Arrêt de la Cour du 2 février 1988. – Kwekerij Gebroeders van der Kooy BV et autres contre Commission des Communautés européennes. – Aides d’État – Gaz naturel – Tarif préférentiel à l’égard des horticulteurs néerlandais. – Affaires jointes 67, 68 et 70/85.

Par un arrêt rendu dans des affaires jointes, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours de la notion d’aide d’État dans le secteur de l’énergie. En l’espèce, le secteur horticole d’un État membre bénéficiait d’un tarif préférentiel pour le gaz naturel, utilisé pour le chauffage des serres. Ce tarif était fixé par un accord entre l’entreprise de distribution de gaz, dont le capital était détenu pour moitié par l’État et pour moitié par des sociétés privées, et un organisme de droit public représentant les intérêts des opérateurs agricoles. L’accord tarifaire était en outre soumis à l’approbation du ministre des Affaires économiques. Saisie de cette mesure, la Commission des Communautés européennes avait adopté une décision constatant que ce tarif préférentiel constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun au sens de l’article 92 du traité CEE, et ordonnait sa suppression. L’État membre concerné, ainsi que l’organisme représentatif des horticulteurs et deux entreprises horticoles, ont alors introduit des recours en annulation contre cette décision. La Cour était ainsi conduite à se prononcer d’une part sur la recevabilité de ces recours, notamment ceux émanant de personnes physiques et d’une entité représentative, et d’autre part sur le fond, en qualifiant la mesure litigieuse au regard des critères de l’aide d’État. La Cour de justice a déclaré le recours des entreprises horticoles irrecevable, faute pour elles d’être individuellement concernées par la décision de la Commission. Elle a en revanche admis la recevabilité du recours de l’organisme représentatif. Sur le fond, la Cour a rejeté les recours, validant l’analyse de la Commission et confirmant que le tarif préférentiel constituait bien une aide d’État incompatible avec le marché commun. La décision de la Cour permet ainsi de clarifier les conditions de qualification d’une aide d’État dans un contexte économique complexe, tout en précisant la portée du contrôle juridictionnel exercé sur les décisions de la Commission en la matière.

I. La caractérisation d’une aide d’État appliquée au secteur de l’énergie

L’arrêt apporte un éclairage essentiel sur les éléments constitutifs d’une aide d’État, en se prononçant d’abord sur l’imputabilité de la mesure à l’État (A), puis en examinant l’existence d’un avantage économique non justifié (B).

A. L’imputabilité de la mesure à l’État

Les requérants soutenaient que le tarif préférentiel ne pouvait être qualifié d’aide accordée par l’État, arguant que l’entreprise de gaz était une société de droit privé et que le tarif résultait d’un accord privé. La Cour rejette cette argumentation en s’appuyant sur un faisceau d’indices démontrant le contrôle exercé par les pouvoirs publics. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « il n’y a pas lieu de distinguer entre les cas où l’aide est accordée directement par l’État et ceux où l’aide est accordée par des organismes publics ou privés que l’État institue ou désigne en vue de gérer l’aide ». En l’occurrence, plusieurs éléments démontraient l’implication de l’État. Premièrement, la structure de l’actionnariat de l’entreprise gazière, où l’État détenait la moitié du capital et des sièges au conseil des commissaires, lui conférait une influence déterminante. Deuxièmement, le pouvoir d’approbation des tarifs par le ministre des Affaires économiques, même présenté comme un simple contrôle de conformité à la politique énergétique, permettait au gouvernement de bloquer tout tarif qui ne lui conviendrait pas. Enfin, la Cour relève que l’entreprise gazière avait par le passé modifié ses tarifs suite aux interventions de la Commission auprès du gouvernement, ce qui démontrait son absence d’autonomie réelle. La Cour en conclut que l’entreprise « agit sous le contrôle et les directives des pouvoirs publics », et que par conséquent, la fixation du tarif litigieux résultait bien d’un comportement imputable à l’État membre.

