Arrêt de la Cour du 18 décembre 1997. – Inter-Environnement Wallonie ASBL contre Région wallonne. – Demande de décision préjudicielle: Conseil d’Etat – Belgique. – Directive 91/156/CEE – Délai de transposition – Effets – Notion de déchet. – Affaire C-129/96.

Par un arrêt en date du 18 décembre 1997, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie sur renvoi préjudiciel par le Conseil d’État de Belgique, a précisé les contours de la notion de déchet ainsi que les obligations des États membres durant le délai de transposition d’une directive. En l’espèce, une association de protection de l’environnement avait formé un recours en annulation contre un arrêté d’une autorité régionale. Cet arrêté exemptait de l’obligation d’autorisation les installations de traitement de déchets dangereux dès lors qu’elles étaient « intégrées dans un processus de production industrielle ».

La procédure nationale a conduit la juridiction belge à interroger la Cour sur la compatibilité d’une telle exemption avec le droit communautaire. L’association requérante soutenait que cette disposition violait les directives relatives aux déchets, qui n’autorisent des dérogations à l’obligation d’autorisation que sous des conditions strictes. L’autorité régionale, en adoptant cet arrêté avant l’expiration du délai de transposition de la directive modifiant le cadre juridique, avait, selon l’association, méconnu ses obligations. Se posait alors une double question de droit. D’une part, il s’agissait de déterminer si une substance intégrée dans un cycle de production industrielle pouvait encore être qualifiée de déchet. D’autre part, il était nécessaire de clarifier l’étendue des obligations d’un État membre pendant la période courant entre l’entrée en vigueur d’une directive et la date butoir fixée pour sa transposition.

La Cour de justice répond que le simple fait qu’une substance soit intégrée dans un processus de production ne l’exclut pas de la notion de déchet. Elle juge également que les États membres doivent, pendant le délai de transposition, « s’abstenir de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit par [la] directive ».

Cet arrêt précise ainsi le champ d’application matériel de la législation sur les déchets (I) avant de consacrer une obligation de non-agissement à la charge des États membres, garantissant l’effet utile des directives (II).

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I. La consolidation d’une conception extensive de la notion de déchet

La Cour de justice adopte une définition large du déchet, indifférente à sa réintégration dans un processus économique (A), tout en laissant au juge national le soin d’opérer une distinction délicate avec les produits industriels classiques (B).

A. L’indifférence du critère de réutilisation économique

La Cour réaffirme que la qualification de déchet repose sur la notion de « se défaire », conformément à l’article 1er, sous a), de la directive 75/442. Elle rappelle que le champ d’application de cette notion « dépend de la signification du terme ‘se défaire’ ». Ce terme, selon la Cour, englobe tant l’élimination que la valorisation d’une substance. Ainsi, une matière dont un détenteur se défait, même en vue de sa réutilisation par un tiers dans un autre processus, ne perd pas sa nature de déchet. Le fait qu’un résidu de production puisse être valorisé, et donc posséder une valeur économique positive, est sans incidence sur sa qualification initiale.

Le raisonnement des juges s’appuie sur la finalité protectrice de la directive, qui vise à encadrer l’ensemble des opérations de gestion des substances dont les producteurs ne font plus usage dans leur cycle de production primaire. La Cour souligne que les annexes de la directive, énumérant les catégories de déchets et les opérations de valorisation, « montrent que la notion de déchet n’exclut en principe aucun type de résidus, de sous-produits industriels ou d’autres substances résultant de processus de production ». Par cette approche fonctionnelle, la Cour privilégie une protection environnementale maximale en soumettant un large éventail de matières à un régime d’autorisation ou de contrôle.

B. La persistance d’une distinction subtile entre valorisation et processus de production

Si la solution étend le champ de la réglementation, elle n’efface pas toute frontière entre la valorisation d’un déchet et un traitement industriel ordinaire. La Cour prend soin de préciser que sa décision « ne porte pas atteinte à la distinction qu’il convient d’opérer […] entre la valorisation de déchets au sens de la directive […] et le traitement industriel normal de produits qui ne sont pas des déchets ». Cette mise en garde, bien que fondamentale, ne fournit pas de critères clairs pour opérer cette différenciation. La Cour renvoie implicitement cette tâche d’appréciation aux juridictions nationales, qui devront examiner au cas par cas si un processus constitue une véritable opération de valorisation de déchets ou une simple étape dans la fabrication d’un produit.

La portée de cette solution réside dans la confirmation d’une jurisprudence extensive, tout en reconnaissant la complexité de son application pratique. En n’excluant pas par principe les substances réintégrées dans un cycle industriel, la Cour empêche les opérateurs de se soustraire aisément à la législation environnementale. Toutefois, elle crée une zone d’incertitude juridique qui impose une analyse factuelle approfondie pour chaque situation litigieuse, plaçant le juge national en première ligne pour tracer la ligne de partage entre un déchet valorisé et une matière première secondaire.

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II. La consécration d’une obligation de standstill pendant le délai de transposition

La Cour déduit des traités une obligation pour les États de ne pas entraver la réalisation des objectifs d’une directive (A), dont le respect doit être apprécié concrètement par les juridictions nationales (B).

A. L’affirmation d’une obligation préventive de non-compromission

L’apport principal de l’arrêt réside dans l’interprétation des obligations des États membres pendant le délai de transposition. La Cour énonce clairement que, durant cette période, ces derniers « doivent s’abstenir de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement le résultat prescrit par cette directive ». Cette obligation, souvent qualifiée de « standstill », ne contraint pas les États à une transposition anticipée, mais leur interdit de prendre des mesures qui iraient à l’encontre des objectifs fixés.

Ce principe est fondé sur une lecture combinée de l’article 5 du traité, qui impose un devoir de coopération loyale, et de l’article 189, qui établit le caractère contraignant des directives quant au résultat à atteindre. La Cour estime que l’effet utile d’une directive serait vidé de sa substance si un État membre pouvait, en toute impunité, légiférer dans un sens contraire à celle-ci juste avant la date butoir de transposition. L’obligation naît dès la notification de la directive, car c’est à cet instant qu’elle produit des effets juridiques à l’égard de son destinataire. Cette solution renforce de manière significative l’autorité du droit communautaire en amont de son intégration formelle en droit interne.

B. L’appréciation concrète des effets de la mesure nationale

La Cour ne pose pas une interdiction absolue, mais invite à une analyse pragmatique de la mesure nationale litigieuse. Elle confie à la juridiction de renvoi la mission d’apprécier si les dispositions nationales sont effectivement « de nature à compromettre sérieusement » le résultat de la directive. Pour guider cette appréciation, elle fournit une série de critères. Le juge national doit notamment « examiner si les dispositions en cause se présentent comme une transposition complète de la directive ainsi que les effets concrets de l’application de ces dispositions non conformes à la directive et de leur durée dans le temps ».

Cette approche au cas par cas confère une certaine souplesse à l’obligation de standstill. Une mesure nationale présentée comme une transposition définitive mais qui serait contraire à la directive ferait peser une forte présomption de violation de cette obligation. En revanche, des dispositions adoptées à titre provisoire ou dans le cadre d’une transposition par étapes pourraient être jugées compatibles si elles ne compromettent pas l’atteinte du résultat final dans les délais. La valeur de cette jurisprudence est d’instaurer un contrôle de proportionnalité, équilibrant la marge de manœuvre des États et la nécessité de garantir la primauté et l’efficacité du droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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