Arrêt de la Cour du 2 août 1993. – Commission des Communautés européennes contre République hellénique. – Manquement d’Etat – Franchises fiscales applicables à l’importation temporaire et définitive de moyens de transport – Directives 83/182/CEE, 83/183/CEE et 73/148/CEE. – Affaire C-9/92.

Dans un arrêt rendu suite à un recours en manquement introduit par la Commission, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la compatibilité de la réglementation d’un État membre avec plusieurs directives visant à l’établissement du marché intérieur. La législation nationale en cause concernait les franchises fiscales applicables à l’importation temporaire et définitive de moyens de transport privés. La Commission soutenait que les mesures de transposition, constituées d’arrêtés ministériels et de circulaires administratives, ainsi que certaines pratiques des autorités douanières, violaient les dispositions des directives communautaires relatives à la libre circulation. L’État membre défendeur contestait ces griefs, arguant notamment que ses dispositions étaient plus libérales que celles des directives ou relevaient de sa compétence résiduelle. Le litige soulevait ainsi la question fondamentale de la marge de manœuvre dont disposent les États membres lors de la transposition de directives d’harmonisation, particulièrement en ce qui concerne la définition de concepts clés et les modalités de preuve exigées des particuliers. La Cour a conclu à un manquement sur la majorité des points soulevés, rappelant le caractère contraignant et uniforme des notions définies par le droit communautaire, tout en rejetant le recours pour une pratique administrative jugée proportionnée. L’analyse de la Cour réaffirme ainsi avec force le principe de primauté et l’exigence d’une transposition correcte des directives pour garantir l’effectivité des libertés de circulation (I), tout en délimitant la compétence des États membres pour organiser les contrôles en l’absence d’une harmonisation complète (II).

I. La nécessaire et stricte adéquation de la législation nationale aux directives d’harmonisation

La Cour censure sévèrement les divergences entre la législation nationale et les directives, qu’il s’agisse de la définition d’une notion juridique fondamentale (A) ou des exigences probatoires imposées aux particuliers (B), afin de préserver l’uniformité du droit communautaire.

A. Le caractère uniforme de la notion de « résidence normale »

La Cour rappelle que le concept de « résidence normale » est la pierre angulaire des régimes d’importation en franchise, car il détermine quel État membre est en droit d’imposer fiscalement un véhicule. En l’espèce, la réglementation nationale définissait la période de référence pour établir cette résidence comme les douze mois précédant l’importation, alors que les directives visaient l’année civile. La Cour juge cette divergence incompatible avec le droit communautaire, énonçant que « la notion de résidence normale est une notion communautaire dont la portée ne peut pas être modifiée par les États membres ». Elle rejette l’argument de l’État membre selon lequel sa définition serait plus libérale, car une telle divergence, quelle qu’en soit la nature, rompt l’application uniforme du droit et peut, selon les cas, se révéler aussi bien favorable que défavorable aux intéressés.

De surcroît, la Cour sanctionne l’ajout par la législation nationale d’une condition non prévue par la directive, à savoir l’exigence d’une résidence normale d’au moins deux ans dans un autre État membre pour bénéficier de la franchise lors d’une importation définitive. En statuant que la directive « ne laisse pas aux États membres le pouvoir de compléter la notion de résidence normale », la Cour confirme qu’une directive définissant de manière exhaustive un concept ne permet aucune addition ou modification unilatérale par les droits nationaux, qui viderait d’une partie de sa substance l’harmonisation recherchée.

B. La prohibition des entraves probatoires injustifiées

La Cour se montre tout aussi rigoureuse s’agissant des moyens de preuve exigibles des particuliers. Les directives prévoyaient que la preuve du lieu de résidence normale pouvait être apportée par tous moyens, la demande de preuves supplémentaires étant limitée aux cas de doutes des autorités. Or, l’État membre n’avait pas formellement transposé ces dispositions dans ses arrêtés ministériels, reléguant les règles de preuve dans une simple circulaire administrative. La Cour réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle une circulaire, n’ayant pas d’effet direct à l’égard des tiers, « ne constitue pas un moyen adéquat pour la transposition de directives qui […] visent à créer des droits pour les particuliers ».

En outre, la Cour condamne l’exigence de présenter un titre de séjour de cinq ans comme unique preuve du transfert de la résidence normale dans l’État membre d’importation. Elle juge qu’une telle exigence crée des « entraves injustifiées à l’octroi de la franchise », car le transfert de résidence peut être établi par d’autres éléments, tel un contrat de travail. La Cour en profite pour rappeler une solution fondamentale du droit de l’Union en matière de libre circulation : le titre de séjour n’est pas constitutif du droit de résider dans un autre État membre, mais a une nature purement déclarative, attestant d’un droit préexistant.

II. La reconnaissance d’une compétence étatique encadrée pour les mesures de contrôle

Si la Cour impose une transposition fidèle des règles harmonisées, elle reconnaît une marge d’appréciation aux États membres dans les domaines non couverts par les directives, comme les modalités de contrôle (A), tout en veillant à ce que cette compétence ne permette pas de contourner les objectifs du régime communautaire (B).

A. La validation d’une pratique de contrôle en l’absence de règle communautaire

La Commission reprochait à l’État membre d’apposer sur les passeports des voyageurs des tampons mentionnant le numéro d’immatriculation de leur véhicule, y voyant une entrave à la libre circulation des personnes. La Cour écarte ce grief en opérant une distinction claire entre le contrôle de la personne et celui du bien. Elle juge que cette pratique ne constitue pas une formalité d’entrée pour la personne, qui ne fait que présenter son passeport, mais une mesure de contrôle de la durée de séjour du véhicule sur le territoire.

La Cour énonce un principe directeur : « Vu l’absence de dispositions communautaires en la matière, les États sont libres d’adopter des mesures telles que les mesures litigieuses ». Cette solution illustre le principe de compétence d’attribution. L’harmonisation opérée par les directives concernait les conditions de fond de l’octroi de la franchise, mais non les modalités pratiques de vérification du respect de ces conditions. La mesure de contrôle, n’étant pas excessive et poursuivant un but légitime, relève donc de la compétence de l’État membre.

B. Le refus d’une restriction temporelle non prévue par le régime harmonisé

La Cour applique cependant un raisonnement inverse concernant le délai de réexportation de dix jours imposé par l’État membre pour un véhicule importé temporairement et redonné en location. L’État membre justifiait cette mesure par la nécessité de prévenir les distorsions de concurrence. La Cour rejette fermement cette argumentation en relevant que la directive « contient un régime complet applicable à la location de certains moyens de transports importés temporairement, qui ne prévoit aucun délai spécifique pour la réexportation ».

En jugeant que le législateur communautaire, s’il avait voulu imposer un tel délai, l’aurait fait lui-même, la Cour rappelle que le silence d’un texte harmonisé sur un point précis ne crée pas nécessairement un vide juridique que les États membres peuvent combler. Lorsque le régime institué est exhaustif et cohérent, toute mesure nationale additionnelle qui en altère l’équilibre est proscrite. Cette solution souligne que la compétence résiduelle des États ne peut s’exercer que dans les interstices laissés volontairement par le législateur de l’Union, et non à l’encontre de l’économie générale d’un système harmonisé.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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