Arrêt de la Cour du 18 juin 2002. – Koninklijke Philips Electronics NV contre Remington Consumer Products Ltd. – Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) – Royaume-Uni. – Rapprochement des législations – Marques – Directive 89/104/CEE – Articles 3, paragraphes 1 et 3, 5, paragraphe 1, et 6, paragraphe 1, sous b) – Signes susceptibles de constituer une marque – Signes constitués exclusivement par la forme du produit. – Affaire C-299/99.

Par un arrêt du 18 juin 2002, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’enregistrement d’un signe constitué par la forme d’un produit en tant que marque. En l’espèce, une société avait commercialisé à partir de 1966 un modèle de rasoir électrique reconnaissable à sa tête composée de trois disques rotatifs disposés en triangle. En 1985, elle a obtenu l’enregistrement de la représentation graphique de cette tête de rasoir en tant que marque au Royaume-Uni, sur la base du caractère distinctif acquis par l’usage. Une société concurrente ayant commencé à commercialiser en 1995 un rasoir présentant une configuration similaire, la titulaire de la marque a engagé une action en contrefaçon. En réponse, la société concurrente a formé une demande reconventionnelle en annulation de la marque. La High Court of Justice (England & Wales) a accueilli cette demande, jugeant le signe impropre à distinguer le produit et dépourvu de caractère distinctif, car il consistait exclusivement en une forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique. Saisie en appel, la Court of Appeal (England & Wales) a sursis à statuer pour interroger la Cour de justice à titre préjudiciel sur l’interprétation de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988. Les questions portaient essentiellement sur la possibilité d’exclure de l’enregistrement une marque ayant acquis un caractère distinctif, sur les critères d’appréciation de ce caractère pour une forme de produit, sur les conditions de son acquisition par l’usage en situation de monopole et sur la portée de l’exclusion relative à la forme technique. La Cour de justice a répondu qu’un signe ayant acquis un caractère distinctif ne pouvait être refusé sur le fondement de son incapacité à constituer une marque, que la distinctivité n’exigeait aucune addition arbitraire et que l’acquisition par l’usage était possible même pour un opérateur en situation de monopole sous de strictes conditions probatoires. Surtout, elle a jugé qu’un signe constitué exclusivement par la forme d’un produit est exclu de l’enregistrement si les caractéristiques fonctionnelles essentielles de cette forme sont attribuables uniquement au résultat technique, sans qu’il soit pertinent de démontrer l’existence d’autres formes permettant d’obtenir le même résultat.

L’analyse de la Cour clarifie ainsi les conditions d’accès de la forme d’un produit à la protection par le droit des marques (I), tout en réaffirmant fermement les limites imposées à la protection des formes dictées par des considérations techniques (II).

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I. La clarification des conditions de protection d’une forme de produit en tant que marque

La Cour de justice consacre une approche souple de l’appréciation du caractère distinctif d’une marque de forme, que ce soit au regard de sa nature intrinsèque (A) ou de son acquisition par l’usage (B).

A. L’affirmation d’un critère de distinctivité unifié

La Cour rejette l’idée qu’il existerait une catégorie de signes qui, bien qu’ayant acquis un caractère distinctif, seraient par nature impropres à la fonction de marque. Elle établit que l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive, qui exclut les « signes qui ne peuvent constituer une marque », vise les signes ne répondant pas aux conditions générales de l’article 2, à savoir la capacité de représentation graphique et l’aptitude à distinguer les produits d’une entreprise. Dès lors, si un signe a acquis un caractère distinctif conformément à l’article 3, paragraphe 3, il ne peut être déclaré inapte à constituer une marque. La Cour énonce clairement qu’« il n’existe pas de catégorie de marques dont l’enregistrement n’est pas exclu par l’article 3, paragraphes 1, sous b) à d), et 3, de la directive et dont l’enregistrement est, néanmoins, exclu par l’article 3, paragraphe 1, sous a), de celle-ci ». Cette position unifie la notion de caractère distinctif en refusant de créer une incapacité de principe pour certains types de signes.

