Par un arrêt du 2 février 1982, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur un recours en manquement introduit par la Commission à l’encontre d’un État membre. En l’espèce, une directive du 16 juin 1975, relative à la qualité des eaux superficielles destinées à la production d’eau alimentaire, aurait dû être transposée par les États membres avant le 18 juin 1977. Constatant que l’un des États n’avait pas adopté les mesures nationales nécessaires dans le délai imparti, la Commission a engagé une procédure en manquement conformément à l’article 169 du traité CEE. L’État défendeur ne contestait pas le retard dans la mise en œuvre de ses obligations. Il avançait pour sa défense que d’importantes réformes institutionnelles internes, visant à répartir les compétences entre des organes nationaux et régionaux, faisaient obstacle à une transposition en temps utile. La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si un État membre peut se prévaloir de difficultés issues de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect d’une obligation résultant du droit communautaire. La Cour de justice a répondu à cette question par la négative, en réaffirmant une solution de principe déjà bien établie. Elle a ainsi jugé que l’État membre avait manqué à ses obligations, peu important les circonstances invoquées. Cette décision confirme le caractère inconditionnel de l’obligation de transposition (I) et, ce faisant, précise la nature de la responsabilité de l’État dans l’ordre juridique communautaire (II).
I. La confirmation du caractère inconditionnel de l’obligation de transposition
La Cour de justice rappelle avec fermeté que l’obligation de transposer une directive dans les délais prescrits ne saurait être subordonnée à des contingences nationales. Elle rejette ainsi catégoriquement les justifications fondées sur l’ordre juridique interne (A) et souligne l’impératif d’une exécution complète et effective du droit communautaire (B).
A. Le rejet des justifications fondées sur l’ordre juridique national
L’argumentation de l’État défendeur, qui consistait à invoquer des réformes institutionnelles en cours pour expliquer son retard, est jugée inopérante par la Cour. Celle-ci énonce de manière claire et synthétique le principe fondamental selon lequel « un état membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations resultant des directives communautaires ». Cette formule, qui constitue le cœur de la motivation de l’arrêt, n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à assurer l’efficacité et l’application uniforme du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de la Communauté. En refusant de prendre en considération la complexité du processus législatif ou réglementaire interne, y compris lorsqu’il découle d’une réorganisation de l’État, la Cour préserve la primauté et l’effet direct des obligations communautaires. Admettre une telle justification reviendrait à permettre à chaque État membre de moduler l’application du droit communautaire en fonction de son calendrier politique ou de ses difficultés administratives, ce qui anéantirait la notion même d’ordre juridique intégré. La solution garantit ainsi que les droits et obligations nés des traités et des actes qui en découlent s’imposent de manière identique à tous les États membres.
B. L’exigence d’une exécution complète et contraignante
L’arrêt souligne implicitement que l’obligation de transposition découlant de l’article 189 du traité CEE est une obligation de résultat. Les États membres disposent d’une liberté quant à la forme et aux moyens pour atteindre les objectifs fixés par une directive, mais ils sont tenus de parvenir à ce résultat dans le délai prescrit. L’État défendeur a bien tenté de faire valoir que la directive avait « déjà fait l’objet de mesures d’exécution partielle », mais cet argument est rapidement écarté. La Cour relève que les mesures en question n’avaient en réalité pas pour objet la mise en œuvre de la directive concernée. Même si elles l’avaient eu, une transposition partielle ou incomplète ne saurait suffire à considérer l’obligation comme remplie. L’exécution doit être complète et garantir que les objectifs de la directive sont pleinement atteints. En outre, les mesures adoptées doivent être suffisamment contraignantes et revêtir un caractère de certitude juridique, ce qui implique généralement l’édiction de normes législatives ou réglementaires précises. La simple pratique administrative ou une circulaire interne ne sauraient constituer une transposition adéquate. La Cour se montre donc stricte quant à l’effectivité de la transposition, condition essentielle pour que les particuliers puissent se prévaloir des droits que les directives leur confèrent.
II. La portée de la responsabilité de l’État membre en cas de manquement
Au-delà de la question de la transposition, cet arrêt précise les contours de la responsabilité de l’État membre dans le cadre de la procédure en manquement. La Cour consacre une conception unitaire de l’État (A) et confirme le caractère objectif de la constatation du manquement (B).
A. La conception unitaire de l’État en droit communautaire
En refusant de tenir compte de la répartition interne des compétences entre les entités nationales et régionales, la Cour rappelle que, du point de vue du droit communautaire, l’État membre est considéré comme un tout. Peu importe que la compétence pour transposer une directive appartienne au gouvernement central, à une assemblée parlementaire, à une collectivité territoriale ou à une entité fédérée. C’est l’État membre, en tant que sujet de droit international et partie aux traités, qui est le seul débiteur de l’obligation communautaire et le seul responsable de sa violation. Cette approche unitaire est indispensable à la clarté et à la sécurité des relations juridiques au sein de la Communauté. La Commission et les autres États membres n’ont pas à connaître les subtilités de l’organisation constitutionnelle et administrative de chaque État. En cas de défaillance d’une de ses composantes, même autonome, l’État membre ne peut se dégager de sa responsabilité sur la scène communautaire. Il lui appartient de prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir, par des mécanismes de coopération ou de substitution, le respect de ses engagements européens par l’ensemble de ses organes.
B. Le caractère objectif de la constatation du manquement
La procédure en manquement prévue à l’article 169 du traité CEE vise à faire constater objectivement la violation d’une obligation communautaire par un État membre. La motivation de la Cour dans cette affaire illustre parfaitement que la recherche d’une faute ou d’une intention de la part de l’État est sans pertinence. Le simple fait matériel que le résultat prescrit par la directive n’a pas été atteint dans le délai imparti suffit à constituer le manquement. La bonne ou mauvaise foi de l’État, les difficultés politiques, économiques ou sociales qu’il rencontre sont indifférentes à la constatation de la violation. La responsabilité de l’État est donc une responsabilité objective. Néanmoins, la Cour prend soin de relever que la Commission avait fait preuve d’une certaine patience, en n’introduisant son recours que près de quatre ans après l’expiration du délai de transposition, et ce malgré une demande de délai supplémentaire d’un an formulée par le gouvernement concerné. Cette remarque, si elle n’a pas d’incidence sur la solution juridique, montre que la phase précontentieuse de la procédure en manquement laisse une place au dialogue et vise avant tout à amener l’État à se conformer à ses obligations, le recours juridictionnel n’intervenant qu’en dernier ressort.