Arrêt de la Cour du 21 février 1984. – Allied Corporation et autres contre Commission des Communautés européennes. – Droits antidumping. – Affaires jointes 239/82 et 275/82.

Par un arrêt en date du 21 février 1984, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les conditions de recevabilité du recours en annulation formé par des entreprises contre un règlement instituant un droit antidumping, ainsi que sur la légalité de l’institution d’un tel droit à la suite de la dénonciation d’un engagement de prix. En l’espèce, après une enquête ouverte par la Commission concernant des importations d’engrais chimiques, plusieurs sociétés productrices et exportatrices établies dans un pays tiers avaient souscrit des engagements de relever leurs prix afin d’éliminer les marges de dumping constatées. La Commission avait accepté ces engagements, et un règlement du Conseil avait institué un droit antidumping définitif tout en l’exemptant pour les produits exportés par ces sociétés. Par la suite, les sociétés exportatrices ont dénoncé leurs engagements. En réponse, la Commission a adopté des règlements instituant à leur encontre un droit antidumping provisoire, se fondant sur les informations recueillies lors de l’enquête initiale. Les sociétés productrices et exportatrices, ainsi qu’une société importatrice indépendante établie dans la Communauté, ont alors saisi la Cour de justice d’un recours en annulation contre ces derniers règlements et d’une demande en dommages-intérêts. La Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, notamment à l’encontre du recours de l’importateur. La question de droit posée à la Cour était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si des entreprises, qu’elles soient importatrices ou exportatrices, peuvent être considérées comme directement et individuellement concernées par un règlement antidumping aux fins de la recevabilité de leur recours en annulation. D’autre part, il appartenait à la Cour de statuer sur le point de savoir si la Commission, après la dénonciation d’un engagement, est tenue de diligenter une nouvelle enquête avant d’instituer un droit provisoire. La Cour a jugé le recours des sociétés productrices et exportatrices recevable, mais a déclaré celui de la société importatrice irrecevable. Sur le fond, elle a validé la démarche de la Commission, considérant que celle-ci pouvait légitimement imposer des mesures provisoires sur la base des informations déjà disponibles sans mener de nouvelles investigations.

Cette décision permet de clarifier les conditions d’accès au prétoire de l’Union pour les entreprises visées par des mesures de défense commerciale, en opérant une distinction nette selon la nature de leur implication dans la procédure (I). Elle confirme par ailleurs la latitude dont dispose la Commission pour réagir rapidement à la dénonciation d’un engagement, en validant le recours à une procédure accélérée pour l’institution de droits provisoires (II).

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I. L’admission différenciée du recours en annulation contre un règlement antidumping

La Cour de justice opère une distinction claire entre la situation de l’importateur indépendant, dont elle juge le recours irrecevable (A), et celle des producteurs exportateurs spécifiquement identifiés dans la procédure, pour lesquels elle admet la recevabilité de l’action (B).

A. L’irrecevabilité du recours de l’importateur indépendant

La Cour rejette la recevabilité du recours formé par la société importatrice au motif que celle-ci n’est pas individuellement concernée par les règlements attaqués. Elle estime que l’entreprise n’est touchée par les actes litigieux qu’en raison de sa qualité objective d’importateur d’engrais, au même titre que tout autre opérateur économique se trouvant dans la même situation. La Cour retient que « cette requérante ne serait donc pas concernée directement et individuellement, ainsi qu’il est exigé par l’article 173, alinéa 2 ». Ce faisant, elle applique sa jurisprudence constante selon laquelle un acte de portée générale ne peut faire l’objet d’un recours en annulation par un particulier que si cet acte l’affecte en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne.

La Cour prend soin de distinguer la présente espèce d’autres situations où l’existence du dumping avait été établie en fonction des prix de revente pratiqués par les importateurs eux-mêmes. En l’occurrence, le dumping a été constaté « en fonction du prix d’exportation des producteurs américains », ce qui exclut que l’importateur ait été directement visé par les constatations relatives à l’existence de la pratique déloyale. La Cour rappelle enfin que l’importateur n’est pas démuni de protection juridictionnelle, puisqu’il dispose d’une voie de recours devant les juridictions nationales contre la perception des droits antidumping, dans le cadre de laquelle il peut soulever une question préjudicielle en validité des règlements de l’Union.

