Arrêt de la Cour du 18 mars 1980. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Teneur maximale en soufre des combustibles liquides. – Affaire 92/79.

Dans un arrêt rendu en 1979, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur les obligations incombant à un État membre dans le cadre de la transposition d’une directive. En l’espèce, une directive du Conseil du 24 novembre 1975, relative au rapprochement des législations concernant la teneur en soufre de certains combustibles liquides, imposait aux États membres de mettre en vigueur les mesures nécessaires à sa conformité dans un délai expirant le 26 août 1976. Un État membre n’ayant pas respecté cette échéance, la Commission a engagé un recours en manquement sur le fondement de l’article 169 du traité CEE. Pour sa défense, l’État membre soutenait que sa législation nationale assurait déjà en grande partie les objectifs du texte, que la directive s’apparentait en réalité à une convention internationale, que sa base légale était discutable et que des difficultés politiques internes avaient retardé sa complète transposition. La question de droit posée à la Cour portait donc sur le point de savoir si un État membre peut se prévaloir d’une exécution partielle, de la nature prétendument conventionnelle de l’acte, d’une contestation de sa base juridique ou de circonstances internes pour justifier un défaut de transposition d’une directive dans les délais impartis. La Cour de justice rejette l’ensemble de ces arguments en constatant le manquement de l’État membre, affirmant ainsi le caractère absolu de l’obligation de transposition complète et ponctuelle des directives.

L’arrêt rappelle avec fermeté l’étendue des obligations de l’État membre quant à la transposition des directives (I), tout en écartant les arguments visant à remettre en cause la légitimité même de l’acte communautaire en cause (II).

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I. L’affirmation d’une obligation de transposition intégrale et inconditionnelle

La Cour souligne que l’obligation de transposition qui pèse sur les États membres ne saurait souffrir d’une exécution incomplète (A) et ne peut être excusée par des difficultés relevant de l’ordre interne (B).

A. Le rejet de l’excuse de l’exécution partielle

L’État membre défendeur faisait valoir que sa législation nationale assurait déjà, « dans une large mesure, la réalisation des objectifs de la directive ». Cet argument de la quasi-conformité est toutefois balayé par la Cour, qui rappelle un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire. Elle juge en effet que « les etats membres ont L ‘ obligation D ‘ assurer pleinement , et de maniere precise , L ‘ application des dispositions de toute directive ». Le manquement subsiste donc tant qu’une conformité totale n’est pas atteinte. En agissant ainsi, la Cour confère toute sa portée à l’article 189 du traité CEE, qui dispose que la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre. Ce résultat n’est pas un objectif général susceptible d’être approché, mais un ensemble d’obligations précises qui doivent être intégralement retranscrites dans le droit national.

Cette solution est essentielle à la garantie de l’effet utile du droit communautaire et à l’uniformité de son application. Admettre qu’une transposition partielle puisse suffire à éteindre l’obligation de l’État créerait une insécurité juridique considérable et ouvrirait la voie à des applications différenciées d’un même texte selon les États membres, ce qui est contraire à l’essence même du projet communautaire. La Cour impose donc une obligation de résultat stricte, où seule une application pleine et entière est libératoire.

B. L’indifférence des difficultés d’ordre interne

L’État membre tentait également de justifier son retard en invoquant les « vicissitudes qui ont caracterise la breve existence de la septieme legislature du parlement italien , et , surtout , sa fin anticipee ». Cet argument, tiré de l’instabilité politique interne, est écarté de manière péremptoire par la Cour. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « un etat membre ne saurait exciper de dispositions , pratiques ou situations de son ordre interne pour justifier le non-respect des obligations et delais resultant des directives communautaires ». Cette formule, devenue classique, consacre l’autonomie de l’ordre juridique communautaire par rapport aux ordres juridiques nationaux.

Le droit communautaire s’adresse à l’État membre en tant qu’entité unique et souveraine, sans considération pour sa répartition interne des pouvoirs ou ses aléas politiques. La continuité de l’État et de ses obligations prévaut sur les contingences institutionnelles. Ce principe est une clé de voûte de l’édifice communautaire, car il empêche que les obligations issues des traités ne soient subordonnées au bon vouloir ou à la stabilité des appareils étatiques nationaux, garantissant ainsi la primauté et l’applicabilité directe du droit de l’Union.

Après avoir ainsi réaffirmé la rigueur de l’obligation de transposition, la Cour s’est attachée à répondre aux contestations de l’État membre qui visaient le fondement même de la directive.

II. La confirmation de la nature et de la portée du droit communautaire dérivé

La Cour a dû répondre à deux arguments plus fondamentaux qui contestaient la nature de l’acte (A) ainsi que la compétence de la Communauté pour l’adopter (B).

A. La qualification de l’acte : une directive et non un accord international

De manière audacieuse, le gouvernement défendeur avançait que l’acte en cause, bien que formellement une directive, relevait en réalité d’une « convention etablie sous la forme D ‘ une directive ». Cette requalification visait manifestement à soustraire l’acte au régime contraignant du droit dérivé pour le faire relever du droit international classique, moins intégré. La Cour rejette cette thèse en se référant à un précédent et en affirmant qu’« on ne saurait qualifier D ‘ ‘ accord international ‘ un acte qui est caracterise comme ‘ decision ‘ communautaire tant par son objet que par le cadre institutionnel a L ‘ interieur duquel il a ete elabore ». Elle précise que ces mêmes considérations s’appliquent pour une directive.

Le raisonnement de la Cour est formaliste et institutionnel : un acte adopté par les institutions communautaires, selon les procédures prévues par les traités et sous l’une des formes qu’ils prévoient, ne peut être qualifié autrement. La nature juridique de l’acte est déterminée par son origine et sa procédure d’adoption, non par une appréciation subjective de sa matière. Cette solution est protectrice du système des sources du droit communautaire en empêchant les États membres de contester la nature des obligations qui les lient en fonction de leur contenu.

B. La justification de la base légale par le rapprochement des législations

Enfin, l’État membre mettait en doute la pertinence de l’article 100 du traité CEE comme base légale, la directive poursuivant un objectif de protection de l’environnement. La Cour admet que la directive s’inscrit dans le cadre d’un programme d’action en matière d’environnement, mais elle la rattache principalement au « programme general en vue de L ‘ elimination des entraves techniques aux echanges ». Son raisonnement est pragmatique : les dispositions environnementales peuvent grever financièrement les entreprises, et l’absence de rapprochement des législations nationales en la matière pourrait fausser la concurrence. L’article 100, visant au rapprochement des législations qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun, est donc une base juridique valable.

Cet arrêt illustre une approche fonctionnelle des compétences communautaires. Avant l’introduction d’une base juridique spécifique pour l’environnement dans les traités, la Cour a accepté que des objectifs environnementaux puissent être poursuivis par le biais de l’harmonisation du marché intérieur. Cette interprétation extensive a permis le développement précoce d’une politique environnementale communautaire, justifiée non pour sa valeur intrinsèque mais pour ses effets sur la concurrence et les échanges. La protection de l’environnement devient ainsi une conséquence légitime de la réalisation du marché commun.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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