Par un arrêt de principe, la Cour de justice des Communautés européennes a apporté une clarification essentielle sur l’appréciation du caractère descriptif d’une marque. En l’espèce, une société avait déposé une demande d’enregistrement de la marque verbale « Baby-dry » pour désigner des langes. Cette demande fut rejetée par l’examinateur de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur, au motif que le signe était exclusivement descriptif de la destination des produits et dépourvu de caractère distinctif, en application de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement sur la marque communautaire. La chambre de recours de l’Office confirma cette décision. Saisi d’un recours, le Tribunal de première instance annula la décision de la chambre de recours, mais seulement pour un motif de procédure, confirmant au fond l’analyse selon laquelle le syntagme n’était pas apte à constituer une marque. Un pourvoi fut alors formé devant la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si un signe composé de deux termes descriptifs, mais agencés selon une structure syntaxique inhabituelle, doit être considéré comme « exclusivement descriptif » et ainsi se voir refuser l’enregistrement. La Cour de justice répond par la négative, considérant qu’un tel agencement peut conférer au signe un caractère distinctif. Elle annule donc l’arrêt du Tribunal sur ce point, estimant que la marque aurait dû être enregistrée. La solution retenue par la Cour de justice consacre une approche fonctionnelle du caractère distinctif (I), dont la portée s’est avérée fondamentale pour l’appréciation des marques composées (II).
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I. La consécration d’une approche fonctionnelle du caractère distinctif
La Cour de justice clarifie le critère du caractère descriptif en rappelant d’abord la finalité du motif de refus (A), pour ensuite l’appliquer au syntagme litigieux en introduisant la notion d’écart perceptible par rapport au langage courant (B).
A. Le rappel de la finalité du motif de refus
La Cour rappelle que l’interdiction d’enregistrer des signes exclusivement descriptifs vise à empêcher que des monopoles soient conférés sur des indications usuelles. L’objectif de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement est « d’éviter que soient enregistrés comme marques des signes ou des indications qui, en raison de leur identité avec des modalités habituelles de désignation des produits ou des services concernés ou de leurs caractéristiques, ne permettraient pas de remplir la fonction d’identification de l’entreprise qui les met sur le marché ». Un signe ne peut donc être refusé que s’il est impropre à remplir sa fonction essentielle, qui est de garantir au consommateur l’origine d’un produit.
Cette approche fonctionnelle est tempérée par la prise en compte des intérêts des autres opérateurs économiques. Ces derniers doivent pouvoir continuer à utiliser librement les termes nécessaires pour décrire leurs propres produits. Cependant, l’article 12 du règlement prévoit déjà que le droit sur la marque n’interdit pas aux tiers l’usage de telles indications descriptives, à condition que cet usage soit loyal. Par conséquent, le motif de refus doit être interprété strictement, en se concentrant uniquement sur l’aptitude du signe à être perçu comme une marque par le public pertinent.
B. L’application du critère de l’écart perceptible
Pour évaluer le caractère descriptif d’une marque composée de mots, la Cour de justice énonce que l’analyse ne doit pas se limiter à chaque terme pris isolément, mais doit porter sur l’ensemble qu’ils constituent. C’est dans cette appréciation globale qu’elle introduit un critère décisif : « Tout écart perceptible dans la formulation du syntagme proposé à l’enregistrement par rapport à la terminologie employée, dans le langage courant de la catégorie de consommateurs concernée, pour désigner le produit ou le service ou leurs caractéristiques essentielles est propre à conférer à ce syntagme un caractère distinctif ».
Appliquant ce raisonnement au signe « Baby-dry », la Cour observe que bien que les mots « baby » (bébé) et « dry » (sec) soient descriptifs pour des langes, leur association est originale. Elle souligne que leur « juxtaposition, inhabituelle dans sa structure, ne constitue pas une expression connue de la langue anglaise pour désigner de tels produits ou pour présenter leurs caractéristiques essentielles ». Cette construction lexicale inédite crée une impression d’ensemble suffisamment distincte de la simple addition de deux termes descriptifs. Elle procède d’une « invention lexicale » qui permet au signe de jouer son rôle distinctif et d’être enregistré.
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II. La portée déterminante de la solution pour le droit des marques
En adoptant une interprétation souple, la Cour de justice rejette une conception trop rigoriste de la marque (A) et établit un critère de référence pour l’examen des marques composées, qui a eu une influence durable sur la pratique (B).
A. Le rejet d’une conception rigoriste de la marque
La décision s’oppose à une vision selon laquelle tout signe évoquant, même de manière allusive, une caractéristique du produit serait inapte à l’enregistrement. En validant un syntagme aussi proche de la fonction du produit, la Cour admet que des marques suggestives ou évocatrices peuvent parfaitement être valables, pourvu qu’elles ne se confondent pas avec la désignation usuelle et nécessaire du produit. Elle reconnaît ainsi la valeur de la créativité dans le choix d’une marque, même lorsque cette créativité s’exprime de manière minimale par un simple agencement syntaxique.
Cette solution favorise un équilibre entre la protection des investissements des entreprises dans leurs marques et la nécessité de laisser des termes descriptifs à la disposition de tous. Elle confirme que le droit des marques n’a pas pour objet de retirer des mots du langage courant, mais d’empêcher qu’un acteur économique s’approprie une désignation générique ou nécessaire. La reconnaissance du caractère distinctif de « Baby-dry » témoigne de cette volonté de ne pas appliquer les motifs absolus de refus de manière excessivement restrictive.
B. L’établissement d’un critère de référence pour les marques composées
Cet arrêt n’est pas une simple décision d’espèce, mais bien un arrêt de principe dont la portée a été considérable. Le critère de « l’écart perceptible » par rapport au langage courant est devenu une pierre angulaire de l’examen des marques verbales composées devant l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle et les juridictions. Il offre un guide d’analyse clair : un signe composé de termes descriptifs peut acquérir un caractère distinctif s’il présente une structure, une syntaxe ou une signification qui n’est pas celle que le public pertinent attendrait.
Cette jurisprudence a ainsi ouvert la voie à l’enregistrement de nombreuses marques qui auraient pu, sous une analyse plus stricte, être considérées comme descriptives. Elle a consolidé la distinction entre les signes purement descriptifs, qui sont refusés, et les signes suggestifs, qui sont admis. En définitive, la Cour a fourni aux déposants et aux examinateurs un outil conceptuel permettant d’évaluer le caractère distinctif de manière plus prévisible et cohérente, renforçant par là même la sécurité juridique dans le domaine du droit des marques de l’Union européenne.