Dans un arrêt du 11 juin 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à clarifier la portée d’une franchise fiscale applicable aux voyageurs au sein de la Communauté. En l’espèce, une réglementation nationale limitait à dix litres la quantité de tout combustible pouvant être importée en franchise de taxes dans un réservoir portatif. Saisie d’un recours en manquement, la Cour devait déterminer si cette restriction, appliquée indistinctement à tous les combustibles, était conforme au droit communautaire. La procédure a vu s’opposer la Commission, qui soutenait une interprétation stricte de la limitation, et l’État membre défendeur, qui revendiquait une acception large du terme litigieux. Le problème de droit soulevé portait donc sur l’interprétation d’une disposition d’une directive dont les versions linguistiques divergeaient, certaines visant le « carburant » et d’autres le « combustible ». La question était de savoir si la dérogation à la franchise fiscale devait s’entendre de manière restrictive, ne visant que le carburant pour moteur, ou de manière extensive, englobant tous les types de combustibles. La Cour a tranché en faveur d’une interprétation stricte, jugeant que la limitation ne concernait que les carburants. Elle a considéré que les autres combustibles relevaient de la notion de bagages personnels et bénéficiaient ainsi de la franchise générale.
Cette décision illustre une méthode d’interprétation classique du droit communautaire (I), dont l’application en l’espèce aboutit à renforcer les libertés de circulation au sein du marché intérieur (II).
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I. La résolution d’une divergence textuelle par une interprétation téléologique
La Cour, confrontée à une ambiguïté née des différentes versions linguistiques de la directive (A), a dépassé cette difficulté en recourant aux principes fondamentaux du traité pour déterminer le sens de la disposition (B).
A. La constatation d’une ambiguïté terminologique au sein du droit communautaire
Le litige prenait sa source dans la divergence des termes employés par les différentes versions linguistiques de la directive 69/169/CEE. L’État membre mis en cause fondait sa défense sur sa propre version linguistique, qui utilisait un terme générique pouvant se traduire par « combustible ». Il en déduisait que la limitation de dix litres en franchise s’appliquait à toute substance de cette nature. D’autres versions, notamment française, allemande ou anglaise, employaient des termes plus spécifiques, équivalents à « carburant ». La Cour a explicitement reconnu cette divergence dans son arrêt, relevant que « dans plusieurs versions linguistiques de la disposition précitée, le terme utilisé vise les carburants, alors que d’autres versions font recours à la notion plus générique de combustible ». Cette situation, fréquente en droit de l’Union, oblige le juge à ne pas s’arrêter à une lecture littérale et isolée d’une seule version, mais à rechercher une interprétation uniforme. L’argument purement textuel de l’État défendeur ne pouvait donc suffire à emporter la conviction de la Cour, qui se devait de trouver une solution cohérente pour l’ensemble de l’ordre juridique communautaire.
B. Le recours aux principes fondamentaux en l’absence de finalité spécifique
Pour résoudre cette ambiguïté, la Cour a recherché la finalité de la disposition. Elle a d’abord écarté l’objectif de sécurité routière avancé par la Commission, jugeant cet argument peu convaincant au regard de la nature de certains carburants et des variations de quantités proposées initialement. Ne parvenant pas à identifier un objectif spécifique et univoque derrière cette limitation, la Cour s’est tournée vers les buts généraux de la directive elle-même. Elle a rappelé que de telles mesures visent à promouvoir l’ouverture des marchés et la réalisation du marché intérieur. Par conséquent, toute exception à une liberté fondamentale, comme une franchise fiscale, doit être interprétée de manière stricte. La Cour a énoncé à ce titre que « en l’absence de tout élément permettant de déterminer la finalité spécifique de la disposition en cause, il convient de relever que les mesures prévues par la directive constituent (…) un nouveau pas en direction de l’ouverture réciproque des marchés (…) et que, dès lors, (…) la directive doit, en cas de doute, être interprétée dans le sens le plus favorable à cette liberté ». C’est ce principe directeur qui a conduit la Cour à retenir l’acception la plus étroite du terme, limitant ainsi la restriction aux seuls carburants.
Cette interprétation restrictive de l’exception a pour corollaire une confirmation de la portée générale de la franchise, ce qui profite directement à la libre circulation des marchandises.
II. La portée de la solution au profit du marché intérieur
En précisant le champ de l’exception, la Cour a par la même occasion consolidé la règle générale en affirmant une définition large de la notion de bagages personnels (A), ce qui aboutit à la consécration d’une franchise étendue pour les combustibles autres que les carburants (B).
A. L’affirmation d’une conception large de la notion de bagages personnels
L’État membre soutenait, à titre subsidiaire, que si seuls les carburants étaient visés par la limitation de dix litres, les autres combustibles devaient être totalement exclus de la franchise, n’ayant aucun lien avec le voyage. La Cour a rejeté cette argumentation en se fondant sur la définition même des bagages personnels donnée par la directive. Elle a jugé que « la notion de bagages personnels au sens de l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive (…) est une notion objective, plus large que l’acception courante de ce terme ». Cette notion englobe tout ce que le voyageur peut présenter aux services douaniers à son arrivée. L’exclusion des réservoirs portatifs de carburant de cette catégorie constitue une exception. Conformément à un principe général du droit, les exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation stricte. Par conséquent, cette exclusion ne pouvait être étendue par analogie à d’autres types de produits, même s’ils sont contenus dans des réservoirs similaires.
B. La consécration d’une franchise étendue pour les combustibles non-carburants
La conclusion logique du raisonnement de la Cour est que les combustibles qui ne sont pas des carburants pour moteur à explosion relèvent du régime général des franchises. En refusant d’étendre la restriction de dix litres à ces produits, la Cour confirme qu’ils peuvent être importés en franchise de taxes dans les limites de valeur applicables aux bagages personnels des voyageurs. La décision a donc une portée significative, car elle empêche les États membres de restreindre indûment la libre circulation de marchandises sous couvert d’une ambiguïté textuelle dans une directive. En jugeant que « les combustibles autres que le carburant, que le voyageur est en mesure de présenter au service des douanes, relèvent de la notion de « bagages personnels » », la Cour ne se contente pas de sanctionner un manquement ponctuel ; elle adresse un signal clair sur la manière dont les franchises, éléments essentiels à la perception d’un marché intérieur par les citoyens, doivent être mises en œuvre. Cet arrêt renforce ainsi la primauté d’une interprétation favorisant les libertés garanties par le traité sur les lectures restrictives motivées par des considérations nationales.