Arrêt de la Cour du 2 février 1988. – Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. – Non-discrimination – Accès à l’enseignement supérieur et universitaire – Remboursement de l’indu. – Affaire 293/85.

Par un arrêt du 2 octobre 1987, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les exigences procédurales encadrant le recours en manquement. En l’espèce, la Commission des Communautés européennes avait engagé une procédure à l’encontre d’un État membre, lui reprochant d’avoir adopté des dispositions législatives en matière d’enseignement qu’elle jugeait discriminatoires et contraires au droit communautaire. La législation en cause instaurait notamment un droit d’inscription complémentaire pour les étudiants ressortissants d’autres États membres, autorisait le refus de leur inscription et limitait les possibilités de remboursement des sommes indûment perçues.

La procédure précontentieuse fut initiée par une lettre de mise en demeure du 17 juillet 1985, accordant à l’État membre un délai de huit jours pour présenter ses observations, en raison de l’imminence de la rentrée universitaire. Face à l’absence de réponse, un avis motivé fut émis le 23 août 1985, sommant l’État de se conformer dans un délai de quinze jours. L’État membre, n’ayant pas obtempéré, fit l’objet d’un recours devant la Cour de justice. Devant celle-ci, l’État défendeur a soulevé une exception d’irrecevabilité, arguant que la brièveté des délais qui lui avaient été impartis constituait une violation des garanties procédurales prévues par l’article 169 du traité CEE.

La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si le caractère déraisonnable des délais fixés par la Commission lors de la phase précontentieuse était de nature à vicier la procédure et, par conséquent, à rendre irrecevable le recours en manquement.

À cette question, la Cour répond par l’affirmative, en déclarant le recours irrecevable. Elle juge que la procédure précontentieuse a pour double objectif de permettre à l’État membre de se conformer volontairement à ses obligations et de préparer utilement sa défense. La réalisation de cet objectif impose à la Commission d’octroyer des délais raisonnables. La Cour estime que si des délais très courts peuvent se justifier dans des circonstances particulières, telles que l’urgence ou la parfaite connaissance par l’État de la position de la Commission, de telles circonstances n’étaient pas réunies en l’espèce. La brièveté des délais étant jugée sans justification, l’irrégularité de la procédure précontentieuse entraîne l’irrecevabilité du recours. La Cour, en sanctionnant la diligence excessive de la Commission, réaffirme l’importance des garanties procédurales (I) tout en définissant les critères d’appréciation du caractère raisonnable des délais impartis (II).

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I. La consécration du rôle protecteur de la procédure précontentieuse

L’arrêt met en lumière la fonction essentielle de la phase administrative du recours en manquement, la considérant comme une garantie fondamentale pour l’État membre mis en cause. La Cour rappelle ainsi la finalité de cette procédure (A) avant de tirer la conséquence procédurale de sa méconnaissance, à savoir une fin de non-recevoir (B).

A. Le rappel du double objectif de la phase précontentieuse

La Cour énonce avec clarté la raison d’être de l’étape préalable à la saisine juridictionnelle. Elle souligne que la procédure précontentieuse a pour but de « donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission ». Ce faisant, elle insiste sur la nature dialogique de cette phase, qui n’est pas une simple formalité mais un véritable instrument de coopération et de règlement préventif des différends.

Le premier objectif vise à assurer l’effectivité du droit communautaire en privilégiant une exécution spontanée par l’État membre. Cette approche pragmatique permet d’éviter, lorsque cela est possible, le contentieux, préservant ainsi les ressources institutionnelles et les relations entre l’Union et ses membres. Le second objectif relève directement des droits de la défense. L’État doit disposer du temps et des informations nécessaires pour comprendre les reproches qui lui sont adressés et pour pouvoir y répondre de manière circonstanciée. Cette garantie est indispensable pour assurer l’équilibre entre les prérogatives de la Commission, gardienne des traités, et la souveraineté des États membres.