B. La recevabilité du recours des producteurs exportateurs identifiés

À l’inverse, la Cour admet la recevabilité des recours introduits par les sociétés productrices et exportatrices du pays tiers. Elle constate que ces entreprises ont été identifiées au cours de la procédure d’enquête et que les règlements attaqués ont été pris précisément en raison de la dénonciation de leurs engagements individuels. La Cour énonce à cet égard que « les actes portant institution de droits antidumping sont de nature à concerner directement et individuellement celles des entreprises productrices et exportatrices qui peuvent démontrer qu’elles ont été identifiées dans les actes de la commission ou du conseil ou concernées par les enquêtes préparatoires ».

Cette solution consacre l’idée qu’un acte de nature réglementaire peut, pour certains de ses destinataires, revêtir le caractère d’une décision. En l’espèce, bien que les règlements s’appliquent de manière générale à toutes les importations des produits concernés, ils affectent les sociétés requérantes de manière spécifique en raison de leur participation active à la procédure administrative antérieure et du fait qu’ils modifient leur situation juridique particulière. Cette approche pragmatique garantit un accès à la justice de l’Union pour les entreprises de pays tiers qui sont au cœur des enquêtes antidumping et qui sont les premières visées par les mesures correctrices.

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II. La validation de la procédure d’institution d’un droit provisoire consécutive à la dénonciation d’un engagement

Après avoir statué sur la recevabilité, la Cour examine les moyens de fond et conforte la position de la Commission. Elle rejette l’argument tiré d’une motivation insuffisante des règlements attaqués (A) ainsi que celui fondé sur l’existence de faits nouveaux qui auraient dû être pris en compte (B).

A. Le rejet du moyen tiré de l’insuffisance de motivation

Les sociétés requérantes soutenaient que la Commission ne pouvait leur imposer un droit antidumping sans avoir procédé à une nouvelle enquête pour vérifier si les conditions étaient toujours réunies. La Cour écarte cette argumentation en se fondant sur l’économie du règlement de base relatif à la défense contre le dumping. Elle interprète la disposition pertinente comme autorisant la Commission, lorsqu’un engagement est dénoncé, à appliquer « au besoin, immédiatement des mesures provisoires en utilisant les informations disponibles ». Le juge de l’Union en déduit qu’une nouvelle enquête n’est pas requise et que l’institution peut légitimement se baser sur les données recueillies lors de la procédure initiale qui a mené à l’acceptation de l’engagement.

La logique sous-jacente est que la souscription même d’un engagement constitue une reconnaissance implicite de l’existence d’une pratique de dumping. Sa dénonciation par l’exportateur crée une présomption de reprise de cette pratique, justifiant une action rapide pour protéger les intérêts de l’industrie de la Communauté. Il appartenait donc aux sociétés, au moment de résilier leur engagement, de fournir les éléments prouvant que la situation avait évolué au point de rendre le droit antidumping injustifié. En l’absence de telles preuves, la Commission n’a commis aucune erreur en appliquant les mesures provisoires.

B. Le rejet du moyen tiré de l’omission d’examen des faits nouveaux

Les requérantes invoquaient plusieurs faits nouveaux pour contester l’existence d’un préjudice pour l’industrie européenne, notamment des mesures de régulation des prix sur le marché français, l’appréciation du dollar et une baisse du volume des importations. La Cour analyse ces arguments mais refuse d’y voir une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission. Elle effectue une distinction fondamentale entre la marge de dumping et le préjudice. Concernant la marge de dumping, elle relève que « les fluctuations de cette monnaie par rapport aux monnaies européennes sont sans influence sur la détermination de la marge de dumping », puisque les prix pertinents pour ce calcul sont tous exprimés en dollars.

Quant aux autres éléments relatifs au préjudice, la Cour estime que les arguments avancés ne sont pas de nature à remettre en cause l’appréciation de la Commission. Elle reconnaît que cette dernière dispose d’une marge d’appréciation dans l’examen de situations économiques complexes. Les faits allégués par les requérantes n’étaient pas suffisants pour démontrer que la Commission avait commis une erreur manifeste en concluant que l’intérêt de la Communauté exigeait l’adoption de mesures provisoires pour prévenir un préjudice. Le recours est donc rejeté sur le fond.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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