B. L’absence de justification économique objective

Une fois l’imputabilité à l’État établie, la Cour examine si le tarif préférentiel conférait un avantage injustifié aux entreprises bénéficiaires. Les requérants avançaient une justification commerciale : le tarif plus bas était nécessaire pour éviter que les horticulteurs ne convertissent leurs installations de chauffage au charbon, dont le prix était devenu plus compétitif. La Cour ne rejette pas le principe d’une telle justification commerciale, mais elle en contrôle rigoureusement la portée. Elle constate, en se fondant sur les rapports économiques versés au dossier, que le niveau du tarif litigieux était inférieur à celui qui aurait été objectivement nécessaire pour parer à ce risque de conversion. La Cour relève que, selon les propres estimations de la Commission, une conversion significative vers le charbon ne deviendrait une option rentable pour la majorité des exploitations qu’à un prix du gaz supérieur à celui pratiqué. En effet, la décision de l’entreprise gazière de plafonner le prix à « 42,5 cents/m3 » ne se justifiait que pour les exploitations les moins performantes, ne disposant pas d’équipements modernes comme un condenseur. Or, la Cour estime qu’il n’était pas commercialement rationnel pour l’entreprise d’aligner sa politique tarifaire générale sur la situation d’une minorité d’exploitations, de surcroît destinées à se moderniser. Dès lors, en fixant un prix inférieur au seuil de rentabilité de la conversion pour la majorité des entreprises, l’État a octroyé un avantage qui ne répondait pas à une logique économique, mais bien à une volonté de soutenir un secteur d’activité particulier. Cet avantage constitue donc l’élément matériel de l’aide d’État.

II. La portée du contrôle juridictionnel en matière d’aides d’État

Au-delà de la qualification de l’aide, l’arrêt précise les conditions d’accès au juge communautaire (A) et confirme les conséquences qui découlent de la constatation de l’incompatibilité d’une aide avec le marché commun (B).

A. La recevabilité différenciée des recours des particuliers et des entités représentatives

L’arrêt opère une distinction nette entre la situation des entreprises horticoles et celle de l’organisme qui les représente. Pour déclarer le recours des entreprises irrecevable, la Cour applique sa jurisprudence classique relative à l’article 173, alinéa 2, du traité CEE. Une personne autre que le destinataire d’une décision doit être directement et individuellement concernée pour pouvoir agir en annulation. La Cour juge que les entreprises requérantes n’étaient pas individuellement concernées, car la décision les affectait « en raison de leur seule qualité objective d’horticulteurs établis aux Pays-Bas, admis à bénéficier du tarif préférentiel de gaz au même titre que tout autre horticulteur se trouvant dans la même situation ». La décision avait donc à leur égard une portée générale et abstraite. En revanche, la Cour déclare recevable le recours de l’organisme public représentant les horticulteurs. Pour ce faire, elle relève un ensemble de circonstances particulières qui individualisent sa position. Cet organisme avait non seulement agi en tant que négociateur des tarifs dans l’intérêt des horticulteurs, mais il avait aussi activement participé à la procédure administrative devant la Commission. De plus, il était l’un des signataires de l’accord tarifaire contesté et était mentionné à ce titre dans la décision de la Commission, ce qui l’obligeait à entamer de nouvelles négociations. Ces éléments caractérisaient une situation de fait qui le distinguait de tous les autres opérateurs et justifiait son intérêt à agir.

B. Les effets de la constatation d’incompatibilité de l’aide

Enfin, la Cour confirme l’analyse de la Commission quant aux effets de l’aide sur la concurrence et les échanges intracommunautaires. Les requérants minimisaient l’impact de l’aide, l’attribuant à d’autres facteurs de compétitivité. La Cour reconnaît l’existence de ces facteurs mais souligne qu’un avantage tarifaire, même limité en apparence, est susceptible de fausser la concurrence lorsque les coûts énergétiques représentent une part substantielle des coûts de production, soit 25 à 30 % dans ce secteur. Une réduction de près de 5,5 % du prix du gaz se répercute donc de manière sensible sur les coûts d’exploitation et fausse la concurrence. Quant à l’affectation des échanges, la Cour s’appuie sur les chiffres non contestés démontrant la position dominante de la production de l’État membre concerné sur le marché communautaire et le volume très élevé de ses exportations vers les autres États membres. La condition est donc remplie. L’arrêt apporte également une précision importante sur les obligations de la Commission. Le gouvernement requérant lui reprochait de ne pas avoir indiqué précisément le niveau de prix qui serait exempt de tout élément d’aide. La Cour écarte cet argument en jugeant que la Commission n’est pas tenue de dicter les mesures d’exécution, mais seulement d’ordonner la suppression de l’aide. Cette solution laisse à l’État membre la responsabilité de mettre fin à l’infraction, tout en ouvrant la possibilité d’un contrôle ultérieur par la Commission sur l’adéquation des mesures correctrices adoptées.

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