B. L’irrecevabilité comme sanction du vice procédural

En jugeant le recours irrecevable, la Cour confère une portée concrète et effective aux exigences procédurales qu’elle vient de rappeler. Le non-respect des garanties offertes à l’État membre durant la phase précontentieuse n’est pas un simple vice de forme susceptible d’être régularisé, mais une atteinte substantielle qui entache l’ensemble de la procédure. La sanction est radicale : le juge refuse d’examiner le fond du litige, quelle que soit la pertinence des griefs de la Commission.

Cette solution rigoureuse témoigne de l’importance que la Cour attache au formalisme protecteur de l’article 169 du traité. Elle refuse l’argument de la Commission selon lequel les délais n’étaient pas des délais de forclusion et que des réponses tardives auraient été acceptées. La Cour observe à juste titre qu’un État « ne peut pas savoir à l’avance si, et dans quelle mesure, la Commission lui accordera, le cas échéant, une prolongation de ces délais ». La sécurité juridique commande que l’État puisse se fier aux termes de l’acte qui lui est notifié, sans avoir à spéculer sur d’éventuelles indulgences. Ainsi, l’irrégularité de la procédure précontentieuse constitue un obstacle infranchissable à l’action de la Commission.

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II. L’appréciation judiciaire du caractère raisonnable des délais

Après avoir affirmé le principe, la Cour se livre à une analyse des critères permettant de juger du caractère raisonnable des délais accordés à l’État membre. Elle opte pour une évaluation concrète, au cas par cas (A), ce qui la conduit à écarter les justifications avancées par la Commission en l’espèce (B).

A. Le principe d’une appréciation au cas par cas

La Cour se garde bien de fixer abstraitement une durée minimale pour les délais de réponse. Elle énonce qu’« il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des circonstances qui caractérisent la situation d’espèce ». Cette approche pragmatique lui confère une grande souplesse d’appréciation et permet d’adapter l’exigence de célérité aux réalités de chaque dossier. La complexité de la matière, l’ampleur des modifications législatives à envisager ou encore l’organisation administrative interne de l’État membre sont autant de facteurs susceptibles d’être pris en considération.

Toutefois, cette souplesse n’est pas synonyme d’arbitraire. La Cour esquisse elle-même les bornes de cette appréciation en précisant que « des délais très courts peuvent ainsi se justifier dans des situations particulières ». Elle en cite deux exemples : l’urgence de remédier à un manquement et la pleine connaissance par l’État membre du point de vue de la Commission avant même le début de la procédure. Par ce raisonnement, la Cour établit un principe de proportionnalité : la restriction apportée aux droits de la défense par la brièveté des délais doit être justifiée par un motif légitime et impérieux.

B. Le rejet des justifications fondées sur l’urgence et la connaissance antérieure

En appliquant ces principes à l’affaire, la Cour examine et rejette successivement les deux arguments de la Commission. S’agissant de l’urgence liée à la rentrée académique, elle observe que la législation litigieuse était connue de la Commission bien en amont et qu’elle aurait pu agir plus tôt. La Cour refuse que la Commission puisse se prévaloir d’une situation d’urgence qu’elle a « elle-même créée en s’abstenant d’agir plus tôt ». Cette solution moralise la procédure et impose à la Commission une obligation de diligence, l’empêchant de tirer avantage de sa propre inaction passée pour ensuite précipiter la procédure au détriment des droits de l’État membre.

Quant à la connaissance prétendue du point de vue de la Commission par l’État défendeur, la Cour la juge insuffisamment établie. Elle relève que, peu avant d’engager la procédure, la Commission avait elle-même indiqué qu’elle n’avait « pas terminé ses réflexions sur les effets de la jurisprudence de la Cour ». Il en découle que l’État n’était pas pleinement informé de la position juridique définitive de la Commission. La Cour exige donc une information claire et non équivoque pour que cette circonstance puisse justifier une réduction des délais. En définitive, cet arrêt constitue un rappel à l’ordre important, soumettant le pouvoir de poursuite de la Commission au respect scrupuleux d’une procédure équitable.

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Hassan KOHEN
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