Arrêt de la Cour du 18 septembre 1986. – Commission des Communautés européennes contre République fédérale d’Allemagne. – Manquement – Réglementation nationale de l’élaboration des v.q.p.r.d.. – Affaire 116/82.

Par un arrêt rendu sur le fondement de l’article 169 du traité CEE, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée des règles encadrant la production de vins de qualité produits dans des régions déterminées. En l’espèce, la Commission des Communautés européennes avait engagé un recours en manquement contre un État membre dont la législation nationale permettait la transformation de raisins en vin de qualité en dehors de la région de récolte, au-delà des limites fixées par le droit communautaire. La législation nationale litigieuse autorisait cette pratique en se fondant sur une interprétation de la notion de « pratique traditionnelle » et ce, même pour des établissements de vinification situés à une distance importante de la région de production. La Commission soutenait que cette pratique contrevenait au règlement n° 1698/70, qui limitait les dérogations au principe de transformation dans la région de récolte aux seuls établissements situés à « proximité immédiate » de celle-ci. L’État membre défendeur contestait la validité de ce règlement de la Commission, arguant que cette dernière avait outrepassé ses compétences, violé le principe de proportionnalité et porté une atteinte injustifiée aux droits fondamentaux des entreprises concernées. Il incombait donc à la Cour de déterminer si la restriction de la vinification à la proximité immédiate de la région de récolte, imposée par la Commission, était conforme au droit communautaire originaire et dérivé. En réponse, la Cour a jugé que la réglementation de la Commission était valide et que, par conséquent, l’État membre avait manqué à ses obligations. La Cour a ainsi consacré la légalité d’une conception restrictive des dérogations au principe de territorialité (I), tout en affirmant la primauté de l’intérêt général communautaire sur les droits économiques individuels (II).

I. La consécration d’une interprétation stricte du principe de territorialité

La Cour a validé l’action de la Commission en adoptant une lecture rigoureuse des textes régissant la production des vins de qualité. Elle a d’abord rejeté une interprétation extensive de la notion de pratiques traditionnelles (A), avant de confirmer que la limitation géographique imposée respectait le principe de proportionnalité (B).

A. Le rejet d’une conception extensive des pratiques traditionnelles

Le gouvernement défendeur soutenait que la notion de « pratiques traditionnelles », mentionnée à l’article 5 du règlement de base n° 817/70, justifiait le maintien de la vinification en dehors de la région de récolte sans limitation de distance. La Cour a fermement écarté cette argumentation en clarifiant la portée de l’exception. Elle juge que « la disposition du paragraphe 1, sous a), alinéa 2, de l’article 5, concernant le v.q.p.r.d. ‘produit selon les pratiques traditionnelles’, n’est qu’une exception à la règle d’utilisation exclusive de certains cépages et ne concerne donc que les cépages et non les régions de la récolte ». Cette interprétation téléologique et systémique replace chaque disposition dans l’économie générale du règlement, dont l’objectif est d’assurer la qualité et l’authenticité du produit. La Cour en déduit que le pouvoir d’encadrer les dérogations relatives au lieu de transformation a été valablement délégué à la Commission, laquelle était donc compétente pour en définir les modalités. L’habilitation conférée à la Commission n’était pas limitée à la mise en place de mesures de contrôle, mais s’étendait à la « concrétisation et à la délimitation du domaine » dans lequel les États membres pouvaient autoriser des exceptions.

B. La validation de la restriction au nom du principe de proportionnalité

À titre subsidiaire, l’État membre arguait que la restriction aux seuls établissements situés à « proximité immédiate » était une mesure disproportionnée. Il affirmait que des contrôles renforcés auraient suffi à prévenir les fraudes. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « le principe de proportionnalité exige… que les mesures imposées par les actes des institutions communautaires soient aptes à réaliser l’objectif visé et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à cet effet ». Appliquant ce critère, elle constate que la mesure litigieuse poursuit un double objectif légitime : assurer la qualité des vins, qui est intrinsèquement liée à leur origine, et limiter les risques de fraude inhérents au transport des matières premières. La limitation de la vinification à la proximité de la région de récolte est jugée apte à atteindre cet objectif. De surcroît, la Cour estime que la Commission n’a pas excédé sa marge d’appréciation en jugeant cette mesure nécessaire, car une libéralisation complète risquerait de « compromettre l’efficacité de la politique de qualité et de créer des confusions chez les consommateurs ». L’efficacité des contrôles serait également amoindrie si leur champ géographique devenait trop étendu.

II. La subordination des droits économiques fondamentaux à l’intérêt général communautaire

Après avoir confirmé la légalité de la règle, la Cour examine son impact sur les entreprises affectées. Elle juge que l’atteinte portée aux droits fondamentaux est une simple restriction justifiée (A) par la poursuite d’un objectif supérieur d’intérêt général (B).

A. La qualification de la mesure en simple restriction à l’exercice d’une profession

L’État membre prétendait que l’interdiction de vinification pour les entreprises éloignées constituait une atteinte grave au droit de propriété et au libre choix de la profession, les condamnant à la fermeture. La Cour nuance fortement cette position en affirmant que « la disposition en cause ne porte pas atteinte à l’existence des entreprises productrices des v.q.p.r.d. ou à la substance du libre choix de la profession ». Elle opère une distinction classique entre une privation de droit et une simple réglementation de son exercice. Selon la Cour, la mesure n’affecte pas directement le droit lui-même, mais impose des restrictions à ses modalités d’exercice. Ces restrictions ont certes des « répercussions sur les possibilités d’exploitation des entreprises », mais elles ne suppriment pas leur liberté fondamentale d’exercer une activité économique. Cette requalification de l’atteinte permet à la Cour d’appliquer un contrôle de proportionnalité moins strict que celui qui serait requis en cas d’expropriation ou d’interdiction pure et simple d’une activité.

B. La justification de la restriction par les objectifs de la politique agricole commune

La Cour conclut son raisonnement en reliant la restriction contestée aux finalités supérieures du droit communautaire. Elle énonce que la disposition litigieuse « s’inscrit dans le contexte général de l’organisation commune du marché et, en particulier, de la politique de qualité du vin ». La mesure vise, par des moyens appropriés, à réaliser les objectifs de l’article 39 du traité, ce qui constitue un « objectif d’intérêt general poursuivi par la Communauté ». Face à cet intérêt général, qui inclut la protection des consommateurs et la valorisation d’une production agricole de qualité, les inconvénients économiques subis par un nombre limité d’opérateurs ne sauraient faire obstacle à l’application de la réglementation. La Cour en conclut que « la restriction établie par la disposition en cause ne comporte aucune limitation indue à l’exercice des droits fondamentaux ». Elle affirme ainsi la primauté de la politique communautaire de qualité sur les intérêts particuliers des entreprises dont le modèle économique s’était développé sur la base de pratiques désormais jugées non conformes aux exigences du marché commun.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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