Arrêt de la Cour du 2 août 1993. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Directive 75/439/CEE concernant l’élimination des huiles usagées – Manquement – Non-exécution d’un arrêt de la Cour. – Affaire C-366/89.

Par un arrêt en manquement sur manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les exigences relatives à la transposition des directives européennes en droit interne. En l’espèce, un État membre avait déjà été condamné par un premier arrêt de la Cour en date du 17 décembre 1981 pour ne pas avoir adopté les mesures nécessaires à la mise en conformité avec une directive du 16 juin 1975 concernant l’élimination des huiles usagées. Estimant que les dispositions adoptées ultérieurement par cet État ne suffisaient toujours pas à assurer une exécution correcte de la directive et du premier arrêt, la Commission a introduit un nouveau recours sur le fondement de l’article 171 du traité CEE. L’État membre soutenait notamment, pour sa défense, que certaines obligations imposées par la directive, comme l’examen des installations des entreprises d’élimination ou l’imposition de conditions techniques, découlaient implicitement des règles de bonne gestion administrative et ne nécessitaient donc pas de transcription expresse dans sa législation. Se posait alors la question de savoir si une pratique administrative, supposée conforme aux objectifs d’une directive, peut suffire à considérer que celle-ci a été correctement transposée. La Cour de justice répond par la négative, en jugeant qu’une simple pratique administrative ne saurait dispenser un État de son obligation d’adopter des dispositions normatives créant un cadre juridique suffisamment précis, clair et transparent. La Cour réaffirme ainsi avec force l’impératif d’une transposition formelle et complète (I), consacrant une conception stricte de la sécurité juridique qui emporte des conséquences significatives pour les États membres (II).

I. La réaffirmation de l’exigence d’une transposition formelle et complète

La décision commentée offre une illustration rigoureuse de l’obligation de transposition qui pèse sur les États membres, en rejetant l’idée qu’une simple pratique administrative puisse y satisfaire (A) et en consacrant l’exigence d’un cadre normatif clair et prévisible (B).

A. Le rejet d’une transposition par simple pratique administrative

L’État membre mis en cause arguait que les obligations d’examen préalable des installations et d’imposition de conditions techniques, prévues à l’article 6 de la directive, étaient des applications « des règles d’une gestion correcte qui s’imposent de manière générale à l’administration, même en l’absence d’une disposition législative expresse ». La Cour écarte fermement cette argumentation. Elle juge en effet qu’« on ne saurait considérer qu’une disposition d’une directive qui impose un comportement déterminé aux administrations nationales a été correctement transposée, si l’État membre concerné n’a adopté aucune mesure spécifique pour la mettre en œuvre ». Par cette formule, elle souligne que l’obligation de transposition ne vise pas seulement à atteindre un résultat en fait, mais également à garantir une application effective en droit. La seule conformité factuelle d’une pratique administrative aux objectifs de la directive est donc jugée insuffisante. L’absence de mesures normatives spécifiques pour encadrer l’action de l’administration constitue, en soi, un manquement, indépendamment de la manière dont cette administration se comporte concrètement.

B. L’impératif de clarté et de prévisibilité du cadre normatif

Au-delà du rejet de la pratique administrative comme mode de transposition, la Cour fonde principalement son raisonnement sur le principe de sécurité juridique. Elle énonce de manière solennelle que « l’existence d’une pratique conforme aux objectifs de protection d’une directive ne saurait dispenser un État membre de transposer cette directive dans son ordre juridique interne par des dispositions aptes à créer une situation suffisamment précise, claire et transparente pour permettre aux particuliers de connaître leurs droits et leurs obligations ». Cet attendu de principe souligne que la transposition doit créer un environnement juridique stable et accessible. Les justiciables, qu’il s’agisse des entreprises soumises aux obligations ou des citoyens bénéficiant de la protection offerte par la directive, ne doivent pas avoir à déduire leurs droits et obligations de pratiques administratives par nature évolutives et parfois opaques. La Cour insiste ainsi sur la nécessité pour les États membres de « prévoir un cadre légal précis dans le domaine concerné », garantissant par là même la pleine application des directives et l’uniformité du droit de l’Union.

II. La portée d’une conception stricte de la sécurité juridique

Cette exigence renforcée de sécurité juridique rend inopérants les arguments fondés sur une prétendue effectivité de fait (A) et consacre pour les États membres une obligation de résultat particulièrement rigoureuse en matière de transposition (B).

A. L’inopérance des arguments fondés sur l’effectivité de fait

La position de la Cour a une conséquence logique directe sur les autres griefs examinés. S’agissant de l’article 12 de la directive, qui impose un contrôle périodique des entreprises autorisées, la Cour déduit le manquement de celui constaté à l’article 6. Le raisonnement est implacable : puisque la législation nationale ne soumet pas l’autorisation aux conditions techniques requises par la directive, le contrôle du respect de ces conditions devient par définition impossible. Elle indique que « les entreprises concernées ne sauraient faire l’objet du contrôle prévu à l’article 12 ». De même, concernant l’article 15, qui impose la communication d’informations techniques à la Commission, l’État membre ne pouvait se prévaloir de l’absence d’éléments définitifs à transmettre pour justifier la non-transposition de l’obligation elle-même. La Cour confirme que le manquement est constitué par la seule absence de mesure normative instaurant l’obligation, la mise en œuvre effective de cette dernière étant une question distincte. La logique de la Cour est donc purement formelle et juridique, refusant de s’attarder sur les résultats concrets pour se concentrer sur l’existence d’un cadre légal adéquat.

B. Une obligation de résultat renforcée pour les États membres

La portée de cet arrêt dépasse largement le seul domaine de l’environnement ou de la gestion des huiles usagées. Il constitue un avertissement général adressé à l’ensemble des États membres quant à la qualité de la transposition des directives. En exigeant un « cadre légal précis », la Cour renforce l’obligation de résultat qui leur incombe. Il ne s’agit pas seulement de prendre des mesures, mais de s’assurer que ces mesures sont juridiquement contraignantes, claires et accessibles à tous. Cette jurisprudence consolide le pouvoir de contrôle de la Commission, qui peut ainsi rejeter comme insuffisantes des mesures de transposition qui s’appuieraient sur de simples circulaires, des pratiques non formalisées ou des principes généraux du droit administratif national. En définitive, la Cour fait de la sécurité juridique un critère essentiel de l’appréciation de la correction d’une transposition, garantissant ainsi que les droits et obligations issus du droit de l’Union bénéficient d’une base légale incontestable dans tous les ordres juridiques nationaux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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