Par un arrêt en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’application de l’article 30 du traité CEE relatif à la libre circulation des marchandises. En l’espèce, un État membre avait modifié sa réglementation par voie de circulaires ministérielles, imposant de nouvelles formalités administratives pour l’immatriculation des véhicules automobiles importés en parallèle depuis d’autres États membres. Ces exigences, qui concernaient tant les véhicules neufs que ceux déjà immatriculés, incluaient la production de documents supplémentaires, tels qu’une fiche technique détaillée, et allongeaient les délais pour l’accomplissement des formalités.
La Commission des Communautés européennes a engagé une procédure en manquement au titre de l’article 169 du traité, estimant que ces nouvelles contraintes constituaient des mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives à l’importation. Postérieurement à l’avis motivé de la Commission, mais avant que la Cour ne statue, l’État membre mis en cause a abrogé les circulaires litigieuses, remettant en vigueur la réglementation antérieure, moins contraignante. L’État soutenait en conséquence que le recours était devenu sans objet. Subsidiairement, il faisait valoir que les mesures étaient justifiées par des raisons d’ordre public, à savoir la lutte contre le trafic de véhicules volés.
Il revenait donc à la Cour de justice de se prononcer sur deux questions distinctes. D’une part, il convenait de déterminer si la cessation du manquement reproché postérieurement au délai fixé dans l’avis motivé privait d’objet le recours intenté par la Commission. D’autre part, il s’agissait de savoir si des exigences administratives supplémentaires pour l’immatriculation de véhicules importés constituaient une mesure d’effet équivalent prohibée par l’article 30 du traité et, le cas échéant, si elles pouvaient être justifiées par des raisons d’ordre public.
La Cour répond par l’affirmative à la première branche de l’alternative et par la négative à la seconde. Elle juge que la poursuite de l’action conserve un intérêt même lorsque le manquement a cessé, notamment afin d’« établir la base d’une responsabilité qu’un État membre peut encourir à l’égard de ceux qui tirent des droits dudit manquement ». Sur le fond, elle constate que les formalités introduites constituent bien des mesures d’effet équivalent et que la justification tirée de l’ordre public ne peut être retenue, les mesures n’étant pas nécessaires à l’objectif poursuivi. La solution retenue par la Cour, claire sur les deux points soulevés, mérite une analyse distincte. Il convient d’examiner d’abord la question de la recevabilité du recours (I), avant d’aborder la qualification de la mesure au regard du principe de libre circulation (II).
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I. La recevabilité maintenue du recours en manquement en dépit de l’abrogation de la mesure litigieuse
A. Le rejet de l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’État membre
L’État membre défendeur soulevait une exception préliminaire, arguant que l’abrogation des circulaires litigieuses rendait le recours de la Commission sans objet. Selon cette perspective, la procédure en manquement ayant pour finalité de mettre un terme à une violation du droit communautaire, la disparition de cette violation en cours d’instance priverait la Cour de la nécessité de statuer. Une telle approche, si elle était admise, permettrait à un État de se soustraire à une condamnation en manquement par une régularisation tardive, tout en ayant maintenu une situation illégale pendant une période significative.
La Cour écarte cependant cette exception avec fermeté, confirmant une jurisprudence établie en la matière. Elle rappelle que l’objet d’un recours en manquement est déterminé par l’avis motivé de la Commission et que la situation doit être appréciée à la date d’expiration du délai imparti à l’État membre pour se conformer. Le fait que la législation nationale ait été modifiée après cette date est sans incidence sur la recevabilité de l’action. Cette position rigoureuse garantit l’effectivité de la procédure de contrôle menée par la Commission et empêche les États membres d’échapper à leurs responsabilités par des manœuvres dilatoires.
B. La confirmation de l’intérêt à agir de la Commission pour la constatation d’un manquement passé
Au-delà du simple rejet de l’exception, la Cour prend soin de justifier l’intérêt qui subsiste à la poursuite de l’action. Cet intérêt n’est pas uniquement théorique ; il poursuit un objectif pratique fondamental pour la protection des droits des particuliers. La Cour énonce en effet que l’intérêt à agir « peut, notamment, consister à établir la base d’une responsabilité qu’un État membre peut encourir à l’égard de ceux qui tirent des droits dudit manquement ». Cette formule consacre la fonction de la procédure en manquement comme un instrument au service de l’ordre juridique communautaire dans son ensemble.
La constatation du manquement par la Cour, même si celui-ci a pris fin, a une portée juridique essentielle. Elle facilite l’action des particuliers, notamment les importateurs parallèles ayant subi un préjudice du fait de la réglementation illégale, qui souhaiteraient engager la responsabilité de l’État devant les juridictions nationales. L’arrêt de la Cour constitue une reconnaissance officielle de l’illicéité du comportement de l’État, allégeant ainsi la charge de la preuve pour les justiciables. Le maintien de l’action assure donc que la violation passée du traité ne reste pas sans conséquence potentielle pour les opérateurs économiques lésés.
Une fois la recevabilité du recours admise, la Cour a pu examiner au fond le manquement reproché à l’État membre.
II. La caractérisation d’une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises
A. L’identification d’une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative
Sur le fond, la Cour examine la nature des formalités imposées par les circulaires nationales. La réglementation contestée ajoutait des exigences pour l’immatriculation des véhicules importés, comme la production d’une fiche technique en plus du certificat d’origine pour les véhicules neufs, ou d’un document unique et légalisé pour les véhicules d’occasion, tout en allongeant les délais d’instruction. La Cour constate que ces modifications successives « ont rendu plus compliquée, plus longue et plus coûteuse l’immatriculation des véhicules importés ».
Cette appréciation factuelle conduit logiquement la Cour à qualifier les mesures de « mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives interdites par l’article 30 du traité ». En rendant les importations parallèles plus onéreuses et difficiles que les acquisitions auprès des circuits de distribution officiels, la réglementation nationale avait pour effet de cloisonner le marché et de freiner les échanges intracommunautaires. Cette analyse s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence constante qui interprète très largement la notion de mesure d’effet équivalent comme toute réglementation susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre États membres.
B. L’absence de justification au regard des exigences de l’ordre public
L’État membre tentait de justifier ces entraves en invoquant l’article 36 du traité, qui autorise des restrictions à l’importation pour des raisons, notamment, d’ordre public. L’objectif avancé était celui de la lutte contre l’immatriculation de véhicules volés. Si un tel objectif est en soi légitime, les mesures prises pour l’atteindre doivent respecter le principe de proportionnalité. Elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but visé.
La Cour applique ce test de proportionnalité de manière stricte. Elle estime que « la multiplication des exigences posées […] ne puisse être regardée comme nécessaire à la détection et à la répression des trafics de véhicules volés ». Elle relève que les renseignements demandés faisaient double emploi avec ceux déjà fournis par les autorités de l’État d’exportation et que des alternatives existaient. La Cour suggère que « des mesures moins contraignantes, tel, par exemple, un contrôle approprié du numéro de chassis, suffiraient pour atteindre l’objectif poursuivi ». En rejetant la justification avancée, la Cour rappelle que les dérogations au principe fondamental de la libre circulation des marchandises sont d’interprétation stricte et ne sauraient couvrir des mesures administratives disproportionnées, même lorsqu’elles poursuivent un but légitime.