Arrêt de la Cour du 17 juin 1980. – Calpak SpA et Società Emiliana Lavorazione Frutta SpA contre Commission des Communautés européennes. – Aide à la production – Poires Williams. – Affaires jointes 789 et 790/79.

Par un arrêt du 17 juin 1980, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié les conditions de recevabilité du recours en annulation formé par des particuliers contre un acte de portée générale. Cette décision, rendue dans le cadre d’affaires jointes, aborde la distinction fondamentale entre un règlement et une décision, déterminant ainsi l’accès des justiciables au juge communautaire.

En l’espèce, deux sociétés spécialisées dans la transformation de fruits ont introduit un recours en annulation contre deux règlements de la Commission. Ces textes limitaient l’aide à la production de poires conservées au sirop à 105 % de la quantité produite par chaque entreprise durant la campagne 1978-1979. Les requérantes soutenaient que cette période de référence était atypique et leur était particulièrement défavorable, car leur production avait été exceptionnellement basse cette année-là. Elles arguaient que les entreprises concernées formaient un groupe fermé et identifiable par la Commission au moment de l’adoption des actes. Par conséquent, ces règlements constituaient en réalité des décisions déguisées qui les affectaient directement et individuellement. La Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, arguant que les actes attaqués possédaient une nature réglementaire incontestable.

La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si un acte, qui établit une règle applicable de manière générale, peut néanmoins être qualifié de décision individuelle au sens de l’article 173, alinéa 2, du traité CEE, au motif qu’il affecte un groupe identifiable de sujets de droit et que ses critères d’application ont des conséquences économiques particulièrement préjudiciables pour certains d’entre eux.

La Cour de justice rejette les recours comme irrecevables. Elle juge qu’une mesure qui s’applique à des situations déterminées objectivement et produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite revêt un caractère réglementaire. La Cour précise que « une disposition limitant, pour tout producteur, l’octroi de l’aide à la production d’un produit déterminé à un même pourcentage de la quantite produite par lui pendant une même période antérieure, est, par sa nature, une mesure de portée générale ». Elle ajoute que cette nature « n’est pas mise en cause par la seule possibilité de déterminer le nombre ou même l’identité des producteurs bénéficiant de l’aide ainsi limitée ».

Cette solution conduit à réaffirmer une conception stricte de l’acte réglementaire, fondée sur sa portée générale (I), tout en confirmant une interprétation restrictive de la notion d’affectation individuelle nécessaire à l’ouverture du recours en annulation pour les particuliers (II).

I. La consécration d’une conception objective de l’acte réglementaire

La Cour de justice fonde son raisonnement sur la nature intrinsèque de l’acte attaqué. Elle s’attache à définir le règlement par sa portée générale (A), ce qui la conduit à écarter la pertinence de l’identification des destinataires comme critère de requalification (B).

A. La qualification de l’acte par sa portée générale

La Cour rappelle d’emblée que le critère de distinction entre un règlement et une décision réside dans la portée générale de l’acte. Le règlement se caractérise par son application à des situations objectivement déterminées et par les effets juridiques qu’il déploie à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite. En l’espèce, la disposition litigieuse fixait pour tout producteur un plafond d’aide calculé sur la base d’un pourcentage uniforme appliqué à une période de référence unique. Une telle mesure, par sa formulation impersonnelle et son champ d’application indéterminé, s’inscrit pleinement dans cette définition.

Le juge communautaire refuse ainsi de prendre en considération les motivations économiques ou les objectifs politiques sous-jacents de la Commission. L’intention supposée de stabiliser la production à un niveau bas ne suffit pas à transformer la nature de l’acte. En se concentrant sur les caractéristiques juridiques de la norme, la Cour adopte une approche formelle et objective. Elle réaffirme que le choix de la forme ne peut altérer la nature d’un acte, mais elle souligne aussi que la nature véritable de l’acte dépend de son contenu objectif et non des circonstances particulières de ses destinataires.

B. L’indifférence de l’identification des destinataires

L’argument principal des requérantes reposait sur le fait que les producteurs de poires concernés constituaient un cercle fermé et identifiable. Elles en déduisaient que le règlement visait en réalité une série de décisions individuelles. La Cour rejette fermement cette analyse. Elle énonce clairement que la possibilité de déterminer, même avec précision, le nombre ou l’identité des sujets de droit affectés par un acte à un moment donné n’est pas un élément suffisant pour lui dénier son caractère réglementaire.

Cette position est fondamentale pour la stabilité du système normatif communautaire. Admettre le contraire reviendrait à rendre la qualification d’un acte dépendante de circonstances factuelles et potentiellement changeantes, ce qui créerait une insécurité juridique considérable. Un règlement qui s’applique à une catégorie d’opérateurs économiques ne devient pas une décision parce que cette catégorie est, à un instant T, peu nombreuse. La Cour préserve ainsi l’intégrité de la notion de règlement en tant qu’instrument de législation applicable à tous les acteurs entrant dans son champ d’application abstrait, indépendamment de leur nombre.

II. L’interprétation restrictive de la notion d’affectation individuelle

En conséquence de sa qualification de l’acte, la Cour examine la condition de l’affectation individuelle de manière rigoureuse. Elle écarte l’impact économique particulier comme critère d’individualisation (A), consolidant ainsi une jurisprudence qui limite l’accès des particuliers au prétoire communautaire contre les actes normatifs (B).

A. Le rejet de l’impact économique comme critère d’individualisation

Les sociétés requérantes mettaient en avant le préjudice économique considérable que leur causait le choix de la campagne 1978-1979 comme unique période de référence. Leur modèle économique, caractérisé par une forte flexibilité et des variations importantes de production d’une année sur l’autre, les rendait particulièrement vulnérables à ce critère. La Cour, cependant, ne retient pas cet argument pour les individualiser. Elle juge que « le fait que le choix de la période de référence a une importance particulière pour les requérantes […] ne suffit pas non plus pour ouvrir une voie de recours individuelle ».

Cette approche confirme que l’affectation individuelle ne saurait découler d’une situation économique propre à un opérateur, même si celle-ci le distingue de ses concurrents. Pour que la condition soit remplie, il faut que l’acte atteigne le requérant en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne. En l’espèce, les requérantes n’étaient touchées qu’en leur qualité objective de transformateurs de poires, au même titre que tous les autres opérateurs du secteur, même si les conséquences étaient différentes pour chacune.

B. La consolidation d’une protection juridictionnelle limitée contre les actes normatifs

En déclarant les recours irrecevables, la Cour confirme une orientation jurisprudentielle constante et stricte concernant les conditions de recevabilité des recours formés par les particuliers. L’objectif de l’article 173, alinéa 2, est bien d’éviter que les institutions ne puissent écarter un recours par le seul choix de la forme réglementaire. Toutefois, cet arrêt montre que cet objectif ne va pas jusqu’à permettre une contestation directe de la substance d’un acte qui est véritablement de nature réglementaire.

La solution a pour portée de renforcer la cohérence du système des voies de droit. Elle incite les particuliers affectés par un règlement à se tourner vers les juridictions nationales. Celles-ci peuvent, le cas échéant, interroger la Cour de justice sur la validité de l’acte communautaire par le biais d’un renvoi préjudiciel. Bien que cette voie soit indirecte, elle garantit l’uniformité du droit communautaire tout en empêchant l’encombrement de la Cour par des recours individuels visant des mesures de portée générale. La décision commentée réaffirme donc un équilibre délicat entre la protection des droits individuels et la préservation de la fonction normative des institutions.

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