Par un arrêt du 2 avril 1987, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la légalité d’une décision de la Commission relative à l’existence d’une aide d’État accordée par un État membre à ses producteurs horticoles sous la forme d’un tarif préférentiel pour le gaz naturel. En l’espèce, un accord conclu entre une entreprise gazière, détenue pour moitié par des capitaux publics, et un organisme de droit public représentant les intérêts agricoles avait fixé un tarif plafonné pour le gaz destiné au chauffage des serres. Ce tarif, soumis à l’approbation du ministre des affaires économiques, avait été jugé par la Commission comme constituant une aide incompatible avec le marché commun au sens de l’article 92 du traité CEE, et celle-ci en avait ordonné la suppression. Saisis par l’État membre concerné, par l’organisme de droit public signataire de l’accord, ainsi que par deux entreprises horticoles, plusieurs recours en annulation furent introduits contre cette décision. Les requérants soutenaient principalement que la mesure ne pouvait être imputée à l’État et qu’elle se justifiait par des raisons commerciales, notamment la nécessité de concurrencer le charbon comme source d’énergie. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si un tarif préférentiel, résultant d’un accord de droit privé mais influencé et approuvé par les pouvoirs publics, constituait une aide d’État, et si la menace d’une conversion des entreprises vers une autre source d’énergie suffisait à justifier économiquement un tel avantage. La Cour, après avoir déclaré irrecevable le recours des entreprises horticoles pour défaut d’affectation individuelle, a rejeté les recours de l’État membre et de l’organisme public, validant ainsi l’analyse de la Commission. Elle a estimé que la mesure était bien imputable à l’État et qu’elle n’était pas objectivement justifiée par des considérations commerciales, confirmant par là même sa qualification d’aide d’État incompatible avec le marché commun.
L’analyse de la Cour clarifie les critères d’identification d’une aide étatique résultant d’un tarif énergétique préférentiel, en s’attachant à la fois à l’imputabilité de la mesure aux pouvoirs publics et à l’absence de justification économique objective (I). Sur cette base, elle confirme logiquement l’incompatibilité de l’aide avec le marché commun en raison de ses effets sur la concurrence et les échanges (II).
I. L’identification d’une aide d’État à travers le comportement de l’État et la nature du tarif
La Cour examine d’abord si la mesure, malgré son apparence contractuelle privée, peut être imputée à une intervention étatique, avant d’analyser la rationalité économique du tarif préférentiel contesté.
A. L’imputabilité de la mesure à l’État en dépit de la nature privée de l’accord tarifaire
Les requérants soutenaient que le tarif litigieux résultait d’un accord de droit privé entre l’entreprise gazière et l’organisme représentant les horticulteurs, rendant ainsi la mesure étrangère à une intervention de l’État. La Cour écarte cet argument en se fondant sur un faisceau d’indices qui démontrent le contrôle exercé par les pouvoirs publics. Elle relève la structure de l’actionnariat de l’entreprise gazière, où l’État détient directement ou indirectement la moitié du capital, la présence de commissaires gouvernementaux au sein de son conseil, et surtout le pouvoir d’approbation des tarifs par le ministre compétent. La Cour conclut que ces éléments, considérés dans leur ensemble, prouvent que l’entreprise « ne dispose nullement d’une pleine autonomie, mais agit sous le contrôle et les directives des pouvoirs publics ». En adoptant une conception large de l’intervention étatique, la Cour confirme que la notion d’aide accordée « par les États ou au moyen de ressources d’État » couvre également les avantages octroyés par des organismes que l’État contrôle ou influence, même sans intervention directe dans l’accord lui-même.
B. Le rejet de la justification commerciale du tarif préférentiel
Les requérants avançaient que le plafonnement du prix du gaz était une mesure commercialement nécessaire pour contrer le risque que les horticulteurs ne convertissent leurs installations au charbon, dont le prix était devenu plus compétitif. La Cour admet le principe d’une telle justification économique mais en contrôle rigoureusement l’application concrète. Elle constate que le prix plafond retenu, soit 42,5 cents/m³, était inférieur au seuil de rentabilité de la conversion au charbon pour la majorité des exploitations, lequel se situait plutôt entre 46 et 47 cents/m³. Le tarif n’était avantageux que pour les entreprises les moins performantes, ne disposant pas d’équipements modernes comme un condenseur. Or, la Cour estime qu’il n’était pas commercialement justifié pour l’entreprise gazière d’aligner son tarif général sur la situation de la catégorie d’exploitations la moins efficace et destinée à devenir marginale. Par conséquent, la Cour conclut que « c’est à juste titre que la décision […] a considéré que le tarif litigieux était plus bas que celui qui aurait été nécessaire pour tenir compte du risque de conversion au charbon », privant ainsi l’avantage accordé de toute rationalité économique objective et confirmant sa nature d’aide.
II. La confirmation de l’incompatibilité de l’aide avec le marché commun
Une fois l’existence d’une aide d’État établie, la Cour valide l’appréciation de la Commission quant à ses effets anticoncurrentiels, tout en précisant la portée des obligations de l’institution dans sa prise de décision.
A. La caractérisation de la distorsion de la concurrence et de l’affectation des échanges
Les requérants contestaient que l’avantage tarifaire faussait la concurrence et affectait les échanges entre États membres. La Cour rejette cet argument en soulignant l’importance des coûts énergétiques dans le secteur horticole, qui représentent entre 25 % et 30 % des coûts totaux d’exploitation. Une réduction du prix du gaz d’environ 5,5 %, même si elle peut paraître modeste, se répercute donc de façon sensible sur les coûts de production, entraînant une baisse artificielle des prix de vente des produits. Concernant l’affectation des échanges, la Cour s’appuie sur les données chiffrées non contestées présentées par la Commission. Celles-ci montrent la position dominante des producteurs de l’État membre concerné sur le marché communautaire, avec par exemple 65 % de la production de tomates sous serres chauffées et un taux d’exportation de 91 %. Dans de telles conditions, un avantage financier accordé à ces producteurs est inévitablement de nature à affecter les échanges et à fausser la concurrence au détriment des producteurs des autres États membres.
B. La portée de la décision de la Commission et les limites du contrôle juridictionnel
Le gouvernement requérant reprochait à la décision de la Commission son imprécision, au motif qu’elle n’indiquait pas le niveau de prix qui serait jugé acceptable et exempt de tout élément d’aide. La Cour écarte ce moyen tiré de la violation des formes substantielles. Elle juge que l’obligation de la Commission se limite à constater l’existence de l’aide et à ordonner sa suppression, sans avoir à dicter les modalités précises de mise en conformité. Laisser à l’État membre une marge de manœuvre pour déterminer le nouveau tarif ne rend pas la décision impossible à exécuter. Par ailleurs, la Cour rejette également le moyen tiré de l’insuffisance de motivation, estimant que la Commission avait exposé de façon claire et non équivoque son raisonnement, permettant ainsi aux intéressés de connaître les justifications de la mesure et à la Cour d’exercer son contrôle. Cet arrêt réaffirme ainsi la division des rôles entre la Commission, qui identifie et sanctionne les aides, et les États membres, qui sont responsables de leur élimination effective, sous le contrôle limité du juge de l’Union.