Arrêt de la Cour du 2 février 1988. – Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord contre Commission des Communautés européennes. – Organisation commune des marchés dans le secteur des viandes ovine et caprine – Fixation des taux de la prime annuelle par brebis pour la Grande-Bretagne. – Affaires jointes 305/85 et 142/86.

Par un arrêt rendu dans les affaires jointes 305/85 et 142/86, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la légalité d’une méthode de calcul employée par la Commission dans le cadre de l’organisation commune des marchés dans le secteur des viandes ovine et caprine. En l’espèce, un règlement du Conseil avait instauré un régime de soutien aux revenus des producteurs, composé notamment d’une prime annuelle par brebis. Pour une région spécifique, cette prime annuelle devait être diminuée d’une somme correspondant à la « moyenne pondérée des primes variables à l’abattage effectivement octroyées ». Le litige est né de la méthode retenue par la Commission pour calculer cette moyenne.

Un État membre a saisi la Cour de justice de deux recours en annulation à l’encontre de règlements d’exécution de la Commission. Le requérant soutenait que la méthode de calcul était incohérente, car la Commission incluait dans le montant total des primes (le dividende) des sommes versées pour certains animaux, tout en excluant la production correspondante de ces mêmes animaux de la base de calcul (le diviseur). Cette approche avait pour effet de majorer artificiellement la déduction et, par conséquent, de réduire le montant final de la prime annuelle versée aux producteurs de la région concernée. La Commission, pour sa part, justifiait sa méthode par la genèse du texte et par la nécessité de maintenir un équilibre économique entre les producteurs des différentes régions.

La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si le règlement de base du Conseil habilitait la Commission à adopter une méthode de calcul de la moyenne pondérée qui dissociait les éléments du dividende de ceux du diviseur. Autrement dit, une interprétation littérale et logique du calcul d’une moyenne devait-elle prévaloir sur des considérations téléologiques et économiques invoquées par l’institution en charge de l’exécution ?

La Cour de justice a répondu par la négative et a annulé les règlements litigieux. Elle a jugé que la méthode de la Commission manquait de base légale, car le calcul d’une moyenne doit, par principe, reposer sur des grandeurs commensurables. La Cour a estimé que ni le libellé du règlement de base ni les autres éléments d’interprétation ne justifiaient une dérogation à ce principe fondamental. La décision de la Cour rappelle ainsi la nécessité d’une cohérence logique dans l’application des textes (I), tout en définissant les limites du pouvoir d’appréciation de la Commission dans l’exercice de ses compétences d’exécution (II).

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I. L’annulation fondée sur l’absence de base légale d’une méthode de calcul incohérente

La Cour de justice censure la méthode de calcul retenue par la Commission en s’appuyant sur un principe de logique mathématique fondamental (A), et écarte les arguments fondés sur l’intention du législateur ou les objectifs de la réglementation, jugés insuffisamment probants (B).

A. La consécration du principe de commensurabilité des données

La Cour de justice fonde son raisonnement sur une exigence de rationalité inhérente à la notion même de moyenne. Elle affirme de manière claire que « pour arriver à une moyenne, il faut, en règle générale, que le calcul se base sur des grandeurs commensurables ». En l’espèce, la méthode de la Commission violait ouvertement ce principe. Le dividende de la fraction intégrait le montant des primes variables octroyées pour certaines brebis destinées à l’exportation, tandis que le diviseur excluait la production de viande correspondante de ces mêmes animaux. Une telle dissociation aboutissait à un résultat mathématiquement faussé, qui ne pouvait plus être qualifié de « moyenne ».

La Cour relève que l’ajout du qualificatif « pondérée » pourrait éventuellement justifier une exception à cette règle, mais souligne qu’une telle dérogation devrait ressortir clairement des textes. Or, le libellé de la disposition pertinente ne fournissait aucune indication en ce sens. Au contraire, la formulation retenue semblait simplement viser à inclure dans le calcul la totalité de la production éligible à la prime, même celle n’ayant pas effectivement donné lieu à un versement durant une semaine donnée en raison d’un prix de marché supérieur au seuil de déclenchement. L’argument de la Cour est donc d’une grande rigueur formelle : en l’absence de base textuelle explicite, une notion mathématique usuelle doit conserver son sens premier.

