Arrêt de la Cour du 20 novembre 2001. – Aldona Malgorzata Jany et autres contre Staatssecretaris van Justitie. – Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank te ‘s-Gravenhage – Pays-Bas. – Relations extérieures – Accords d’association Communautés/Pologne et Communautés/République tchèque – Liberté d’établissement – Notion d’activité économique – Inclusion ou non de l’activité de prostitution. – Affaire C-268/99.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction néerlandaise, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’étendue du droit d’établissement conféré par les accords d’association conclus avec la Pologne et la République tchèque. En l’espèce, plusieurs ressortissantes de ces deux pays avaient sollicité un permis de séjour aux Pays-Bas afin d’y exercer l’activité de prostituée à titre indépendant. Leurs demandes furent rejetées par l’autorité administrative compétente, au motif principal que la prostitution ne pouvait être considérée comme une activité économique régulière ou une profession libérale. Saisie du litige, la juridiction de renvoi avait annulé une première série de décisions de rejet pour défaut de motivation, mais avait estimé que les dispositions des accords d’association ne pouvaient être invoquées directement par les requérantes. Statuant à nouveau, l’autorité administrative a maintenu ses décisions de rejet, conduisant les intéressées à saisir une nouvelle fois la juridiction nationale. Celle-ci a alors décidé de poser à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait pour l’essentiel de déterminer si les clauses relatives au droit d’établissement des accords d’association bénéficiaient d’un effet direct, quelle était leur portée, et si une activité comme la prostitution pouvait relever de la notion d’« activités économiques exercées en tant qu’indépendants ». La Cour de justice a répondu que les dispositions en cause étaient d’effet direct et que le droit d’établissement qu’elles consacrent implique un droit d’admission et de séjour pour les ressortissants concernés. Elle a jugé que les États membres pouvaient soumettre ce droit à un contrôle préalable, mais que la prostitution relevait bien de la notion d’activité économique au sens de ces accords.

La solution retenue par la Cour de justice établit ainsi la force juridique du droit d’établissement conféré par les accords d’association (I), tout en définissant précisément le cadre dans lequel les États membres peuvent en contrôler l’exercice (II).

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I. La consécration d’un droit d’établissement à effet direct

La Cour affirme que les dispositions relatives à l’établissement contenues dans les accords d’association avec la Pologne et la République tchèque sont directement invocables par les particuliers (A) et que le droit qui en découle emporte nécessairement un droit d’admission et de séjour pour ses bénéficiaires (B).

A. L’invocabilité directe des accords d’association

La Cour de justice reconnaît que les articles pertinents des accords d’association ont un effet direct. Elle juge que ces dispositions « établissent, dans les domaines d’application respectifs des deux accords, un principe précis et inconditionnel suffisamment opérationnel pour être appliqué par un juge national et qui, dès lors, est susceptible de régir la situation juridique des particuliers ». Cette reconnaissance permet aux ressortissants polonais et tchèques de se prévaloir de ces stipulations devant les juridictions d’un État membre pour contester une décision nationale qui leur serait contraire. La Cour ancre ainsi fermement ces accords dans l’ordre juridique des États membres, en leur conférant une justiciabilité qui renforce la protection des droits des individus.

Toutefois, cet effet direct n’annihile pas la compétence des États membres en matière de police des étrangers. La Cour précise en effet que les autorités nationales demeurent compétentes pour appliquer leur législation en matière d’admission, de séjour et d’établissement. L’invocabilité du droit d’établissement ne supprime donc pas les prérogatives étatiques, mais elle les encadre en les soumettant au respect des objectifs de l’accord.

B. Un droit d’établissement impliquant un droit d’admission et de séjour

La Cour considère que le droit d’établissement serait vidé de sa substance s’il ne s’accompagnait pas des moyens nécessaires à son exercice effectif. Elle juge ainsi que ce droit « implique qu’un droit d’admission et un droit de séjour sont conférés, en tant que corollaires de ce droit », aux ressortissants polonais et tchèques souhaitant exercer une activité indépendante sur le territoire d’un État membre. Sans cette conséquence logique, la liberté d’établissement resterait purement théorique, privée de toute portée pratique pour les personnes qu’elle vise à protéger.

Cependant, la Cour nuance immédiatement la portée de cette affirmation en précisant que ces droits d’admission et de séjour « ne constituent pas des prérogatives absolues ». Leur exercice peut être limité par les réglementations nationales concernant l’entrée et le séjour des étrangers, à condition que ces dernières ne rendent pas impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit d’établissement. Il s’agit là d’un équilibre classique entre un droit conféré par un accord international et la marge d’appréciation conservée par les États membres.

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L’affirmation de ce droit d’établissement et de ses corollaires n’est cependant pas sans limites, la Cour reconnaissant aux États membres des prérogatives de contrôle, dont elle précise les conditions d’exercice.

II. L’encadrement du droit d’établissement par les États membres d’accueil

La Cour admet que les États membres puissent maintenir des mécanismes de contrôle pour s’assurer de la réalité de l’activité indépendante (A), mais elle interprète de manière large la notion d’activité économique protégée, y incluant une activité telle que la prostitution (B).

A. La licéité d’un contrôle national préalable sous conditions

La Cour de justice estime que les accords d’association ne s’opposent pas à « un système de contrôle préalable qui subordonne la délivrance d’une autorisation d’entrée et de séjour par les autorités compétentes en matière d’immigration à la condition que le demandeur établisse qu’il a véritablement l’intention de commencer une activité de travailleur indépendant ». Ce contrôle permet aux autorités nationales de vérifier la substance et le sérieux du projet professionnel du demandeur. La Cour valide ainsi les exigences de fond posées par la réglementation néerlandaise, telles que la nécessité de disposer de ressources financières suffisantes et d’avoir des chances raisonnables de réussir.

Ce faisant, la Cour cherche à prévenir les abus, notamment le risque qu’un individu se prévale du droit d’établissement pour accéder en réalité au marché du travail salarié, ce que les accords d’association excluent explicitement. Le contrôle national est donc perçu comme un outil légitime pour garantir que la finalité des dispositions sur l’établissement est respectée, à savoir favoriser l’exercice d’une activité réellement indépendante.

B. L’inclusion de la prostitution dans le champ des activités économiques protégées

Le point le plus notable de l’arrêt réside dans l’analyse par la Cour de la nature de l’activité de prostitution. La Cour écarte d’abord toute distinction entre la notion d’« activités économiques exercées en tant qu’indépendants » des accords d’association et celle d’« activités non salariées » du traité CE, jugeant qu’elles ont la même signification et la même portée. Elle qualifie ensuite la prostitution de prestation de services rémunérée, la faisant ainsi entrer dans la catégorie des activités économiques. La Cour refuse de porter un jugement moral, soulignant qu’il ne lui appartient pas « de substituer son appréciation à celle des législateurs des États membres où une activité prétendument immorale est légalement pratiquée ».

De plus, la Cour écarte la possibilité pour un État membre d’invoquer la dérogation d’ordre public lorsque l’activité en cause est tolérée, voire réglementée, pour ses propres nationaux. Elle affirme que « des comportements qu’un État membre accepte dans le chef de ses propres ressortissants ne sauraient être considérés comme une véritable menace pour l’ordre public ». Enfin, face à l’argument selon lequel la prostitution masquerait souvent une relation de travail salarié, la Cour rejette toute présomption générale. Elle renvoie au juge national le soin de vérifier au cas par cas si l’activité est exercée « hors de tout lien de subordination », « sous sa propre responsabilité » et contre une rémunération « intégralement et directement versée ».

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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