Par conséquent, la Cour écarte la nécessité d’un élément additionnel pour qu’une forme de produit soit distinctive. Elle précise que « pour être propre à distinguer un produit aux fins de l’article 2 de la directive 89/104, la forme du produit en considération duquel le signe est enregistré n’exige aucune addition arbitraire, telle qu’une décoration sans but fonctionnel ». La seule exigence demeure l’aptitude de la forme à remplir sa fonction essentielle, qui est de garantir au consommateur l’origine du produit. Les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles sont donc alignés sur ceux des autres catégories de marques, sans condition supplémentaire liée à la présence d’un élément non fonctionnel.

B. La reconnaissance pragmatique de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage

La Cour admet que la situation de monopole d’un opérateur sur un marché ne fait pas obstacle à ce que la forme de son produit acquière un caractère distinctif par l’usage. L’usage prolongé et exclusif d’une forme peut amener le public à associer celle-ci à une entreprise déterminée. La Cour valide ainsi la possibilité pour un tel signe de devenir une marque, déclarant que « l’usage fréquent d’un signe consistant dans la forme de ces produits peut suffire à conférer à ce signe un caractère distinctif aux fins de l’article 3, paragraphe 3, de la directive ». Cette solution reconnaît la réalité économique où l’innovation peut conduire à une position dominante temporaire.

Toutefois, la Cour encadre cette possibilité de conditions probatoires strictes afin d’éviter que la reconnaissance du caractère distinctif ne résulte uniquement de l’absence de concurrence. Il appartient au juge national de vérifier que l’identification du produit par le public est bien « effectuée grâce à l’usage de la marque en tant que marque » et non simplement en raison de la position de l’opérateur sur le marché. L’appréciation doit se fonder sur des « données concrètes et fiables » et tenir compte de la « perception présumée d’un consommateur moyen ». La Cour exige donc une preuve que la forme est perçue comme un indicateur d’origine commerciale, indépendamment du monopole de fait.

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II. La réaffirmation des exclusions fonctionnelles à la protection par la marque

Tout en assouplissant l’approche du caractère distinctif, la Cour maintient une interprétation stricte des motifs de refus liés à la fonction technique de la forme (A), préservant ainsi l’équilibre entre le droit des marques et la libre concurrence (B).

A. L’interprétation stricte de l’exclusion de la forme technique

La Cour de justice offre une interprétation particulièrement nette du motif de refus prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret, de la directive. Elle juge qu’un signe est refusé à l’enregistrement s’il est « démontré que les caractéristiques fonctionnelles essentielles de cette forme sont attribuables uniquement au résultat technique ». Cette lecture a pour objectif d’empêcher que le droit des marques ne soit détourné pour conférer un monopole sur des solutions techniques, domaine qui relève de la protection limitée dans le temps du droit des brevets. Le droit de marque ne doit pas devenir un instrument permettant de pérenniser des droits exclusifs sur des fonctionnalités.

De manière décisive, la Cour précise que « la démonstration de l’existence d’autres formes permettant d’obtenir le même résultat technique n’est pas de nature à écarter le motif de refus ou de nullité d’enregistrement ». Cette clarification est fondamentale car elle clôt le débat sur le « test des alternatives ». Peu importe que des concurrents puissent concevoir d’autres formes pour atteindre une fonction identique ; si la forme déposée est elle-même dictée par sa fonction, elle ne peut être monopolisée par le biais du droit des marques. L’intérêt général exige que les caractéristiques utilitaires d’un produit restent librement accessibles à tous les opérateurs économiques.

B. La préservation de l’équilibre entre droit des marques et libre concurrence

À travers cette décision, la Cour consolide la fonction essentielle de la marque comme garantie d’origine. En refusant d’imposer des exigences de distinctivité supplémentaires pour les formes de produits, elle confirme que tout signe capable de remplir cette fonction peut, en principe, être protégé. Elle adopte une vision pragmatique qui tient compte des réalités du marché, notamment l’acquisition d’une notoriété par un usage intensif, même en situation de monopole. Cette approche favorise les entreprises qui ont investi pour que le public identifie leurs produits par leur apparence.

Cependant, cet arrêt pose des gardes-fous robustes pour maintenir l’équilibre du système. La rigueur dans l’administration de la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage et, surtout, l’interprétation absolue de l’exclusion fonctionnelle, visent à empêcher que la protection de la marque ne crée des barrières injustifiées à l’entrée sur un marché. En réservant les solutions techniques au domaine public une fois les brevets expirés, la Cour assure que le droit des marques ne vienne pas entraver la concurrence sur les aspects utilitaires des produits, conformément à l’intérêt général.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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