Par un arrêt du 19 janvier 1999, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la compatibilité d’une législation nationale imposant une expulsion automatique à l’encontre des ressortissants d’autres États membres avec les libertés fondamentales garanties par le traité.
En l’espèce, une ressortissante italienne séjournant en Grèce en qualité de touriste fut reconnue coupable d’acquisition et d’usage de produits stupéfiants pour sa consommation personnelle. En application de la loi nationale, la juridiction de première instance la condamna, outre une peine d’emprisonnement, à une mesure d’expulsion à vie du territoire grec. La condamnée forma un pourvoi en cassation, soutenant que cette sanction automatique était contraire aux dispositions du droit communautaire relatives à la citoyenneté de l’Union et à la libre prestation de services. Saisie du litige, la juridiction suprême grecque a sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice une question préjudicielle.
Il était ainsi demandé si le droit communautaire, notamment les principes de libre circulation et les dispositions spécifiques encadrant les mesures d’ordre public, s’oppose à ce qu’une législation nationale prescrive une expulsion à vie de manière automatique pour un ressortissant de l’Union, du seul fait de sa condamnation pour usage personnel de stupéfiants.
La Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que les articles 48, 52 et 59 du traité ainsi que l’article 3 de la directive 64/221 s’opposent à une réglementation nationale qui impose au juge une telle sanction sans lui permettre d’apprécier le comportement personnel de l’individu ou le danger qu’il représente pour l’ordre public. La décision vient ainsi réaffirmer le caractère strict des conditions encadrant les dérogations à la libre circulation (I), consacrant par là même l’exigence d’une appréciation individualisée de toute mesure restrictive (II).
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I. La réaffirmation du caractère strict des dérogations à la libre circulation
La Cour rappelle d’abord que l’expulsion constitue une entrave à une liberté fondamentale (A) avant de souligner l’interprétation restrictive qui doit prévaloir pour l’exception d’ordre public (B).
A. L’entrave caractérisée à une liberté fondamentale
La Cour constate que la sanction d’expulsion à vie du territoire, appliquée à un ressortissant d’un autre État membre, constitue une restriction manifeste aux libertés fondamentales. Elle prend soin de rappeler que les touristes doivent être considérés comme des destinataires de services, bénéficiant ainsi de la liberté de circulation garantie par l’article 59 du traité. Une mesure d’expulsion perpétuelle représente « la négation même de cette liberté ». Bien que la législation pénale relève en principe de la compétence des États membres, la Cour réaffirme que cette compétence trouve ses limites dans le respect des libertés fondamentales garanties par le droit communautaire.
Cette entrave pourrait néanmoins être justifiée si elle répondait aux conditions posées par le traité. Or, la Cour s’attache à démontrer que les exigences spécifiques à l’exception d’ordre public ne sont pas satisfaites en l’espèce, en raison de l’automaticité de la sanction prévue par la législation nationale.
B. L’interprétation restrictive de l’exception d’ordre public
La Cour admet qu’un État membre puisse considérer l’usage de stupéfiants comme « un danger pour la société de nature à justifier des mesures spéciales à l’encontre des étrangers ». Cependant, elle rappelle que l’exception d’ordre public, prévue notamment à l’article 56 du traité, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. À ce titre, la directive 64/221 impose des limites claires au pouvoir des États membres d’expulser des ressortissants communautaires. Son article 3 dispose que « les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet » et que « la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures ».
En se fondant sur ces dispositions, la Cour conclut que l’existence d’une condamnation pénale ne peut justifier une mesure d’expulsion que si les circonstances de l’infraction révèlent un comportement personnel constituant une menace actuelle pour l’ordre public. C’est donc le refus de toute automaticité qui fonde le raisonnement de la Cour et qui mène logiquement à la censure de la législation en cause.
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II. La consécration de l’appréciation individualisée de la mesure restrictive
La Cour invalide le système national car il repose sur une présomption générale de dangerosité (A), conférant ainsi une portée significative à l’exigence de proportionnalité et d’examen au cas par cas (B).
A. Le rejet d’une sanction automatique fondée sur une présomption de dangerosité
Le cœur de la censure de la Cour réside dans le caractère automatique de l’expulsion. La réglementation nationale ne laisse aucune marge d’appréciation au juge national, hormis pour des raisons familiales impérieuses. Le juge est contraint d’ordonner l’expulsion à vie sans pouvoir évaluer la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou la personnalité de son auteur. En agissant ainsi, la loi établit une présomption irréfragable de dangerosité pour tout ressortissant d’un autre État membre condamné pour une telle infraction.
La Cour constate donc que « l’expulsion à vie du territoire est prononcée de manière automatique à la suite d’une condamnation pénale, sans tenir compte du comportement personnel de l’auteur de l’infraction ni du danger qu’il représente pour l’ordre public ». Un tel mécanisme est directement contraire aux exigences de la directive 64/221, qui impose une analyse concrète et individualisée de la situation de la personne concernée.
B. La portée de l’exigence d’un examen proportionné
En invalidant cette disposition, la Cour rend une décision de principe qui dépasse largement le cas d’espèce. Elle consolide sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Bouchereau* selon lequel une mesure d’ordre public ne peut être justifiée qu’en cas de « menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ». L’arrêt commenté précise que l’automaticité d’une sanction pénale est par nature incapable de satisfaire à cette condition, car elle empêche l’examen de proportionnalité nécessaire entre la mesure restrictive et la menace que l’individu représente effectivement.
La portée de cette décision est donc considérable. Elle impose à l’ensemble des États membres de s’assurer que leur législation, pénale ou administrative, ne prévoit pas de mesures d’éloignement automatiques à l’encontre des citoyens de l’Union. Elle renforce ainsi la protection des libertés fondamentales en garantissant que toute restriction grave au droit de séjour soit subordonnée à un examen judiciaire individualisé, fondé sur le comportement personnel de l’individu et le danger actuel qu’il représente pour la société.