B. Le rejet des interprétations téléologiques et historiques

Face à cette approche littérale, la Commission tentait de justifier sa méthode par la genèse et la finalité de la disposition. Elle soutenait que la modification du texte initial par le Conseil visait précisément à introduire la distinction litigieuse afin de répondre à des préoccupations soulevées par certaines délégations nationales. Cependant, la Cour constate que « les deux parties étant en désaccord sur le déroulement et la signification des négociations au sein du Conseil », cet argument historique ne peut être retenu comme un élément d’interprétation décisif. La genèse d’un texte ne saurait prévaloir lorsque le débat sur son contenu reste ouvert et que le résultat final n’est pas univoque.

De même, la Cour écarte l’argument tiré des finalités du règlement de base et de la politique agricole commune. La Commission affirmait que sa méthode était nécessaire pour éviter une discrimination à l’égard des producteurs des autres régions et pour assurer un équilibre global du système de primes. La Cour juge cependant que le mécanisme de soutien est d’une telle complexité que les effets économiques précis des différentes options de calcul sont difficiles à établir. Elle conclut que « les explications fournies par la commission n’ont pas fait apparaître un raisonnement économique précis motivant l’exclusion des animaux sec du diviseur de la fraction litigieuse ». Par conséquent, en l’absence de justification économique claire et d’une base légale certaine, la méthode de calcul doit être annulée.

II. La portée du contrôle juridictionnel sur l’exercice du pouvoir d’exécution de la Commission

Au-delà de la question technique, l’arrêt illustre la rigueur du contrôle que la Cour exerce sur le pouvoir d’exécution de la Commission, en affirmant la primauté de la sécurité juridique (A) et en encadrant strictement la marge d’appréciation technique de l’administration communautaire (B).

A. La prévalence de la sécurité juridique sur la complexité technique

En invalidant les règlements de la Commission, la Cour de justice envoie un signal fort sur l’importance de la prévisibilité du droit, y compris dans des domaines techniques et complexes comme la politique agricole commune. Les opérateurs économiques, en l’occurrence les producteurs de viande ovine, doivent pouvoir se fier à une interprétation claire et logique des règles qui déterminent leurs revenus. Permettre à la Commission d’adopter, sans habilitation explicite, une méthode de calcul dérogeant à la logique mathématique créerait une insécurité juridique inacceptable.

La décision réaffirme ainsi que le pouvoir d’exécution de la Commission doit s’exercer dans le respect du principe de légalité. L’administration ne peut, sous couvert de mise en œuvre technique, altérer la substance d’un droit conféré aux administrés par le législateur supérieur, ici le Conseil. En exigeant que « l’intention d’introduire une telle dérogation et le sens de celle-ci ressortent clairement des éléments d’interprétation disponibles », la Cour protège les justiciables contre une application imprévisible et potentiellement arbitraire de la réglementation. Cette solution garantit que les règles financières, même complexes, restent transparentes et vérifiables.

B. L’encadrement strict de la marge d’appréciation de la Commission

Cet arrêt a également pour portée de délimiter la marge d’appréciation de la Commission lorsqu’elle adopte des mesures d’application. Si la Commission dispose d’un pouvoir d’exécution pour mettre en œuvre les politiques définies par le Conseil, ce pouvoir n’est pas discrétionnaire. Il est strictement encadré par les termes du règlement de base. La Cour montre qu’elle n’hésite pas à exercer un contrôle approfondi sur la compatibilité des actes d’exécution avec l’acte de base, y compris sur des aspects très techniques.

En l’espèce, le contrôle juridictionnel ne se limite pas à une simple vérification de l’erreur manifeste d’appréciation ; il s’étend à la cohérence logique même de la méthode employée. L’arrêt suggère que plus l’impact financier d’une mesure technique est important, plus la nécessité d’une base légale claire et explicite est impérieuse. Il en résulte que la Commission ne peut se prévaloir des finalités générales d’une politique pour justifier une mesure d’exécution qui n’est pas solidement ancrée dans le texte qui l’habilite. La hiérarchie des normes est ainsi fermement rappelée, le pouvoir d’exécution de la Commission demeurant subordonné au respect scrupuleux des dispositions édictées par le législateur du Conseil.

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