Par un arrêt rendu en manquement le 13 mars 1985, la Cour de justice des Communautés européennes a eu à se prononcer sur les obligations incombant à un État membre pour assurer l’effectivité des droits conférés aux fonctionnaires européens par leur statut. En l’espèce, l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes prévoit la faculté pour un agent d’obtenir le transfert des droits à pension acquis au titre d’un régime national vers le régime de pension communautaire. La Commission, ayant constaté qu’un État membre n’avait pas adopté les dispositions internes permettant un tel transfert, a engagé une procédure en manquement au titre de l’article 169 du traité CEE. L’État membre ne contestait pas le fond de son obligation mais justifiait son inaction par la complexité de la procédure législative interne requise pour la mise en œuvre de cette disposition. Il soutenait également que des instructions avaient été données à l’organisme national de pension pour traiter les demandes en anticipation de l’adoption de la loi, et que l’applicabilité directe du statut suffisait à garantir les droits des justiciables. La question de droit soulevée était donc de savoir si un État membre manque à ses obligations en s’abstenant de prendre les mesures d’exécution nécessaires pour garantir l’exercice effectif d’un droit prévu par un règlement communautaire, en se prévalant de difficultés de son ordre juridique interne ou de l’applicabilité directe de ce règlement. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, en jugeant que l’État membre avait manqué à ses obligations « en omettant de mettre en oeuvre les moyens concrets permettant l’exercice de la faculté accordée aux fonctionnaires ».
Le raisonnement de la Cour rappelle qu’un droit conféré par le statut des fonctionnaires doit pouvoir être exercé de manière effective, ce qui impose aux États membres une obligation de coopération active (I). En conséquence, les arguments tirés de l’ordre juridique interne ou de la nature du droit communautaire ne sauraient justifier une inertie de l’État (II).
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I. L’affirmation d’une obligation de résultat à la charge de l’État membre
L’arrêt précise la nature de l’obligation pesant sur les États membres, laquelle découle d’un droit conféré aux fonctionnaires (A) et exige l’adoption de mesures concrètes pour ne pas rester théorique (B).
A. La faculté de transfert, un droit subjectif conféré par le statut
Le statut des fonctionnaires, adopté par un règlement du Conseil, établit au profit de l’agent entrant au service des Communautés une option claire. Il dispose de la « faculté », au moment de sa titularisation, de faire verser aux Communautés l’équivalent de ses droits à pension acquis antérieurement. Cette prérogative constitue un droit subjectif dont le fonctionnaire est titulaire, et qui vise à assurer la continuité de sa carrière et la consolidation de ses droits sociaux.
La Cour souligne que l’absence de mécanisme de transfert dans un État membre a pour conséquence de « priver le fonctionnaire des communautés de la faculte meme d’exercer le choix qui lui est accorde par le statut ». Une telle situation porte non seulement atteinte à l’effectivité du droit individuel, mais crée également une rupture d’égalité entre les fonctionnaires selon leur État d’origine, puisque certains peuvent bénéficier de ce transfert et d’autres non. La Cour consacre ainsi que la simple existence formelle du droit dans le texte communautaire ne suffit pas ; son exercice doit être matériellement garanti.
B. L’exigence de mesures nationales pour une mise en œuvre effective
Pour que la faculté de transfert devienne une possibilité réelle, l’intervention de l’État membre est indispensable. La Cour juge qu’il incombe à ce dernier « de choisir et de mettre en oeuvre les moyens concrets permettant l’exercice de la faculte accordee aux fonctionnaires ». Cette formule met en évidence une obligation de résultat : l’État ne doit pas seulement s’abstenir d’entraver le droit, il doit agir positivement pour en permettre la réalisation.
Cette obligation découle de l’article 5 du traité CEE, qui impose aux États membres un devoir de coopération loyale pour assurer l’exécution du droit communautaire. Le régime de pension communautaire et les régimes nationaux étant distincts, une coordination est nécessaire, et celle-ci ne peut être mise en place que par des dispositions nationales qui organisent les modalités techniques, actuarielles et financières du transfert. L’inaction de l’État membre rend donc le dispositif statutaire entièrement inopérant sur son territoire.
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II. L’inefficacité des justifications fondées sur le droit interne
Face à son manquement, l’État membre a tenté d’avancer plusieurs justifications, toutes rejetées par la Cour, qu’il s’agisse des contraintes de son ordre juridique interne (A) ou de la portée de l’applicabilité directe du règlement (B).
A. Le rejet des difficultés procédurales et administratives internes
L’État membre arguait de la nécessité d’adopter une loi formelle et de la longueur inhérente à la procédure législative, aggravée par « la complexite extreme de la matiere en question ». La Cour balaie cet argument en rappelant une jurisprudence constante et fondamentale. En effet, « un etat membre ne saurait exciper des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations resultant d’un reglement communautaire ».
Ce principe est une manifestation essentielle de la primauté du droit communautaire. Les modalités d’organisation constitutionnelle et administrative d’un État membre relèvent de sa seule compétence, mais elles ne peuvent en aucun cas constituer une excuse pour se soustraire à une obligation européenne. De même, les arrangements informels passés avec l’organisme de pension, qui n’ont d’ailleurs abouti à aucun transfert effectif, sont jugés insuffisants, car ils ne fournissent pas la sécurité juridique requise par le droit communautaire.
B. La portée limitée de l’applicabilité directe du règlement
L’État membre soutenait que la nature réglementaire du statut, et donc son applicabilité directe en vertu de l’article 189 du traité CEE, suffisait à garantir les droits des individus. Ces derniers pouvaient, selon lui, invoquer directement l’article 11 de l’annexe VIII devant les juridictions nationales. La Cour apporte ici une précision importante sur la notion d’applicabilité directe.
Elle juge que cette faculté « ne constitue qu’une garantie minimale et ne suffit pas a assurer a elle seule l’application pleine et complete de cette disposition ». L’applicabilité directe permet à un particulier de se prévaloir d’une norme communautaire, mais elle ne dispense pas l’État de son obligation de prendre les mesures d’exécution nécessaires lorsque le texte, par sa nature, les requiert. En l’espèce, le droit au transfert ne peut exister concrètement sans un cadre national qui en définit les modalités de calcul et de versement. L’arrêt confirme ainsi que l’applicabilité directe n’est pas un substitut à l’obligation d’exécution qui pèse sur les États membres.