amenée à statuer sur un recours en manquement à l’encontre de cet État. Le débat juridique portait sur la nature de l’infraction, l’État mis en cause ne contestant pas le retard matériel, tandis que la Commission soutenait que cette seule inaction suffisait à caractériser une violation de ses obligations.

Il revenait ainsi aux juges de déterminer si la simple inobservation formelle du délai de transposition d’une directive suffisait, en elle-même, à constituer un manquement d’un État membre aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.

À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative de manière catégorique. Elle juge en effet qu’« en ne prenant pas, dans le délai prescrit, toutes les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre la directive […], le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE ». Cette solution, d’une apparente simplicité, réaffirme le caractère contraignant des obligations pesant sur les États membres (I) et emporte des conséquences significatives pour l’effectivité de l’ordre juridique communautaire (II).

I. La consécration du caractère contraignant du délai de transposition

La décision de la Cour de justice établit sans ambiguïté que le respect des délais de transposition est une obligation essentielle. Elle affirme ainsi le caractère impératif de cette exigence (A), rendant sans pertinence les éventuelles justifications tirées de l’ordre juridique interne de l’État (B).

A. L’affirmation d’une obligation de résultat à la charge de l’État membre

La décision commentée rappelle que la transposition des directives n’est pas une simple faculté laissée à la discrétion des États membres. Elle constitue une obligation juridique précise, dont les modalités sont définies par le traité CEE, qui impose aux États de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat fixé par la directive.

En l’espèce, l’obligation était double : assurer l’harmonisation de la législation sur la publicité trompeuse et le faire dans le délai imparti. La Cour considère que le respect de ce délai est une composante essentielle de l’obligation de transposition. Cette dernière revêt ainsi la nature d’une obligation de résultat, dont l’échéance temporelle est un élément constitutif. Le manquement est donc établi par la seule constatation que le résultat n’a pas été atteint à la date prévue.

B. L’indifférence des justifications internes à la constatation du manquement

Cette conception stricte de l’obligation de l’État conduit logiquement la Cour à écarter toute justification tirée de son ordre juridique interne. La jurisprudence constante, réaffirmée dans cet arrêt, établit qu’un État membre ne peut invoquer des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique pour justifier le non-respect de ses obligations communautaires.

Ainsi, des difficultés d’ordre administratif, des lenteurs parlementaires ou des complexités politiques ne sauraient exonérer l’État de sa responsabilité. Le manquement est caractérisé de manière purement objective, par la seule constatation matérielle de l’absence de mesures de transposition à la date butoir. La Cour de justice se positionne en gardienne de la légalité communautaire, refusant de laisser l’application du droit de l’Union dépendre des aléas internes de chaque État membre.

II. La portée du manquement au regard de l’ordre juridique communautaire

Au-delà de la sanction de l’État défaillant, la solution retenue par la Cour de justice revêt une portée fondamentale pour l’ensemble de l’architecture juridique communautaire. Elle vise à renforcer l’effectivité même du droit issu des directives (A) et, par conséquent, à garantir les droits des justiciables européens (B).

A. Le renforcement de l’effectivité du droit des directives

En sanctionnant rigoureusement l’inertie d’un État, la Cour garantit l’effet utile des directives. Une application tardive ou incomplète de ces textes priverait en effet de toute substance les objectifs d’harmonisation poursuivis par le législateur communautaire. La protection des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales, visées par la directive de 1984, ne sauraient souffrir de retards variables sans créer de distorsions.

Cette jurisprudence assure donc que les directives ne demeurent pas de simples déclarations d’intention mais produisent des effets juridiques concrets et uniformes au sein de l’espace communautaire. Le recours en manquement devient un instrument essentiel pour contraindre les États à respecter leurs engagements et pour préserver l’intégrité et l’uniformité du droit de l’Union.

B. La garantie des droits des justiciables européens

Cette exigence d’effectivité se justifie d’autant plus qu’elle conditionne directement la protection des droits que les particuliers tirent de ces mêmes directives. L’obligation de transposition dans les délais constitue le fondement de la sécurité juridique pour les citoyens et les entreprises, qui doivent pouvoir compter sur l’application du droit européen à une date certaine.

L’absence de transposition les place dans une situation d’incertitude et peut les priver de la possibilité d’invoquer les dispositions de la directive devant leurs juridictions nationales, notamment lorsque celles-ci sont suffisamment claires, précises et inconditionnelles. La constatation du manquement par la Cour est donc une étape essentielle, pouvant ouvrir la voie à une action en responsabilité de l’État défaillant pour les dommages causés aux particuliers du fait de la non-transposition.

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